Voulant plaire au plus grand nombre, le NPD s’est un peu dénaturé en tombant dans le piège du déficit zéro, ce miroir aux alouettes du néolibéralisme. En réalité, calculé en dollars constants, le pouvoir d’achat de cette classe moyenne qu’on jure vouloir servir régresse depuis trente ans. Pendant cette période, les paradis fiscaux ont quant à eux maintenu une croissance exponentielle qui se poursuit toujours. Au lieu de tenir haut et fort ce discours vrai, Mulcair s’est empêtré dans une défense spécieuse de l’intérêt des générations futures, qu’il fallait selon lui éviter d’endetter. Visiblement, il n’y croyait pas beaucoup lui-même, mais il espérait ainsi augmenter son capital de respectabilité économique.
Au Québec, on se doutait bien que la vague orange de 2011 n’était guère plus que cela : une vague. Maintenant, on le sait. Malgré un argumentaire en faveur du vote stratégique qui le défavorisait dès le départ et une organisation dotée de peu de moyens, le Bloc a su rappeler que le NPD, confronté à des choix décisifs, a constamment opté pour les intérêts du ROC. Comme quoi un parti fédéraliste ne peut bien servir à la fois le Québec et le Canada. Cela aura finalement pesé bien plus lourd que l’affaire du niqab, qui n’a fait qu’accélérer une descente de toute façon déjà amorcée, et pas seulement au Québec.
Dans le reste du Canada, le niqab ne semble pas avoir vraiment joué. Par contre, le reproche de Trudeau au NPD d’accepter la règle référendaire du 50% +1, dès le premier débat de chefs y a sans doute eu plus d’écho. Une bonne partie du ROC ne tient pas les Québécois en grande estime (c’est un euphémisme) : à eux la grandeur d’esprit et le sens de la démocratie, à nous l’obscurantisme et le repli identitaire. Comme Jean Chrétien l’a si bien exprimé durant la campagne, comment peut-on être assez tordu pour vouloir briser ce merveilleux pays vieux de 147 ans ! Alors, si pour le préserver et neutraliser ainsi les barbares, il faut enfreindre la règle du 50% +1 (et quelques autres au besoin), y a rien là…
Face à Harper-la-menace, les Québécois, cette fois-ci, ont voté dans le même sens que le reste du pays. Mission accomplie. Serait-ce aussi par amour pour Trudeau et les Libéraux ? Dur à croire. Dans son discours de victoire, Trudeau célèbre longuement «l’ouverture» multiculturaliste, revenant même sur l’acceptation du niqab; voilà beaucoup d’attention pour une question sensément destinée, disaient-ils, à nous détourner des vrais problèmes. Bref, les trudeauistes sont là de nouveau et ils ne feront pas de quartier. Retour vers le futur ! C’est ce que marque aussi d’une certaine façon la résurrection du Bloc comme députation après quatre années quelque part en enfer. Ce que le vote bloquiste signifie, c’est qu’on sait fort bien que la question du Québec n’est en rien réglée.
Déjouant bien des prévisions, la campagne du Bloc a réussi à relancer un momentum autour de l’indépendance, bien que nombre d’indépendantistes aient voté autrement pour contrer l’effet Harper. Ceux qui croyaient que l’antagonisme politique Ottawa-Québec avait cédé la place à la confrontation sociale gauche-droite comme moteur de changement sociétal devront relativiser leur jugement. Sans être assimilables l’un à l’autre, ces deux axes collectifs se répondent plutôt qu’ils ne s’opposent. Cette réalité obstinément incontournable est au cœur de la dynamique sociopolitique du Québec.
Les retours vers le futur ont ceci de pervers qu’ils empêchent justement d’accéder au futur et l’avenir du Québec n’est certainement pas dans les conférences fédérales-provinciales. Il faut s’extirper de ce stérile mouvement d’oscillation politique. Défendre les droits des Québécois dans un pays dont ils sont des contribuables est sans doute nécessaire, mais cela demeure une position de statu quo, ce qui, par conséquent, risque de préparer le terrain pour d’autres retours vers le futur. Dans cette perspective, le rôle du Bloc à Ottawa sera davantage de rappeler au ROC la légitimité du désir d’indépendance des Québécois, même s’il ne veut pas l’entendre, que de contribuer poliment à huiler le fonctionnement de la machine fédérale comme si cet enjeu n’existait pas. Mais pour que le Bloc soit crédible dans ce rôle, le PQ doit continuer de promouvoir énergiquement son option et ramener celle-ci sur le terrain électoral. On comprendra alors que, cette fois, c’est du sérieux.
ROBERT SARRASIN
Linguiste de formation, l’auteur est didacticien, développeur multimédia et travaille depuis nombre d’années en milieu éducatif amérindien.