À côté de l’employé dans les ordres sacrés, le type avec le travail le plus infâme dans le monde est le maître d’école. Ils sont tous deux mal payés pour un travail qui perd de manière constante en autorité et en dignité, et tous deux usent leur cœur pour réaliser l’impossible. Combien le monde exige d’eux, et combien peu ils peuvent en fait tenir leur promesse ! L’occupation de l’ecclésiastique est de sauver la race humaine de l’enfer. S’il en sauve un huitième d’un pourcent, même dans les limites étroites de ses ouailles, c’est un accomplissement magnifique. Quant au maître d’école, il veut répandre les lumières afin d’initier la grande masse des individus ordinaires à la pensée – et la pensée est précisément la chose dont la grande masse des individus ordinaires est de naissance et éternellement incapable.
Est-il surprenant que le pauvre type, confronté à cette tâche qui aurait atterré Sisyphe, cherche refuge, devant cette essentielle impossibilité, dans un dédale chinois de technique vide ? Le fantôme de Pestallozi, autrefois portant la torche et faisant signe vers les hauteurs, nous fait aujourd’hui descendre par des cages d’escaliers obscurs dans les sombres et menaçants donjons du Teachers College, Columbia. L’art de la pédagogie devient une sorte de magie puérile, un amas de secrets absurdes, un amalgame grotesque de fausses prémisses et de conclusions illogiques. Chaque année voit surgir un engouement pour une nouvelle solution de l’énigme de l’enseignement, une série sans fin d’arcanes flamboyants. Les pires extravagances de Privatdozent en psychologie expérimentale sont saisies avec gravité ; le sentiment d’élévation morale coule à flots dans ses principes et découvertes indicibles ; des formules mathématiques sont prévues pour toute éventualité ; il n’existe aucun remède miracle, si stupide soit-il, qui ne sera pas avalé par un quelconque directeur d’établissement scolaire. Le but semble être de réduire tout le processus éducatif en une sorte de réaction automatique, de découvrir quelque formule maîtresse qui ne se substituera pas seulement à la compétence, mais qui créera aussi une réceptivité artificielle chez l’enfant. L’enseignement devient une activité en elle-même, séparée et supérieure à la matière enseignée. Sa maîtrise est une affaire spéciale, une sorte de saut en hauteur transcendantal. Un enseignant la possédant à fond peut enseigner n’importe quelle matière à n’importe quel enfant, de la même manière qu’un dentiste compétent peut extraire n’importe quelle dent de n’importe quelle mâchoire.
Tout ceci – nul besoin de le souligner – contraste fortement avec l’ancienne théorie de l’enseignement. Selon cette théorie, la technique en elle-même était simplifiée et subordonnée. Tout ce qui était demandé à l’enseignant désigné, disons, de géographie, était de maîtriser les faits contenus dans son manuel et de se munir d’une solide canne. Ainsi équipé, il était prêt à mettre à l’épreuve son génie pédagogique naturel. Il exposait tout d’abord les faits du manuel, puis il les embellissait avec toute apparence d’intérêt ou d’importance qu’il pouvait invoquer et enfin il vérifiait l’étendue du transfert dans l’esprit de ses élèves. Ceux qui parmi ces élèves les avaient assimilés recevaient des pommes ; ceux qui avaient échoué recevaient une fessée. Suivait alors le deuxième round, et le même test encore, puis une seconde notation des résultats. Et puis le troisième, le quatrième, et le cinquième, et ainsi jusqu’à ce que le dernier et moindre élève ait son esprit arriéré et probablement stupide bourré à ras bord.
Revue Argument