FIGURES DE L'IMPASSE
Les référendums se suivent mais ne se ressemblent pas. La situation politique actuelle est bien différente de celle qui prévalait après le référendum de 1980. Après ce dernier, le gouvernement fédéral adopta une attitude de fermeté. Mais il y avait néanmoins l'expression d'une volonté de concorde, timide mais réelle, à l'égard des revendications nationalistes québécoises. Depuis décembre 1995, cependant, il est inutile de chercher un semblant même de vélléités conciliatrices. Évidemment, il ne faut pas s'étonner que le gouvernement fédéral s'emploie à rendre impraticable le projet souverainiste. Allez cependant comprendre cette stratégie consistant à éliminer, de façon chirurgicale, toutes les possibilités qui déboucheraient sur une voie intermédiaire, quelque part entre la souveraineté et le statu quo.
Argument cherche à faire de la lumière sur l'offensive fédérale en proposant ici un dossier, constitué de deux analyses. Elles portent sur les deux événements majeurs qui marquent cette ère postréférendaire : la publication de l'Avis de la Cour suprême relatif à la sécession (1998); l'adoption de la Loi fédérale sur la sécession (1999).
Stéphane Courtois s'attarde à l'article 2 de la Loi fédérale sur la sécession. Il plaide pour la réhabilitation d'une distinction, apparemment triviale, mais pourtant oubliée. Selon lui, en matière de droit à la sécession, il convient de distinguer deux principes : la stabilité politique et la légitimité démocratique. Courtois reconnaît le bien-fondé de ces deux principes. Mais il faut éviter de subordonner la légitimité démocratique à la stabilité politique. Les juges de la Cour suprême, en donnant raison aux partisans de la majorité qualifiée, ont-ils commis cette erreur? Pourtant, le lien entre la légitimité démocratique et la stabilité politique est loin d'être démontré.
Pour sa part, Jacky Malo décortique l'aspect historique de l'Avis rédigé par les juges de la Cour suprême. Le récit historique que recèle l'Avis comporte deux dimensions. D'une part, le révisionnisme des juges défigure l'histoire du Canada suivant les intérêts stratégiques actuels du gouvernement fédéral. D'autre part, il réinvente l' histoire de leur institution. On y apprend que la Cour serait née non pas en 1875, mais en 1867. En d'autres termes, elle daterait du même événement fondateur, celui de la naissance de la "nation canadienne", en 1867. Cette interprétation manifeste un oubli significatif, soit que le Canada ne se voulait pas une nation, à l'origine. En faisant cela, les juges oblitèrent le caractère impérial du régime fondé en 1867.
À l'évidence, la stratégie du gouvernement fédéral repose, en large partie, sur le pouvoir judiciaire. La révolution des droits de l'Homme aidant, ce pouvoir a séduit les élites politiques du monde occidental, depuis une vingtaine d'années. Au Canada comme ailleurs, le chartisme ne triomphe toutefois pas sans faire face à de sérieuses critiques. "Arrogance judiciaire", "oligarchie juridique", "usurpation judiciaire du politique" sont des expressions que l'on lit souvent dans les commentaires politiques. Qu'elles soient exagérées ou non, l'existence même de ces expressions dénotent un malaise. Faisant écho aux réflexions déjà formulées dans nos pages par Marc Chevrier et Dick Howard, ce dossier offre de nouvelles clés pour le circonscrire.
Stéphane Kelly