Il n'y a plus au Québec de forum de discussion qui permette un échange véritable sur le sens des événements qui marquent notre présent. Il y a ici trop de livres qui ne sont pas discutés, trop de richesses intellectuelles accumulées pour ce qu'il en résulte de débat public. Argument se propose de remplir cet espace aux contours changeants et imprécis d'une écriture qui évite aussi bien le jargon à la mode que les lieux communs.
S'il y a lieu de fonder une revue nouvelle, c'est aussi que la sensibilité qui prend forme actuellement ne trouve pas à s'inscrire dans le projet des revues existantes. Il y a dissonance entre la sensibilité nouvelle qui prend forme aujourd'hui et l'ordre du jour que se sont donné celles-ci. Il y aurait donc malentendu entre les générations, tout comme entre les Québécois de différentes allégeances. Or, les enjeux de ce malentendu, de cette divergence, contrairement à d'autres projets, comme ceux de Cité Libre ou de Parti Pris, ne se donnent pas à voir immédiatement, c'est pourquoi il convient d'expliciter la nature du malentendu, de circonscrire son étendue véritable.
La sensibilité, qu'il nous faut dire et réfléchir, origine d'une expérience différente de ce que signifie ici appartenir à la culture moderne. Il ne s'agit plus tant de chercher à reconstruire la société à la mesure d'un idéal que de s'adonner à l'écoute de sa diversité inhérente afin d’en saisir le caractère éminemment problématique. S'il y a malentendu, c'est que la disparition de l'esprit de révolution et de liberté qui a caractérisé les générations précédentes a laissé place à une conscience perplexe, mais néanmoins enrichie, de la mouvance imprévisible et de la complexité propres au tissu social humain. C'est pourquoi cette revue, à la différence de plusieurs autres qui l'ont précédée, ne saurait s'ouvrir par un manifeste, puisque notre projet n'est plus de construire le réel, mais de laisser voir la part de réalités humaines laissée dans l'ombre par tous ces espoirs apparemment révolus.
Enfin, s'il y a malentendu sur le sens qu'il convient d'accorder à notre époque, cela touche inévitablement à notre rapport à l'histoire et au politique. Comme il est toujours question, en ce pays qui se construit et se déconstruit à chaque génération, d'un référendum à l'autre, de ce qui doit être pris en compte pour constituer enfin un espace politique légitime, il y a lieu de lever tous les malentendus ou, à tout le moins, d’afficher clairement nos désaccords. C'est pourquoi nous voulons éviter, autant que faire se peut, qu'Argument devienne la plate-forme d'un discours homogène produit et consommé par les convaincus. Le troisième objectif de la revue, en plus de constituer un lieu de débats et d'offrir un inventaire de la sensibilité nouvelle, sera ainsi de dégager des points de comparaison permettant de mesurer l'originalité de nos divergences et la spécificité de nos accords. Dans cet esprit d'ouverture, nous examinerons des ouvrages québécois, canadiens et étrangers, et nous chercherons à donner la parole à des auteurs et des penseurs d'ailleurs, de manière à mieux comprendre, par référence à leur propre expérience de la modernité, ce qu'il en est de notre situation.
Dans un monde qui bien souvent privilégie l'émotion et méprise la raison, nous persistons à croire que la réflexion est non seulement essentielle mais qu'elle est passionnante et qu'elle enrichit à la fois notre vie publique et notre vie privée. Argument se veut ce nouveau lieu où seront présentées et débattues les idées d'aujourd'hui. Il s'agit là, sans aucun doute, d'un pari incertain et toujours difficile à tenir, l'histoire des autres revues en fait foi, mais il appartient à chaque génération de le relever.
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Argument se veut un lieu de discussion des questions qui préoccupent la société québécoise d'aujourd'hui. Afin de réaliser ce projet, il est important que non seulement la revue Argument intéresse ses lecteurs, mais aussi que ceux-ci contribuent à la vie intellectuelle à laquelle est vouée la revue. C'est pourquoi le comité éditorial invite chaleureusement tous ceux qui le désirent à nous faire parvenir des textes. Vous pourrez ainsi manifester vos accords ou vos désaccords avec certains propos tenus dans les numéros précédents. Il vous est aussi possible de nous faire parvenir une contribution originale qui puisse s'inscrire dans l'une ou l'autre des sections de la revue.
• La tribune est d'abord réservée à ceux qui désirent faire connaître une opinion polémique sur un sujet d'actualité.
• Les contributions au dossier à thème ont pour but d'approfondir une problématique que le comité éditorial a jugé utile de soumettre à un examen renouvelé. C'est ainsi que, dans le prochain numéro, on se propose d'aborder ce que nous pourrions appeler, en reprenant le titre d'un ouvrage connu, les « nouveaux désordres amoureux ». Il s'agira, en somme, de réfléchir sur les formes que prend la relation amoureuse en cette fin de siècle.
• La section intitulée « chronique des Amériques » a pour objectif de cerner les dimensions constitutives de notre américanité. Il est d'usage au Québec, depuis déjà longtemps, d'insister sur les filiations qui nous lient à l'Europe. Nous désirons ici porter l'attention sur le fait négligé de notre inscription historique sur le continent américain. On tentera, par conséquent, de cerner cette « américanité distincte » en la comparant à d'autres, notamment celles qui ont pris forme dans les mondes hispanophone et anglophone.
• Dans la chronique ayant pour titre « figure de pensée », il sera question d'une personnalité du monde de la culture ayant marquée l'histoire du vingtième siècle par sa lucidité et son courage. Il s'agit de souligner ces vies exemplaires en rappelant, dans un bref texte, leurs principaux moments. Nous privilégierons, dans le choix de ces textes, les figures les moins connues.
Précisons, pour terminer, que la revue ne retourne pas les manuscrits qui lui sont adressés. Les auteurs assument la responsabilité de leurs écrits. La reproduction est interdite sans l'autorisation du comité de rédaction. Les textes, sauf ceux des deux dernières chroniques qui seront plus courts, doivent avoir au maximum 15 pages et être présentés dans un format à double interligne. Nous apprécierions particulièrement que vous nous fassiez parvenir vos textes par courrier électronique à l'adresse suivante : redaction@revueargument.ca
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