Le Québec à la croisée des chemins ?

Pour entamer sa dixième année de publication, la revue Argument a choisi de présenter à ses lecteurs un numéro pour ainsi dire entièrement politique et, surtout, centré sur l’examen de la situation actuelle du Québec. Nous voulons prendre acte des changements qui s’annoncent au sein de notre société depuis les dernières élections provinciales et tenter de cerner la direction prise par celle-ci. Il s’agit là bien sûr d’un exercice périlleux, qui bien souvent se solde par d’incertaines prophéties, mais néanmoins nécessaire aujourd’hui. Une revue comme Argument, consacrée principalement à la publication d’essais, se doit d’engager certaines discussions au risque de l’erreur et de faire émerger les questions que négligent les revues savantes, soumises à d’autres critères de véridicité, et les publications littéraires, qui répondent à un souci d’authenticité distinct. Il nous a semblé faire preuve de liberté – de la liberté de pensée propre à l’essayiste, dont Montaigne a offert le modèle impérissable – en nous interrogeant ouvertement sur l’avenir de l’idée d’indépendance au Québec. Un dossier que certains auraient aimé intituler « Le passé d’une illusion », en rappel du livre célèbre de François Furet, pour indiquer la tâche de rupture à accomplir, ce qui aurait conduit, avouons-le, à clore la discussion avant même de l’entreprendre. Cette interrogation, dirions-nous, existentielle, forme le corps de ce numéro autour duquel gravitent diverses interventions qui portent, par d’autres biais, sur le même objet. Qu’il s’agisse d’interroger la pertinence de l’idéal républicain, l’héritage intellectuel de Trudeau, le destin de notre culture, ou encore l’actualité de l’œuvre philosophique de Fernand Dumont, chaque fois, en un certain sens, il s’est agi de prendre la mesure de notre destin collectif à cette époque qui, par plusieurs indices, laisse à penser que nous sommes parvenus à la croisée des chemins. Sur l’orbite la plus excentrique de cette nébuleuse textuelle, le lecteur, qui assailli par la lassitude que suscitent chez certains nos sempiternelles tergiversations politico-constitutionnelles, trouvera peut-être quelque refuge dans le portrait que nous offrons, à la toute fin, de l’œuvre inclassable de Cioran, ou bien encore dans les iconoclastes réflexions, sur l’omniprésence du moteur de recherche Google dans notre univers culturel, qui ouvrent ce numéro.

Daniel Jacques, directeur