Il sévit dans presque tous les milieux. Il se confectionne un manteau d’Arlequin des oripeaux de la connaissance. C’est le shibboleth1 des cuistres, censé larguer les non-initiés.
Contrairement au langage spécialisé, d’une autre nature, légitime, et souvent accompagné d’un effort de vulgarisation par celui qui y a recours, le jargon, oui, est bel et bien « l’infâme » de notre époque. Aussi pourfendons-le avec allégresse.
C’est précisément ce qu’ont accepté de faire les contributeurs à ce dossier qui tient de l’opération de salubrité publique. On aura compris le but : démolir les prétentions des jargonneux, non s’en prendre à la discipline concernée, cette dernière étant souvent mieux servie sans les vaniteux ou les savants peu sûrs de leur science qui entendent la servir.
La méthode est à la fois simple et éprouvée. D’abord, repérer un passage particulièrement éloquent parmi tous les jargons qui font florès à notre époque. Management, philosophie, pédagogie, administration, médecine, droit, économie, finance, bureaucratie gouvernementale, bureaucratie universitaire, sociologie, esthétique, diplomatie internationale, critique littéraire, langue de bois politique, défense militaire, études féministes, psychologie : nos collaborateurs n’avaient que l’embarras du choix. Puis, à l’aide d’un commentaire bien senti, déconstruire l’échantillon jargonneux jusqu’à en proposer une traduction intelligible pour l’honnête homme.
Le résultat est aussi réjouissant que déprimant. Tout de même, six passages jargonneux de moins dans l’air du temps, c’est un début. Les optimistes, cette nuit, dormiront un peu mieux.
Marie-Andrée Lamontagne
NOTES
1 shibboleth : langage qui vous distingue des autres ; allusion à un épisode biblique (Juges 12, 5-6) où les hommes de Galaad, aux gués du Jourdain, reconnaissaient les hommes d’Ephraïm à leur accent, lequel leur faisait prononcer sibboleth le mot shibboleth (mot hébreu signifiant « épi »). Trahi par son accent, l’Ephraïmite était aussitôt massacré par les hommes de Galaad.