Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.
Matthieu XXI, 21
Compte-rendu de Bernard LA RIVIÈRE, Enfin la laïcité, Montréal, Les Éditions XYZ, 2014.
Le projet de charte de la laïcité du Parti Québécois est peut-être mort et enterré, le combat pour la laïcité, lui, se poursuit toujours au Québec. Dans Enfin la laïcité, Bernard La Rivière examine les arguments pour séparer le bon grain de l’ivraie sophistique, définit la laïcité d’une façon enfin rigoureuse et débusque la stratégie rhétorique des Inclusifs, qui traitent les défenseurs de l’héritage du Siècle des Lumières de xénophobes, de racistes, d’islamophobes, d’arabophobes, sinon carrément de paranoïaques.
Ce qu’est la laïcité
L’auteur commence en reprenant la définition que donne de la laïcité le philosophe français Henri Peña-Ruiz : « La laïcité, c’est un cadre juridique et politique permettant à des êtres différents du point de vue des options spirituelles ou des convictions personnelles de vivre ensemble. » (p. 60) Ceux qui parlent de laïcité « ouverte », rappelle-t-il alors, insultent tous ceux qui défendent la laïcité, car il n’y a aucune fermeture dans le fait de vouloir séparer la religion et la politique. Cette idée d’ajouter un adjectif à un idéal politique n’est qu’une stratégie rhétorique. La laïcité n’est pas la gestion du pluralisme religieux, elle est au contraire le souci de l’universel et des valeurs communes.
Pour la laïcité sans adjectif, par exemple, l’éducation a pour tâche essentielle de défendre la liberté de conscience : « L’exercice du jugement réfléchi s’acquiert et la liberté de penser ne doit pas être confondue avec la spontanéité : si les élèves sont déjà étiquetés, identifiés, ils deviennent aux yeux des autres les porte-parole de leur communauté ou de leur famille et ils sont contraints de se défendre plutôt que de dialoguer pour exercer librement leur jugement. » (p. 65) Ainsi, au lieu d’imposer un programme de dix ans de cours d’éthique et de culture religieuse, il aurait été préférable de faire de la philosophie pour enfants, car « raconter l’épisode de l’arche de Noé en s’interdisant d’être critique envers les religions enseignées, comme le veut le programme, c’est pour le moins irresponsable » (p.70).
Des limites à la liberté de manifester sa religion
Bernard La Rivière va ensuite passer en revue les différentes déclarations et chartes de droits qui sont souvent invoquées dans le débat sur la laïcité. Ce qu’il dit de l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme est particulièrement intéressant : « “Manifester en public” signifie-t-il que “sa religion ou sa conviction” peut être manifestée dans les institutions d’État? Pourrait-on célébrer une messe, accueillir le prêche d’un imam, installer la statue de Bouddha ou organiser toute autre cérémonie religieuse dans les locaux du Parlement? Serait-ce brimer la liberté de religion que de l’interdire? Bien sûr que non. » (p.75)
La liberté de religion, comme toute liberté, peut et doit être limitée lorsque le bien commun l’exige : nos codes civil et criminel regorgent d’exemples de ce genre de limitation. Plusieurs pays européens interdisent les signes religieux dans la fonction publique sans que l’ONU les déclare délinquants. La Cour européenne des droits de l’Homme a elle aussi mainte fois statué que l’interdiction du port de signes religieux dans le cadre d’un emploi dans une institution d’État fait partie des mesures nécessaires dans une société démocratique. Les Inclusifs sont-ils vraiment sérieux lorsqu’ils accusent les défenseurs de la laïcité de xénophobie, de racisme et d’islamophobie? Si oui, alors ils devraient logiquement lancer les mêmes accusations contre l’ONU et la Cour européenne de droits de l’Homme !
Selon Bernard La Rivière, le bien commun exige tout simplement qu’on mette fin à l’influence politique des religions : « Si la charte des valeurs est contre quelque chose, elle est contre les privilèges et les intégrismes religieux. Elle est une mesure préventive nécessaire afin d’empêcher les intégristes de gagner du terrain au sein de l’État et pour éviter que des privilèges indus soient accordés à certaines croyances. » (p.86)
Le dur combat du Québec pour la laïcité
Bernard La Rivière nous offre ensuite un rappel aussi intéressant qu’instructif de l’histoire de la laïcité au Québec. Une histoire que semblent superbement ignorer Jocelyn Maclure et Charles Taylor, car, alors que ces intellectuels de haute voltige estiment que le pouvoir de l’Église a été beaucoup plus circonscrit qu’on le dit généralement, un historien sérieux comme Yvan Lalonde tient compte pour sa part de ceux qui ont affronté réellement son pouvoir. Rappelons-nous qu’en 1838, l’évêque de Montréal, Monseigneur Lartigue, déclarait que les patriotes étaient des traîtres et assurait la reine Victoria de son attachement inviolable pour l’Angleterre. Rappelons-nous encore que, plus récemment, la Société Saint-Jean-Baptiste verra dans le projet de création d’un secteur non confessionnel dans le système d’éducation une menace antidémocratique. Rappelons-nous également que, dans les années 1960, Jean Lesage affirmait qu’il ne permettrait pas la création d’« écoles athées ». Rappelons-nous enfin qu’il faudra attendre l’an 2000 pour que les commissions scolaires cessent d’être affiliées à une religion. Les faits le prouvent : il a bien existé une religion catholique, spectaculaire et ostentatoire au Québec, au XIXe et au XXe siècle.
Le hidjab
Bernard La Rivière apporte également certains correctifs importants aux préjugés colportés dans l’espace public sur le hidjab. Il nous rappelle qu’islamistes exceptés, tous et toutes admettent sans problème que le port du voile n’est pas une obligation coranique. Il suffit de savoir lire et de prendre le temps de lire : dans le Coran, le mot « hidjab » apparaît dans sept versets et aucun de ces versets n’affirme qu’il est obligatoire que la femme soit voilée, pour la simple raison que le mot « hidjab », dans la dictée d’Allah, n’est jamais un mot qui désigne le voile islamique que portent les femmes.
Concernant la question du sens du voile dans les sociétés moyen-orientales et méditerranéennes, une lettre de saint Paul affirme que la femme, en raison de son infériorité, doit porter sur la tête un signe de sujétion. Nous avons ici un argument scripturaire à opposer à celles et ceux qui refusent de voir dans ce symbole de soumission une dévalorisation des femmes et un élément offensant pour elles. À ce sujet, Bernard La Rivière souligne superbement l’incohérence de Québec Solidaire : « On peut tout de même se demander comment Québec Solidaire, qui est un parti féministe et dont je partage toutes les autres positions, un parti qui convient que les religions ont de tout temps opprimé les femmes, qui reconnaît que ce sont les luttes de nos mères et de nos grands-mères qui ont mis fin à de multiples oppressions, comment se fait-il qu’il n’entende pas les femmes immigrantes qui ont lutté contre le port du hidjab? Comment se fait-il qu’il puisse critiquer l’intégrisme protestant, mais pas l’intégrisme islamique? » (p. 121) Bernard La Rivière souligne ainsi l’incohérence de cette gauche « ouverte » telle qu’elle se manifeste entre autres dans les propos ambigus du politologue Jean-Marc Piotte. Dans son dernier livre, Démocratie des urnes et démocratie de la rue, Piotte affirme en effet que les employés de l’État « devraient, dans leur travail, s’abstenir du port de signes religieux ostentatoires ». Deux jours après la parution d’une recension de son livre dans Le Devoir, il va dire du projet de charte du PQ que « ça vise les musulmanes. Pourquoi ça vise les musulmanes? Parce que c’est payant, en termes électoraux. Pour moi, ça, c’est du populisme de droite […] ». Donc, l’interdiction du port des signes religieux, c’est bien, mais viser les musulmanes, c’est exécrable, c’est électoraliste et populiste. Si je comprends bien, il faudrait interdire le port de signes religieux sans viser les femmes qui portent le hidjab. La position de Piotte est pour le moins nébuleuse concernant l'interdiction du hidjab dans la fonction publique.
Il n’est d’ailleurs pas le seul à se contredire sur cette question : les opposants à l’interdiction totale des signes religieux dans la fonction publique sont presque tous d’accord pour dire que cette interdiction ne devrait viser que les personnes en autorité comme les policiers et les gardiens de prison. Comme le remarque avec justesse Bernard La Rivière, « cet argument avoue implicitement qu’il y a un impact au port de signes religieux » (p. 40). Difficile alors de prétendre en même temps que la présence de tels signes dans les écoles ou les institutions publiques n’a pas du tout d’impact et qu’un juge ne devrait porter de signes religieux ostentatoires.
L’islamisme
Bernard La Rivière explique ensuite pourquoi il est, selon lui, tout à fait raisonnable de craindre l’islamisme. L’islamisme menace gravement la laïcité. En effet, la laïcité est une philosophie politique dont le principe fondamental est la séparation complète et totale du politique et du religieux. Autrement dit, les croyances religieuses ne doivent avoir aucune influence sur le politique et aucun privilège ne doit être accordé à une personne ou un groupe de personnes en raison de ses croyances religieuses, aussi sincères soient-elles. Or, l’islamisme est par définition l’usage politique d’une religion. L’islamisme cherche à combattre, voire à éliminer les caractéristiques de la modernité occidentale. Son projet est de conquérir la civilisation des Lumières par l’imposition de la charia à l’échelle planétaire. « De cela, écrit La Rivière, il est légitime d’avoir peur, c’est-à-dire qu’il est légitime d’être islamistophobe. Pourtant, c’est le mot islamophobe qui revient toujours » (p. 135).
Les partisans de la laïcité ne luttent pas contre l’islam ni d’ailleurs aucune religion, ils luttent contre l’usage politique des religions. Selon Bernard La Rivière, les bien-pensants de Québec Solidaire, favorisent sans peut-être le savoir l’avancée de l’islamisme politique en défendant le « choix » de celles qui acceptent de se laisser imposer le voile. Québec Solidaire semble accorder plus d’importance aux droits individuels de certaines immigrantes qu’au droit collectif des Québécois à un État totalement séparé de la religion. Plutôt étrange pour un parti qui se dit préoccupé par le bien commun.
La gauche devrait apprendre à faire la distinction entre l’islamisme et l’islam. Les laïcs sans adjectif n’ont pas une phobie de l’islam, ils craignent de façon tout à fait légitime et rationnellement justifiée son usage politique par les intégristes. Il n’y a rien de xénophobe, de raciste ou d’islamophobe à s’opposer à l’instrumentalisation politique d’une religion. On ne peut se dire en faveur de la laïcité sans être contre l’intrusion de la religion dans la politique. « [I]l y a une différence majeure entre islam et islamisme, entre musulman ou musulmane et islamiste, entre islamophobie et “islamistophobie”. Il convient de faire ces distinctions, vu le trio d’insultes si souvent servi aux laïques accusés, je le répète, d’être “xénophobes, racistes et islamophobes” » (p. 133-134).
Ce n’est pas fini
Après des mois d’accusations diffamatoires, Enfin la laïcité défend avec succès la nécessité d’achever finalement la laïcisation de l’État québécois. Il ne faut pas se leurrer, l’intégrisme religieux existe au Québec et, même s’il n’est peut-être qu’embryonnaire, il constitue une négation absolue de la laïcité qu’il faut combattre avec vigueur et courage. De toute façon la laïcité est avant tout un principe démocratique, pas la solution à une menace. Ce ne sont pas les accusations de xénophobie, de racisme et d’islamophobie que lancent des intellectuels bien-pensants qui feront mourir l’idéal démocratique d’une laïcité sans adjectif, c’est-à-dire pleinement assumée.
FRANÇOIS DOYON
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