Se souvenir du Moulin à images
La vieille ville de Québec non contente d’avoir célébré le 400e anniversaire de sa fondation aimerait cet été fêter le 250e anniversaire de la bataille des plaines d’Abraham. On aimerait prendre la chose à la légère et se dire qu’après tout il ne s’agit là que de prolonger l’esprit de la fête du 400e par un spectacle ridicule de quelque 3 000 adolescents attardés qui, costumés et poudrés, s’imaginent par un bel après-midi d’été revivre une bataille, la fureur et le sang en moins. Certains pensent peut-être aussi qu’un tel spectacle aiderait à cicatriser des plaies encore vives et exorciserait la mémoire douloureuse de la Conquête. Quoi de mieux pour désamorcer la tragédie que de la transformer en comédie bouffonne ? La ville de Québec achèverait peut-être ainsi au grand plaisir des touristes, des commerçants, des hommes et femmes politiques, sa métamorphose définitive en parc d’attraction historique où le passé rendu inoffensif pourrait être fêté jusqu’à sa disparition définitive. Ce 250e anniversaire d’un épisode décisif de la Conquête n’est-il pas le signe que nous soyons définitivement entrés dans une époque où se souvenir de manière festive est le meilleur moyen de tout oublier ?
Ce nouveau débat autour de cette commémoration est symptomatique d’un état d’esprit général : le Québec ne sait plus ce qu’il doit célébrer au juste dans son histoire, probablement parce qu’il a depuis un certain temps déjà pris sa retraite de l’histoire, ou du moins qu’il a cessé vraiment de réfléchir à la place qu’il a occupé dans cette histoire et, plus troublant encore, à la place qu’il pourrait encore y occuper. À cet égard, il est troublant de voir le peu d’analyse de fond dont a fait l’objet l’événement marquant du 400e anniversaire : Le moulin à images de l’artiste Robert Lepage. On en a certes beaucoup parlé, mais on s’est très peu interrogé sur sa signification profonde. Les deux auteurs qu’on va lire posent cette question de deux manières sensiblement différentes : Joseph Yvon Thériault cherche à préciser la vision de l’histoire du Québec transmise par Le moulin à images, alors qu’Yves Laberge montre dans quelle mesure le spectacle est intimement lié à l’histoire locale de Québec et s’inscrit aussi parfaitement dans l’ensemble de la démarche artistique de Robert Lepage. On ne manquera pas de noter que si nos deux auteurs reconnaissent la grande réussite technique et artistique de l’événement, ils ne partagent pas en revanche le même jugement sur l’intention dernière de l’œuvre. Nous laissons au lecteur le soin de cerner ces deux jugements et de les apprécier. Ces deux essais nous fournissent une belle occasion de prendre un temps de réflexion à distance de l’enchantement produit par l’événement.
Daniel Tanguay