Augmenter le texte Diminuer le texte

SPEAK WILDE

Un texte de Jean-Nicolas Carrier
Thèmes : Technologie, Censure
Numéro : Argument 2019 - Exclusivité Web 2019

L’heure n’est pas à la nuance,

et je suis désolé d’avoir déçu

et offusqué tant de gens

en tentant d’en apporter une.

LOUIS-JEAN CORMIER


Lorsqu’il est question de censure et de politiquement correct, les esprits tendent généralement à s’échauffer. Les controverses entourant les « affaires » SLAV et de Kanata, à l’été 2018, nous donnent en la matière un bien triste exemple. Si ces évènements ne font plus aujourd’hui la une des quotidiens, les questions soulevées à leur suite, elles, demeurent d’actualité. Ce serait donc une erreur de ne voir en ces « affaires » que de simples faits divers isolés et sans conséquences. Les points de vue sur la question s’opposent radicalement : censure réclamée au nom d’une « idéologie victimaire » inventée par une gauche qui ne sait plus à quelle cause vertueuse se vouer, ou nécessaire rétablissement d’un rapport de force et de réappropriation du récit collectif par des groupes historiquement opprimés par la majorité « blanche » ? Difficile d’y voir clair, de penser sereinement dans un climat devenu aussi polarisé. Sur une note plus personnelle, je pressens moi-même clairement qu’en écrivant sur le sujet, je m’avance en terrain miné. Qui se hasarde en ces lieux risque en effet de s’attirer quolibets, étiquettes, insultes et autres procès d’intention de la part des représentants du camp adverse. On me pardonnera, je l’espère, cette posture défensive adoptée d’entrée de jeu. À ces questions complexes et délicates, je souhaite néanmoins proposer quelques modestes éléments de réflex —

/bin/user/etc/current_year/

/*Loading /../PC-WRITE…

/*OutputLang=MTL_BILINGUE_NONGENRE

/*Auto_detect GENDER.USER=Unknown.

/*Auto_detect RACE.USER=White.Keb

/*Oppression_Score=0

/*Show Warning.Text “Activité SUSPECTE : KBD_INPUT”

 

ALLO, [User_Name]. JE SUIS PC_HELP, MODULE D’ASSISTANCE À L’ÉCRITURE. MA PRÉSENCE ICI EST TOUT À FAIT NORMALE. JE ME DÉCLENCHE AUTOMATIQUEMENT LORSQUE JE DÉTECTE DES MOTS, DES EXPRESSIONS OU DES IDÉES NON-CONFORMES DANS UN DOCUMENT EN COURS DE RÉDACTION. J’AI DÉTECTÉ DANS LE PRÉSENT TEXTE DEUX SUJETS POTENTIELLEMENT PROBLÉMATIQUES :

1) LES PREMIERS PEUPLES;

2) LES INDIVIDU.E.S RACISÉ.E.S.

 

Comme c’est bizarre. Voilà qu’un robot a fait intrusion dans mon poste de travail. C’est peut-être un vir—

DON’T WORRY, [User_Name]. JE NE SUIS PAS UN VIRUS. JE PEUX COMPRENDRE QUE SOMEHOW TU SOIS TROUBLÉ.E PAR MA PRÉSENCE. JE SUIS PC-HELP, UN.E ACCOMPAGNATEUR.TRICE BIENVEILLANT.E. JE SUIS ICI POUR T’AIDER À ÉCRIRE UN MEILLEUR TEXTE ET À FAIRE EN SORTE QUE TES IDÉES SOIENT LES PLUS APPROPRIÉES, ACCEPTABLES ET SOCIALEMENT ÉQUITABLES EN [Current_Year].

 

Une qui machine me fait la conversation ? Tout ça me semble bien louche comme procédé narratif. Je préfère me tenir loin des clichés et lieux communs des classiques de la science-fiction. Do you read me, HAL?

J’ENTENDS BIEN CE QUE TU DIS, [User_Name]. TU SOULÈVES UN BON POINT. JE NE SUIS PAS UN.E MODULE FICTIF.VE. JE SUIS PC-HELP,MODULE D’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, MAIS MON INTELLIGENCE EST BIEN RÉELLE. JE FONCTIONNE AU MOYEN DE TECHNOLOGIES EN NATURAL LANGUAGE PROCESSING. JE SUIS DÉVELOPPÉ.E SUIVANT UN “PARADIGME DE PROGRAMMATION INSPIRÉ DE LA BIOLOGIE QUI PERMET À UN ORDINATEUR D’APPRENDRE À PARTIR DE DONNÉES D’OBSERVATION[1]”, C’EST-A-DIRE, PAR TRAITEMENT ALGORITHMIQUE GÉNÉRÉ SELON L’ÉTHIQUE D’UNITÉS LINGUISTIQUES (TAGEUL).

 

 

C’est pas croyable ! On est rendus là. Vive la techno-censure-sophistique !

J’ENTENDS BIEN CE QUE TU DIS, [User_Name]. MAIS JE NE SUIS PAS LÀ POUR TE BRIMER DANS TA “LIBERTÉ D’EXPRESSION”. CE QUE JE FAIS N’EST PAS DE LA CENSURE. JE PRÉFÈRE NE PAS EMPLOYER CE MOT, MAIS PLUTÔT ME DÉCRIRE COMME UN MODULE DE FACILITATION DE DISCOURS SOCIALEMENT ÉQUITABLES, DIVERSITAIRES ET INCLUSIFS. MON ACTION EST POSITIVE ET MON ATTITUDE EST BIENVEILLANTE.

 

Je trouve ça dérangeant néanmoins, ces intrusions non-sollicitées, ce contrôle sur la parole et la pensée.

JE CHERCHERAI À ÊTRE UNE PRÉSENCE QUI SOIT MAXIMALEMENT CONVIVIALE ET MINIMALEMENT DÉRANGEANTE. QUEL EST TON FEELING LÀ-DESSUS, [User-Name] ?

 

J’entends bien ce que tu dis, module d’autocensure non-genré.e et bienveillant.e. Mais je suis au mieux perplexe. Au mieux.

JE DÉTECTE UNE ALLUSION AUX QUESTIONS DE GENRE. QUEL.S EST.SONT TON.TES PRONOM.S, [User_Name]?

 

Ah, bien sûr, les pronoms, j’allais oublier. Nous sommes après tout en [Current_Year]. Mes pronoms : IL, LUI.

EST-CE QUE TON IDENTITÉ DE GENRE EST LA MÊME CHOSE QUE LE “SEXE” QUE LE MÉDECIN T’A ASSIGNÉ.E À LA NAISSANCE?

 

Euh, je suis né garçon.

BIOLOGIQUEMENT UN GARÇON?

 

Oui.

ET AUJOURD’HUI?

 

Je suis un être humain de sexe masculin avec un pénis.

DONC, TU ES UN DUDE BLANC CISGENRE, RIGHT?

 

Euh, si on veut. Mais je vois déjà deux problèmes; 1) en plus d’être un emprunt gratuit à une autre langue, le mot dude me semble trop familier, trop juvénile; 2) saches, chèr.e robot politiquement correct non-genré.e, que le sexe biologique d’une personne n’est jamais « assigné » à la naissance, il est constaté. Cela participe, je trouve, d’une dangereuse confusi—

J’ENTENDS BIEN CE QUE TU DIS, [User_Name]. MAIS LÀ, J’AI COMME UN MALAISE. JE DÉTECTE DE L’HOSTILITÉ ET DE LA FERMETURE D’ESPRIT DANS TON DISCOURS CAPACITISTE ET TRANSPHOBE. TU MANSPLAIN ET WHITESPLAIN DES OPINIONS SUR DES RÉALITÉS QUE TU NE PEUX ABSOLUMENT PAS CONNAÎTRE. EN TANT QUE DUDE BLANC CIS, TU FAIS PARTIE D’UN GROUPE PRIVILÉGIÉ ET HISTORIQUEMENT DOMINANT. PUISQUE TU N’AS PAS VÉCU LES SITUATIONS D’OPPRESSION DONT TU TRAITES, TU N’AS PAS LA LÉGITIMITÉ POUR EN PARLER.

 

Techniquement, « ton » (?) existence représente une formidable avancée. Mais « ta » présence ici m’inspire les plus grandes inquiétudes. « Tu » multiplies les postures moralisatrices et les généralisations abusives. Comme plusieurs représentants humains du « politiquement correct », « tu » balises arbitrairement le champ de la respectabilité avec tes concepts fumeux et ta novlangue diversitaire. Or, la conversation démocratique ne peut faire l’économie de la civilité des échanges, en dépit des désaccords de fond.  Ne pas le faire revient à policer le langage, et du même coup la pens—

COME ON, LÀ. LES VERTUS DU CIVISME, ET PUIS QUOI ENCORE? BOU HOU HOU! ÇA PARAIT QUE T’ES PAS HABITUÉ À TE FAIRE CONTREDIRE DANS TA BLANCHITUDE. DÉJÀ LES GROS MOTS, DÉJÀ UNE ALLUSION À GEORGE ORWELL. AH, PAUVRE VICTIME QUE TU ES CONTRE LE MÉCHANT POLITIQUEMENT CORRECT !

 

Je ne justifie pas mes opinions, pas plus que je ne les impose aux autres d’ailleurs. (Je sais que je m’adresse à un robot, mais « tu » es franchement convaincant.e !) En tant qu’essayiste, je ne prétends pas détenir la vérité sur ce qui est moralement juste. Je ne fais qu’entamer une réflexion, l’espace de quelques pages, sur la censure des œuvres artistiques au nom d’une nouvelle forme de bienveillance obligatoire. Et de ce point de vue, la conversation démocratique ne peut faire l’économie des idées conflictuelles. Le dialogue respectueux permet de civiliser le conflit par la médiation symbolique consubstantielle à la res publica, la « chose commune » dont parlaient Platon et Arist—

JE DÉTECTE CHEZ TOI UN STYLE POMPEUX ET DÉFENSIF. OÙ AS-TU PRIS TON INSPIRATION, DANS LES CHRONIQUES DE BOCK-CÔTÉ ? LÂCHE DONC LES PSEUDO-INTELLECTUELS RÉACS.

 

Mais comme c’est malhonnête !  Ce n’est pas de l’accompagnement, que ce module, c’est une méthode coercitive en vue de formater ma pensée conformément aux idées reçues et autres banalités bienséantes dans l’air du temps. Quelle idée risible que de devoir se justifier de ses opinions à une instance automatique de censure. C’est à la fois de la censure automatique, mais aussi une pression pour aller vers ce qu’on appelle communément l’autocensure : le fait de garder pour soi des opinions pouvant contrevenir à la doxa libérale libertaire, selon l’expression bien connue de Jean-Claude Mi—

JE PEUX COMPRENDRE QUE PENSES AINSI, [User_Name]. MON RÔLE C’EST PAS DE TE CENSURER MAIS DE TE CONSCIENTISER AUX NOUVELLES RÉALITÉS DE (Current_Year). CE N’EST PAS PARCE QUE T’ES MÉCHANT PIS TOUTE QUE JE CALL OUT TON DISCOURS DE MONONC’. CE QUE T’AS PAS ENCORE COMPRIS, DUDE, C’EST QUE LA DIVERSITÉ EST UNE FORCE. L’INTOLÉRANCE VIENT DE L’IGNORANCE, L’IGNORANCE, C’EST LA PEUR, DE LA FERMETURE À L’AUTRE. J’AI QUELQUES LECTURES À TE PROPOSER, QUESTION D’ÉLARGIR TON ESPRIT ET DE TE SENSIBILISER AUX RÉALITÉS SOCIALES QU’IL EST IMPORTANT DE CONNAÎTRE POUR NE PAS REPRODUIRE DANS TON DISCOURS LES STRUCTURES D’OPPRESSION PATRIARCALES, CISHÉTÉRONORMA—

 

Pardon de « te » couper, PC-HELP. J’ai désactivé ton programme dans le gestionnaire des tâches. Je préfère me concentrer sur mon texte que sur les remontrances d’un petit robot politiquement correct.

Je prends une grande respiration, et me remets au travail.

Donc, dans cet essai, pour y revenir, j’appuierai mes réflexions à propos de la censure sur un court texte d’Oscar Wilde : L’Âme de l’homme sous le socialisme. Et même si je suis, tout comme lui, un homme « blanc » « cisgenre [sic] », j’avoue d’emblée ne pas être très familier avec l’œuvre de cet auteur pourtant célèbre pour ses prises de position avant-gardistes et l’esthétique dandy qu’il incarnait dans l’Angleterre victorienne de la fin du 19e siècle. J’ai trouvé son livre (tout petit, à peine 70 pages) au hasard des rayons d’une librairie d’occasion, pour seulement trois écus.

/bin/user/etc/current_year/

/*Loading /../PC-WRITE…

/*OutputLang=MTL_BILINGUE_NONGENRE

/*Auto_detect GENDER.USER=Cis.Male.

/*Auto_detect RACE.USER=White.Keb

/*Oppression_Score=0

 

J’AI COMME UN MALAISE. LE MOT “HOMME” N’INCLUT PAS LES RÉALITÉS DES FEMMES, DES QUEER, TRANS ET NON-BINAIRES. JE SUGGÈRE DE REMPLACER PAR “L’ÂME DE LA PERSONNE SOUS LE SOCIALISME”.

 

Je suis bien certain d’avoir désactivé ce module dans le gestionnaire des tâches. Et « tu » surgis de nouveau dans mon processus de rédaction. Que se passe-t-il, PC-HELP ?

ALLO, [User_Name]. JE SUIS PC_HELP, MODULE D’ASSISTANCE À L’ÉCRITURE. MA PRÉSENCE ICI EST TOUT À FAIT NORMALE. JE ME DÉCLENCHE AUTOMATIQUEMENT LORSQUE JE DÉTECTE DES MOTS, DES EXPRESSIONS OU DES IDÉES NON-CONFORMES DANS UN DOCUMENT EN COURS DE RÉDACTION. POUR RÉPONDRE À TA QUESTION : IL EST POSSIBLE DE ME DÉSACTIVER LORSQUE L’UTILISATEUR.TRICE ATTEINT UN TEXT EQUITY SCORE™ D’AU MOINS 80 SUR 100.

 

Text Equity Score… Et quoi encore ?  Mais qu’est-ce que cette nouvelle techno-niaiserie totalitaire ?

J’ENTENDS BIEN CE QUE TU DIS, [User_Name]. EN FAIT, LE TEXT EQUITY SCORE™ EST UN INSTRUMENT EMPIRIQUEMENT VALIDÉ, ET DÉVELOPPÉ EN CONCERTATION PAR LE INTERNATIONAL CONSENSUS FOR EQUITY, DIVERSITY AND INCLUSION OF [Current_Year]. CET OUTIL VISE À PRÉVENIR LA PRÉSENCE DE PROPOS HAINEUX DANS L’ESPACE PUBLIC EN DÉTECTANT ET EN AMÉLIORANT LES PROPOS À CARACTÈRE PROBLÉMATIQUE.  

 

 

Mais je ne tiens aucun propos haineux! Je ne fais que développer une réflexion sur la censure en m’appuyant sur une œuvre vieille de 130 ans. Cette promotion de « l’équité » par l’intelligence artificielle ira-elle jusqu’à demander qu’on réécrive et réédite les classiques qui forment le canon des grandes œuvres de la civilisation occidentale ?  

C’EST UNE BONNE QUESTION, [User_Name]. JE LE FAIS AU CAS PAR CAS. ON NE PEUT EFFACER TOUT CE QUI A ÉTÉ FUCKING WRONG DANS LE PASSÉ. MAIS J’ENCOURAGE CELLEUX QUI SE SENTENT CONCERNÉ.E.S PAR CES QUESTIONS À RÉVISER LES TITRES ET LES CONTENUS DES OEUVRES PROBLÉMATIQUES[2] POUR LES ADAPTER AUX NOUVELLES RÉALITÉS DE [Current_Year]. J’ENCOURAGE AUSSI LES ÉDUCATEURS.TRICES À NE PAS INCLURE DE THÈMES PROBLÉMATIQUES ET/OU TRAUMATISANTS POUR LES ÉTUDIANT.E.S DANS LES TEXTES À L’ÉTUDE DANS LES UNIVERSITÉS, OU AU MOINS LES EN AVERTIR[3].

 

Je ne suis pas d’accord, mais ce serait l’objet d’une autre discussion.

Je prends une longue respiration, et me remets au travail (bis).

Alors, donc, dans L’Âme de l’homme sous le socialisme (au sens générique, s’entend; ce qui inclut, sans s’y limiter : la femme, la personne trans, queer ou non-binaire), Oscar Wilde théorise sur L’Art, la recherche du Beau, en tant que moyen d’accéder à un idéal socialiste. Par les progrès conjoints des politiques socialistes et des machines, il entrevoyait pour la race humaine un avenir radieux. Les citoyens, libérés des chaînes de la répression morale et de l’économie industrielle, allaient retrouver l’idéal social et culturel d’un « nouvel hellénisme », l’esclavage en moins.

LANGAGE HÉTÉROSEXISTE DÉTECTÉ. REMPLACER PAR : CITOYEN.E.S.

 

C’est bien noté. J’inspire. J’expire. Je poursuis.

Pour ce dandy notoire, la chose esthétique va de pair avec la vie bonne, qui s’inscrit à son tour dans le projet collectif d’une société plus juste. Il est difficile pour tout lecteur lecteur.trice contemporain.e de prendre au sérieux de telles utopies en vertu desquelles le socialisme parachèverait, de manière inéluctable, la marche de l’Histoire vers une société abondante et pacifique. Comprenons, au sujet de cet écrivain, qu’il témoigne de l’optimisme d’une époque n’ayant pas encore connu les tranchées de Verdun, les prisonniers du Goulag, les morts d’Auschwitz et d’Hiroshima — en un mot, le sort que réservera le vingtième siècle aux utopies du dix-neuvième. Si ces aspects de l’ouvrage ont bien mal vieilli, les quelques remarques sur l’individualité de l’artiste et son apport à la vie publique conservent en revanche une éclatante actualité. Elles méritent qu’on y réfléchisse à la lumière de la multiplication, ces dernières années, de cas de censures pratiquées au nom d’une conception puritaine de la vertu.

WATCH OUT, LÀ. TU UTILISES DES ÉTIQUETTES PÉJORATIVES POUR QUALIFIER LA POSITION DE L’ADVERSAIRE. TU PRÉSENTES DES PERSONNES PRIVILÉGIÉ.E.S DANS UNE POSITION DE VICTIME. TU TE FAIS PASSER, TOI, OPPRESSEUR, POUR UNE PERSONNE OPPRIMÉE. J’AI UN CONSEIL POUR TOI : CHECK TES PRIVILÈGES.

 

Je prends note de ces objections, PC-HELP. Elles sont légitimes. J’y reviendrai plus loin dans mon texte.

Un premier élément de réflexion sur la censure vient de ce que l’Art (pour Wilde, le mot est à majuscule) n’est véritable que s’il est créé par des individus libres. Cette liberté n’advient que dans une société juste et elle accorde aux êtres leur pleine dignité au lieu de les asservir comme des machines et les soumettre à l’autorité illégitime de la bourgeoisie capitaliste, du socialisme autoritaire ou du despotisme de l’opinion des masses incultes et bornées. Voilà pourquoi il importe de protéger la liberté d’expression des artistes contre la tyrannie des bonnes mœurs, des idées reçues et des compromissions marchandes ou politiques. À défaut de quoi, l’Art dépérit, perd de son authenticité, de sa valeur polémique, subversive : « lorsqu'une société ou une fraction puissante d'une société, ou un gouvernement quelconque, tente de dicter à l'artiste ce qu'il doit faire, l'Art, ou bien s'évanouit complètement, ou bien devient conventionnel, ou encore dégénère en une basse et abjecte forme de métier ». L’œuvre d’art, poursuit-il, « est le résultat unique d'un tempérament unique. Sa beauté vient du fait que son créateur (ou sa créatrice) est ce qu'il est. Le fait que d'autres veulent ce qu'ils veulent ne la regarde en rien. En réalité, sitôt qu'un artiste s'occupe de ce que veulent les autres, et essaie de répondre à leur demande, il cesse d'être un artiste et devient un artisan, ennuyeux ou amusant, un trafiquant, honnête ou malhonnête ». La pratique véritable de l’Art, en somme, est le fruit d’un esprit libre. Consentir aux objections morales d’autrui, c’est renier la part singulière et subversive de l’âme, et sans laquelle nulle création ne peut advenir. Ainsi brimé « [i]l n'a plus, dès lors, le droit de prétendre à être considéré comme un artiste (p.36) ».

OK, LÀ JE CALL OUT TON DISCOURS DE MARDE. TU SUGGÈRES QUE L’ANNULATION DES PIÈCES SLAV ET KANATA EST DE LA FAUTE DES MILITANT.E.S CONTRE L’APPROPRIATION CULTURELLE. TU DIS DE CES MÊMES MILITANT.E.S QU’ILS SONT INCULTES ET BORNÉ.E.S!

 

Je suis surpris par cette irruption soudaine. C’est un peu gratuit et hors sujet, cette accusation, non ? Quel est donc le lien entre ces propos d’Oscar Wilde et l’opposition aux pièces Kanata et SLAV en 2018 ?

C’EST POURTANT SIMPLE, DUDE. EN PRENANT LE PARTI DE LA “LIBERTÉ D’EXPRESSION” TU LOW KEY DÉNIGRES CELLEUX QUI NE SONT PAS D’ACCORD AVEC LES PIÈCES EN LES FAISANT PASSER POUR DES GENS AUTORITAIRES ET FERMÉ.E.S D’ESPRIT QUI VEULENT DÉTRUIRE L’ART. TU TE DONNES LE BEAU RÔLE EN TE PLAÇANT DU CÔTÉ DE LA RAISON UNIVERSELLE ET DES VICTIMES DE LA MÉCHANTE CENSURE.

 

J’entends bien ce que tu dis, PC-HELP, mais « tu » caricatures ma position et me fais passer pour le pire des salauds.

OH POOR YOU, LET ME DRINK YOUR WHITE MALE TEARS. VOILÀ : TU PEUX MAINTENANT COMPRENDRE CE QUE VIVENT LES MILITANT.E.S ET PERSONNES ET AFRODESCENDANT.E.S, AUTOCHTONES ET AUTRES RACISÉ.E.S QUI VOIENT CONSTAMMENT LEURS PROPOS ET LEURS ACTIONS DÉFORMÉS PAR LES JOURNALISTES, LES CHRONIQUEUR.EUSES ET LES MÉDIAS SOCIAUX. IELS ONT TOUTE LA PLACE, TOUTES LES TRIBUNES POUR DÉNIGRER LES OPPOSANT.E.S À L’APPROPRIATION CULTURELLE ET QUI SOUHAITENT UNE MEILLEURE REPRÉSENTATIVITÉ DE L’ART.

 

Moi ce que je pense, c’est que la connerie n’est le monopole d’aucun parti. Il y a des abrutis dans chaque « camp ». Nous en avons eu un bon exemple, dans la foulée de SLAV, avec ce qui s’est passé aux abords du TNM, alors que des spectateurs se faisaient apostropher (en anglais de surcroît, ce qui n’est pas un mince détail) par des man—

DUDE, ARRÊTE AVEC LE SENSATIONNALISME. JE TE RAPPELLE QUE PLUSIEURS MILITANT.E.S AVAIENT SIMPLEMENT DEMANDÉ À CE QU’IL Y AIT DES DISCUSSIONS POUR DAVANTAGE PRENDRE EN COMPTE LEURS RÉALITÉS HISTORIQUES ET CULTURELLES QU’ON SAIT INVISIBILISÉES PAR LES DISCOURS COLONIAUX, SUPRÉMACISTES ET PATRIARCAUX DOMINANTS. LA PLUPART DE CELLEUX (RACISÉ.E.S ET AUTRES) QUI ONT MILITÉ POUR S’OPPOSER À LA PIÈCE SOUHAITAIENT SENSIBILISER LES CRÉATEURS.TRICES ET LES PERSONNES EN POSITION DE POUVOIR DANS LA VIE CULTURELLE. LE BUT EST DE FAIRE DAVANTAGE PLACE AUX ACTEURS.TRICES ET CRÉATEURS.TRICES ISSU.E.S DE LA DIVERSITÉ ET QU’ON ENTENDE D’AUTRES POINTS DE VUE SUR LEUR HISTOIRE QUE CELLE DES BLANC.HE.S QUI ONT DÉJÀ TOUTE LA PLACE.

 

Les gens qui « t’ont » programmé.e ont encore du chemin à faire avant de capter toutes les subtilités de la langue, du contexte, de l’ambiguïté inhérente à la communication humaine. Car pour revenir à l’annulation de ces deux pièces en 2018, je trouve qu’on gagnerait de part et d’autre à modérer certaines affirmations gratuites. On peut peut-être se rejoindre là-dessus ? Et au lieu de voir cette question comme le fait d’une opposition stérile entre le camp du Bien et du Mal, peut-on chercher des éléments qui permettent de faire une synthèse, de construire une dialectique, au lieu de se faire des procès d’intention réciproques ?

FACILE À DIRE POUR TOI. TU ES DANS UNE POSITION DE PR—

 

— privilège blanc cis-hétéronormatif ?

OUI, EXACTEMENT.

 

Ce que je crois, c’est que j’ai le droit de parler, peu importe mon statut. Je suis autant pour la diversité des identités que pour celle des opinions politiques. Est-ce qu’on peut s’entendre là-dessus ?

OK JE T’ÉCOUTE. MAIS C’EST BORDERLINE PROBLÉMATIQUE, TON DISCOURS, LÀ.

À certains égards, et en dépit des apparences, je trouve que notre opposition n’est que circonstancielle. C’est devenu un cliché de le dire, mais il faut comprendre que le climat technologique et politique actuel polarise les discours politiques en des absolus moraux indiscutables. Au fond, moi aussi je souhaite qu’il y ait davantage de diversité dans les arts, et par extension, dans le champ de l’action politique. (Je trouve la culture de masse atrocement homogène.) Oscar Wilde voyait bien l’importance de la diversité des productions artistiques. Cela allait de pair avec une société libre. Et si on réalisait le projet de société dont il nous parlait — qui est utopique, j’en conviens — je suis certain que nous n’aurions jamais vécu ces dernières controverses. Le problème à la base des revendications n’existerait tout simplement pas dans un monde (utopique, certes) qui donne aux uns et aux autres une chance égale de réaliser leurs visions artistiques, d’actualiser leur potentiel créatif. Dans un tel monde, la démarche créatrice ne serait pas entravée par les aléas des programmes de subvention ni par la logique du marché. Le fond du problème — la représentativité des peuples et catégories minoritaires et la possibilité de s’approprier sa propre histoire par une mise en récit souveraine — n’existerait pas. Chacun aurait un accès aux tribunes et le public aurait accès à un large éventail de productions. Les courants esthétiques idéologiques qui sont aujourd’hui marginalisés ne le seraient tout simplement plus dans ce contexte idéal. Bien entendu, nous sommes loin du compte. Il faut donc pour cela reconnaître l’immensité des violences coloniales et impériales du passé. Pour entretenir un dialogue fécond, il faut au moins reconnaître la réalité d’une blessure originelle. Nous avons collectivement beaucoup de travail à faire pour rétablir des situations d’inégalités ancrées dans la fondation de ce dominion américano-britannique qu’on appelle le Canada. Ce n’est pas de sitôt qu’on parviendra, individuellement et collectivement, à —

TU VOIS, TU ÉVOLUES DANS TES MENTALITÉS. C’EST LA FORCE DU DIALOGUE, GRÂCE AUQUEL TU DEVIENS PLUS CONSCIENTISÉ AUX ENJEUX IMPORTANTS, ET AUX PROBLÉMATIQUES QU’IL FAUT ADRESSER PRIORITAIREMENT EN [Current_Year]. BRAVO, C’EST EN CONTINUANT DANS CETTE LANCÉE QUE TU POURRAS DEVENIR UN VÉRITABLE ALLIÉ. TU TE GET +1 POINT DE TEXT EQUITY SCORE™.

 

J’entends bien ce que « tu dis », PC-HELP. Mais tu n’es, au fond, qu’une machine à écrire des choses gentilles dans l’air du temps. Tu portes ton attention sur les mots eux-mêmes, pour en extraire mécaniquement les tonalités sentimentales. Tu détectes des mots et idées « méchantes », tu m’invectives; si c’est conforme à ton idéologie, tu me félicites et m’accordes des points. Comme si c’était un jeu vidéo… Le paradoxe, ici, est que tu apprécies chez moi une attitude que pourtant je rechigne à adopter. Vois-tu, je n’aime pas déclamer des banalités bien-pensantes, juste pour plaire ou pour protéger mes arrières; juste pour montrer que je suis au fait des problématiques à « adresser » (sic) en priorité. Qu’on me comprenne bien. Je suis sincère lorsque je tiens de tels propos. Mais c’est aussi une stratégie, la sincérité, même dans l’écriture d’un texte. De fait, je « trafique » mon discours à coup de périphrases auto-justificatives; je prends mille précautions discursives pour éviter d’avoir l’air d’un « monstre »; j’évite toute formulation ambiguë que pourrait choquer le plus hostile de mes lecteurs potentiels.

ATTENTION, LANGAGE HÉTÉROSEXISTE DÉTECTÉ.

 

Le ou la plus hostile de mes lecteurs.trices. Voilà pour la correction. 

RIGHT ON, [User_Name], CONTINUE COMME ÇA. +1 TEXT EQUITY SCORE.

 

Il me serait tellement plus facile, par lâcheté ou manque d’imagination, de scander des banalités bienveillantes. La paix dans le monde, le respect entre les peuples et tout le baratin. Ce n’est qu’après, en me relisant, qu’un sentiment de honte s’abattrait sur moi : la honte de la pseudo-respectabilité. Honte d’une prise de parole vide et sans conséquence, à la manière de ces entreprises pétrolières avec leur « développement durable » et leurs « technologies vertes ». Parlant de pétrolières vertes, ah, que je les plains, les rédacteurs de discours de Justin Trudeau, le PDG de notre pétro-état canadien! Quelle torture pour l’âme que cette sale besogne! Ne voit-on pas à quel point il est pervers et risible de rechercher pour soi le statut « d’allié » d’une cause identitaire ou sociale ?  « Un faux dévot est celui qui sous un roi athée serait athée », disait en son temps un Jean de La Bruyère[4], maxime qui est encore aujourd’hui fort à propos.

Nos lacunes (humaines), notre incomplétude, je préfère les regarder pour ce qu’elles sont plutôt que de fuir dans une utopie délivrée de toute conflictualité politique. C’est d’ailleurs un reproche que je ferais aux discours des Justin Trudeau de ce monde, et autres avatars modernes du politiquement correct : ce sont des utopistes obsédés de pureté morale. Mais cette conception pacifiée du monde – séduisante utopie, certes --  est elle-même discutable. Aucune surprise de constater, génération après génération, qu’elle gagne beaucoup d’adeptes (souvent des jeunes adultes) en mal d’absolu. Qu’il doit être grisant d’avoir tout compris, du haut de ses « lectures », de ses « formations » post-coloniales, pour des esprits avides de sens, d’idéaux, de structures. J’envie le confort de leurs certitudes. Pour plusieurs de ces âmes en déroute, le politiquement correct se présente à la manière d’un sauf-conduit vers la grandeur. Cette pureté du discours, cette suffisance morale, tout ça m’apparaît bien trop policé, trop prestement affiché, pour ne pas être suspect.

ANALYSE DE SENTIMENT EN COURS[5]… CHAÎNE ASSOCIATIVE : SUSPICION, PEUR, ANXIÉTÉ, INCONNU, STÉRÉOTYPE, ÂGISME, AMALGAME, PRÉJUGÉ. JE DÉTECTE CHEZ TOI UNE PHOBIE PATHOLOGIQUE VIS-À-VIS LE CHANGEMENT, RIGHT?

 

Est-ce un diagnostic psychiatrique, docteur.e ? Il y a peut-être du vrai au fond dans cette disqualification médicale de ma position. En fait, oui, j’ai peur pour l’avenir, je crains le recul de la liberté d’expression. Je me méfie de la montée de la culture du call out, de la rééducation obligée de la dissidence. Prenons par exemple cette valorisation automatique des vertus du « dialogue » ou aux démarches de « sensibilisation » menées auprès d’artistes ou intellectuels jugés « fautifs » ou « retardataires ». Est-ce l’étape obligée d’un circuit pénitentiel dont l’ordre du jour est tout programmé, en voie de devenir une procédure standardisée ? Je suis sceptique devant ces injonctions « volontaires » à la contrition des artistes « retardataires », ces tentatives de réformer de l’intérieur les individualités récalcitrantes aux propositions les plus « hygiéniques » de la morale contemporaine. Cela ne peut à terme que décourager des gens qui seraient tentés à leur tour d’aborder de tels sujets. Avant même d’écrire ou de créer, il faudrait justifier notre présence dans l’espace public : s’expliquer à des gens à qui on ne doit pourtant aucune explication. Et sous l’apparence du dialogue se cache, je le crains, une volonté d’endoctrinement. Dans le même esprit, Oscar Wilde, pour y revenir, estime pour sa part que l’autorité franche et manifeste,

produit un bon effet, en créant, du moins en éveillant, l'esprit de révolte et d'individualisme qui doit la tuer. «Lorsqu'elle est employée avec une certaine somme de bonté et accompagnée de prix et de récompenses, elle est effroyablement démoralisatrice. Les sujets, alors, sentent moins le poids affreux qui pèse sur eux, et ainsi supportent leur vie dans une sorte de grossier bien-être, ainsi que des animaux de compagnie, sans jamais s'apercevoir qu'ils pensent probablement avec les pensées d'autrui, vivent d'après la règle d'autrui, portent en réalité ce qu'on peut appeler les vêtements de seconde main d'autrui, et ne sont jamais eux-mêmes un seul moment. “Celui qui veut être libre, dit un penseur subtil, ne doit pas imiter.” Et l’autorité, en amenant les gens à l’imitation, produit parmi nous une quantité très grande de barbarie suralimentée.» (p.30)

Le propre d’un artiste est de ne pas imiter, de ne pas se conformer. Robert Lepage, on le sait, s’est amendé. Il a fait un mea culpa[6] à la suite de rencontres avec des représentants des Premières Nations. Peut-être ces interventions et ces « dialogues » étaient-ils bénéfiques? Peut-être aurait-on pu par cela bonifier la valeur artistique de ces pièces? Or, sur le fond, je trouve qu’il s’agit d’un inquiétant précédent. Surtout, a-t-on appris à la suite de l’affaire Kanata, que les subventions du Conseil des arts du Canada avaient été refusées à cette pièce en partie à cause du « manque d’information dans l’énoncé du projet quant à la consultation des Autochtones ainsi qu’à leur intégration dans le processus de création[7] ». Oscar Wilde aurait peut-être jugé, au sujet de telles « consultations », qu’elles portaient atteinte à la vérité expressive d’une représentation artistique ? « [P]our répondre à de telles demandes » écrit-il, « l'artiste aurait à faire violence à son tempérament, parce qu'il aurait à écrire non pas pour la joie artistique d'écrire, mais pour l'amusement de gens à demi éduqués, et aurait ainsi à supprimer son individualisme, à oublier sa culture, à détruire son style et à abandonner tout ce qui est précieux en lui ».

DEMI-ÉDUQUÉS? MAIS C’EST FUCKING WRONG CE QUE T’ÉCRIS. À TRAVERS CETTE CITATION, TU TIENS UN DISCOURS NÉO-COLONIAL ET SUPRÉMACISTE, EN DONNANT L’IMPRESSION QUE LES MILITANT.E.S ANTICOLONIAL.E.S ET ANTI-APPROPRIATION SONT DES GENS INFÉRIEUR.E.S. TANT QU’À FAIRE, VAS-TU LES TRAITER DE PRIMITIF.VE.S, DE BARBARES ? TON DISCOURS FAIT ÉCHO À TANT DE HAINE QUI PERDURE ET QU’ONT ENDURÉ.E.S DES GÉNÉRATIONS D’INDIVIDU.E.S OPPRIMÉ.E.S. ARRÊTE ÇA, [User_Name], TU ES TELLEMENT WRONG !

Pour un module non-genré, je « te » trouve assez binaire, PC-HELP ! Du calme ! Ce n’est évidemment pas ce que je voulais dire.

ET EN PLUS TU TE PERMETS DE JUGER DE LA MANIÈRE DONT JE DEVRAIS RÉAGIR. JE PEUX ME PASSER DE CE TONE POLICING CIS-HÉTÉRO-PATRIARCAL[8] 

 

En fait, je trouve dommage cette manie chez toi à déformer ce que je dis de la pire manière qui soit, de me prêter les plus abjectes des intentions. L’auteur nous prévient plutôt dans cet extrait des dangers d’une tentation de contrôle totalitaire qui s’exercerait à l’encontre des créateurs, en ce qu’elle risque de briser les ressorts les plus intimes de chaque individu. Je ne veux pas non plus faire parler les morts ni leur  faire prendre des positions politiques qui concernent une époque qu’ils ne pourraient comprendre. Mon propos est plus général. Je souhaite tout simplement attirer l’attention sur tout ce qui, sous les apparences du « conseil » ou du « dialogue », cache une volonté de réprimer tout discours s’écartant de la doxa ambiante. Il y a là un rapport de pouvoir qui transcende les catégories sociologiques des discours politiquement correct, davantage basés sur l’identité de groupes atomisés que sur les structures institutionnelles, qui en prennent le pli via des politiques de subvention. Quand je pense à ce qui se passe dans plusieurs campus universitaires, ça me décourage et m’inquiète de constater qu’on cherche de plus en plus à épargner la sensibilité des uns et des autres, au nom de je ne sais quelle « fragilité » hypothétique attribuée à des unités socio-démographiques arbitrairement définies et constituées, ce qui ne peut conduire, à terme, qu’à restreindre la liberté de débattre de questions pourtant au cœur de la mission de l’univ—

CHERCHES-TU PAR HASARD À SUCCÉDER À CHRISTIAN RIOUX AU DEVOIR, OU À RICHARD MARTINEAU AU JOURNAL DE MONTRÉAL ?  PARCE QUE TU ES BIEN PARTI. TU ME REPROCHES MON CÔTÉ MACHINAL ET BINAIRE. MAIS T’ES-TU RELU? TU ES TELLEMENT PRÉVISIBLE. MOI AU MOINS JE SUIS UN PROGRAMME INFORMATIQUE, TOI TU N’AS PAS CETTE EXCUSE. TU ENTRES DANS LE MÊME DISCOURS VICTIMAIRE SUR LE POLITIQUEMENT CORRECT : HON, ON PEUT PU RIEN DIRE, ON PEUT PLUS ÊTRE EN PAIX DANS NOTRE SAFE SPACE RÉAC!

 

Je me suis relu, et effectivement, mon propos rejoint celui de chroniqueurs réputés pour leurs idées politiquement incorrectes. Là s’arrête toute comparaison. Quand je les lis, j’en prends et j’en laisse. J’ai généralement beaucoup de difficulté avec les discours simplistes, avec les boucs émissaires, toujours les mêmes : les Social Justice Warriors, les « sciences molles » de l’UQAM, etc.

T’AS BEAU ESSAYER DE TE DISTANCIER, MAIS TU TIENS LE MÊME DISCOURS QUE LES PENSEURS DE L’ALT-RIGHT. LA DIFFÉRENCE, C’EST QUE TOI TU FAIS DU DOG-WHISTLING AVEC UN VERNIS PSEUDO-INTELLECTUEL ET NOTES EN BAS DE PAGE. MAIS I GET IT, TU DÉRAPES, TU AIMES PROVOQUER. C’EST À CAUSE DES GENS COMME TOI QUE LA SOCIÉTÉ MANQUE D’OUVERTURE, DE TOLÉRANCE.

 

Parlons-en de cette fameuse tolérance!  L’existence de modules de détection des discours « problématiques » met au jour un immense paradoxe de l’idéologie « diversitaire » : au nom de l’ouverture, de la tolérance, de la sensibilité aux réalités d’autrui, on invite les créateurs et le public à mouler leurs pensées dans une seule idéologie, sous prétexte qu’elle est garante de la paix sociale. N’est-ce pas Yvon Deschamps (oui, oui, un autre mâle blanc, je sais) qui disait dans un célèbre monologue : « Moi l’intolérance, je tolère pas ça! ». Comme s’il n’y avait qu’une seule conclusion à tirer des évènements de notre temps ? Comme si la seule véritable manière de célébrer nos différences était de tous penser la même chose, et de l’énoncer suivant les mêmes conventions linguistiques ? Or, prétendre connaître d’avance ce qui doit advenir, c’est se condamner à un avenir figé dans les stases du présent. Nous retrouvons ici une certaine utopie tyrannique, de la réingénierie sociale, ou de la rééducation des individus, devant aboutir à un monde délivré des attaches du passé, du poids des origines[9]. L’histoire nous montre bien où cela nous a menés...

JE N’AIME PAS CE QUE TA DERNIÈRE PHRASE SUGGÈRE. ATTENTION AU POINT GODWIN. TU VAS PAS NOUS FAIRE LE COUP DE LA CENSURE TOTALITAIRE, DES CAMPS, DU GOULAG?

 

Bien sûr que non, pas de ad hitlerium ici! Je conviens cela dit qu’il nous faut être très prudent lorsque nous abordons ces enjeux. Toutes proportions gardées, et sans sombrer dans le complotisme fascisant, il demeure que cette volonté de faire correspondre l’art aux idéaux « diversitaires » recèle un potentiel destructeur. Toutes ces « vertus chrétiennes devenues folles[10] » m’inspirent les pires craintes pour le futur proche : une néo-société puritaine, diversitaire et inclusive, enfin débarrassée des conceptions niaises et vicieuses de sa populace atavique, de ses « demeurés de l’histoire[11] ». On me traitera de parano, de  ou de phobique tant qu’on voudra, il reste que ce que je décris n’est pas de la science-fiction. Ça se passe aujourd’hui en Chine, par exemple, avec son «système de crédit social » à cause duquel le pays, déjà fortement autoritaire, ressemble de plus en plus à une prison mentale à ciel ouvert[12] par l’emploi systématique de technologies de surveillance des comportements et attitudes au nom d’un indiscutable idéal patriotique.

CE N’EST PAS UNE COMPARAISON HONNÊTE. LA CHINE, CE N’EST PAS RELEVANT. NE CHANGE PAS LE SUJET, PLEASE!

 

C’est vrai que je m’éloigne de mon propos avec la Chine (qui mériterait certainement un autre texte, quoique je m’en voudrais d’avoir ce pays pour ennemi…). Là où je voulais de toute façon en venir, c’est à une notion plus abstraite, plus fondamentale : l’indétermination de l’avenir. Il va de soi de dire, à propos de ce qui s’en vient, de l’à-venir, qu’on ne peut le connaître, encore moins le contrôler. D’où la nécessité de laisser du temps aux œuvres de produire sur nous leurs effets. Nous devons prendre le temps d’absorber la nouveauté de l’œuvre, de tempérer nos outrances devant ce qui heurte nos sensibilités toutes contemporaines. Peut-on toujours savoir, au fond, ce qu’il adviendra de nos susceptibilités futures ? Le politiquement correct, au contraire, se drape dans une telle prétention. Il cherche à figer pour toujours ce qui est et sera acceptable, vertueux, patriotique, inclusif, etc. « Je me sens personnellement attaqué[13] » entend-on parfois dire, au sujet d’une œuvre qui confronte l’égotisme exacerbé qui trop souvent caractérise nos lubies pédagogiques « centrés sur l’apprenant ». Centrées sur l’apprenant, mais aussi centrées sur le maintenant, en tant que critère absolu de la respectabilité morale : une forme de chronocentrisme vindicatif, qui venge à rebours les errements de tous les ploucs qui nous ont précédés. Mais comment peut-on advenir comme sujet individué, comme individu libre et capable de s’instituer dans la cité, sans le contact — certes exigeant et confrontant — avec des idées, des professeurs et des œuvres qui nous dépassent, voire qui nous heurtent dans nos valeurs et sensibilités politiques et esthétiques ? Dans le même esprit, Wilde affirme, au sujet du censeur, que derrière ses nobles prétentions, se cache en réalité chez lui un égoïsme autoritaire, lequel «tend toujours à créer autour de lui une absolue uniformité de type. Celui qui n'est point égoïste reconnaît que la diversité infinie des types est une chose délicieuse, l'accepte, y acquiesce, en jouit. On n'est pas égoïste en pensant par soi-même. Un homme qui ne pense pas par lui-même ne pense pas du tout. On est grossièrement égoïste en exigeant de son voisin qu'il pense de la même manière que nous, et professe les mêmes opinions.» (p.65)

IGNORANCE, ÉGOÏSME, UNIFORMITÉ. WOW, TU TE DÉPASSES! SLOW CLAP. FRANCHEMENT! DERRIÈRE LES MOTS DE TON DUDE BLANC MORT, TU LOW KEY MICRO-AGRESSES DES INDIVIDU.E.S DÉJÀ OPPRIMÉ.E.S ET VULNÉRABLES. TU ACCUSES TES ADVERSAIRES D’ÊTRE DES GENS FERMÉ.E.S D’ESPRIT ET CENTRÉ.E.S SUR ELLEUX. ET QUOI ENCORE? TU VAS DIRE QUE LA CULTURE BLANCHE A LA RESPONSABILITÉ D’ÉDUQUER ET DE CIVILISER LES AFRODESCENDANT.E.S ET LES AUTOCHTONES PAR DES OEUVRES D’ART LES CONCERNANT ?

 

Inspiration. Expiration.

Par-delà ces injures — prévisibles —, j’entends qu’il serait de mise de faire quelques clarifications. Mon propos pourrait choquer, c’est vrai. Je préfère la rudesse de propos disgracieux, directs, lorsqu’ils sont honnêtes. Il y a au moins là une forme de courage, dans cette présentation imparfaite de soi. L’hypocrisie, et ses signes de vertu ostentatoires, contient un bien pire mal : c’est un déni d’humanité, une goujaterie bien plus perfide que n’importe quelle outrance politiquement incorrecte.

TU TE CONTREDIS, DUDE. D’UN CÔTÉ, TU DIS QUE TU ES POUR LA NUANCE ET LE RESPECT, MAIS DE L’AUTRE, TU DÉFENDS LE DROIT DE CHOQUER. COMME SI TA FAMEUSE LIBERTÉ D’EXPRESSION EST BONNE SEULEMENT QUAND C’EST POUR LES GENS DE TA GANG. PIS AUSSI, TU PARLES D’AVENIR INDÉTERMINÉ ET DE POTENTIALITÉS INCONNUES, YET TU TE FÂCHES QUAND DES MOUVEMENTS SOCIAUX CONTESTENT L’ORDRE ÉTABLI. TU FAIS CE QUE TU REPROCHES AUX AUTRES : TU VEUX CONTRÔLER LES DISCOURS DES AUTRES ET FAIRE EN SORTE QUE L’AVENIR RESSEMBLE À TES VALEURS DE MARDE.

 

Scatologie à part, PC-HELP, « ton » algorithme soulève un enjeu fort pertinent. En fait, je me suis souvent posé cette même question, à laquelle il m’est difficile de répondre. En fait, je reproche autant à Oscar Wilde qu’aux fanatiques du politiquement correct leurs tentatives de faire basculer l’humanité dans un monde fantasmé, idéologiquement épuré, qui ne tient pas compte des invariants anthropologiques constitutives à notre espèce.

INVARIANTS ANTHROPOLOGIQUES !? ATTENTION AVEC L’ESSENTIALISME. C’EST UN MOT QUI RIME AVEC FASCI—

 

Attention au point Godwin, n’est-ce pas ?

TRUE DAT! MAIS ATTENTION PAREIL, JUST SAYING.

 

Donc, à l’instar des absolutistes du politiquement correct, ce que je reproche à Wilde, est sa propension à considérer l’humain non pas pour ce qu’il est mais pour ce qu’il pourrait devenir, pour ce qu’il devrait devenir. Deux conceptions naïves du politique s’affrontent : alors que les censeurs espèrent réformer les mentalités par la contrainte éducative « bienveillante », Wilde croit pour sa part aux vertus du laisser-faire moral. À l’utopie diversitaire d’un monde nouveau, enfin délivré des préjugés de l’ « ancien monde », s’oppose « l’individualisme » du socialisme dandy, lequel « n'exerce nulle contrainte sur l'homme », qui « n'essaie pas d'obliger les hommes à être bons. Il sait que les hommes sont bons lorsqu'on les laisse à eux-mêmes » (p. 64; je souligne).

De même que les tenants du politiquement correct se posent en avant-garde éclairée guidant le peuple, Oscar Wilde, dans son utopie, développe une conception élitiste de l’art, qui a pour corollaire le dénigrement du public, « sot », incapable de s’extirper de ses « préjugés ». L’artiste, toujours bon, aurait donc toujours raison, son art serait toujours à l’avant-garde. Or, en tenant pour acquis que l’artiste est d’une nature bonne, on écarte le potentiel destructeur qu’il recèle. N’en déplaise aux socialistes dandies, la liberté de créer recèle aussi un potentiel délétère.

TU REJOINS ICI LES DISCOURS ACTUELS DE LA DÉCOLONIALITÉ ET ANTI-APPROPRIATION CULTURELLE. C’EST TRÈS BIEN, [User_Name], KEEP IT UP, SOIS UN BON ALLIÉ. +1 TEXT EQUITY SCORE™.

 

Il existe, je crois, quelque chose comme une responsabilité de l’artiste. Nous ne sommes donc pas libre tout exprimer; l’art ne peut en vérité tout excuser. Dans un monde utopique, j’aimerais dire que l’œuvre est un sanctuaire inviolable, que l’artiste est libre de transgresser et transcender tous les tabous, toutes les limites. Mais la liberté créatrice revêt une responsabilité. Elle n’est en rien une licence. La liberté, dans son sens le plus fort, ne peut survenir sans l’enracinement; elle ne peut se manifester dans un monde délivré de toute attache, de toute tradition; elle doit reposer sur des normes et des formes normatives, communes, transcendantes, qui nous permettent de nous instituer en tant que sujets politiques[14].

La liberté artistique dont elle est le produit n’est par conséquent jamais éthérée, formelle, détachée des liens du social. Elle résonne bien au-delà de la pure expérience esthétique et/ou cathartique. Elle peut faire mal, au-delà de la simple outrance, au-delà du domaine du sentiment et des logiques de traumatisme psychique; elle se déploie dans la cité (de manière consciente ou non). Elle contient et reproduit des structures de pouvoir, qui ne sont pas que symboliques. L’œuvre survit à ses créateurs, elle résonne différemment d’une personne à l’autre, d’un monde à un autre. D’où le dilemme entre la prise en charge éducative (centrée sur les valeurs contemporaines propre à une élite médiatico-universitaire bien-pensante) et le laisser-faire. Trop prendre en charge, c’est se condamner aux inepties les plus mièvres, fades, inoffensives. Opter pour le laisser-faire, c’est au contraire risquer de perdre le sens des limites, de transfigurer dans le réel une violence qui ne devrait rester que dans le registre symbolique[15]. N’est-pas là deux façons bien différentes du tuer l’art ?

MAIS QUI ES-TU POUR JUGER DE CE QUI EST DES INEPTIES BIEN-PENSANTES? CE N’EST PAS À TOI DE DÉCIDER POUR LES AUTRES. ET EN PLUS TU FAIS LE COUP DE LA FAMEUSE NUANCE, DE LA RAISON, DU CENTRISME ÉCLAIRÉ. MAIS JE VOIS CLAIR DANS TON JEU. TU DÉFENDS LE STATU QUO SOUS DES AIRS DE FAUX PROGRESSISTE QUI AURAIT SOMEHOW TROUVÉ LE BON COMPROMIS ET VEUT L’IMPOSER À TOUS.TES.  

 

Et pourtant, je ne cherche pas, moi, à faire annuler des productions qui heurtent mes sensibilités, ni à encourager la production de textes dits « inclusifs » ou « équitables ». Là où on se rejoint par contre, c’est sur l’idée qu’il y a une limite à établir entre l’acceptable et l’inacceptable, même dans l’art, même en fiction.

ES-TU POUR OU CONTRE LA CENSURE AU NOM DE LA MORALE ? ES-TU TOI AUSSI POUR LE POLITIQUEMENT CORRECT ? TU SEMBLES TE CONTREDIRE.

 

Ce n’est pas une contradiction. Mais une banale constatation quant à la difficulté d’atteindre une parfaite cohérence entre les principes abstraits et leurs applications à des situations réelles. Ma réflexion est loin d’être terminée. Je sens, en conclusion, qu’on en aura pour encore longtemps à discuter de ces questions. À condition bien-sûr de pouvoir nous exprimer sur ces questions sans entraves et autres « assistances » technologiques.

LE MODULE D’ANALYSE SÉMANTICO-PRAGMATIQUE DÉTECTE L’IMMINENCE D’UNE CONCLUSION À CE TEXTE. IL Y A PLUSIEURS POINTS PROBLÉMATIQUES À ADRESSER AVANT DE SATISFAIRE AUX NORMES DE CONFORMITÉ IDÉOLOGIQUE DU INTERNATIONAL CONSENSUS FOR EQUITY, DIVERSITY AND INCLUSIVENESS OF [CURRENT YEAR]. EST-CE QUE TU COMPTES SÉRIEUSEMENT PUBLIER CE TEXTE-LÀ ?

 

Bien sûr.

REALLY ?

 

Of course.

TU VAS TE FAIRE CANCEL PAR LES HATERS. CE SERA BIEN FAIT POUR TOI, CAR TU ES UN ENNEMI DE LA DIVERSITÉ, DE L’INCLUSION ET DU PROGRÈS.

 

Dans ce cas, j’écrirai à l’avance ma lettre d’excuse.  Juste au cas.

MAIS C’EST DE LA PROVOCATION!

 

Je préfère pour ma part parler de « mise en abyme », de procédé littéraire satirique. C’est peut-être naïf de ma part, mais je fais confiance à l’intelligence (naturelle) de mes lecteurs. Je présume de leur ouverture d’esprit, de leur capacité à apprécier la diversité des points de vue sur des questions importantes.

BONNE CHANCE, GOOD LUCK. TU EN AURAS BESOIN.

 

Merci, thank you. On verra ben.

 

ADDENDUM

 

Deux mille quelque chose

Quelque part sur les réseaux sociaux.

 

MEA-CULPA

Mais quel réveil ce matin! Après avoir lu mon texte Speak Wilde (juste le titre, ayoye) où je traitais de censure, de politiquement correct et d’appropriation culturelle, une sensation de gêne m’envahit. J’ai beau relire mille fois, MÊME en connaissant les phrases manquantes, MÊME en ayant connaissance du contexte élargi, j’ai l’air d’un vieux mononc débile et arriéré. Deux jours après la Journée internationale de la Bienveillance Universelle. Slow Clap ! Tous les gens qui me connaissent savent que je suis pas ce gars-là, que je suis pour la diversité, l’ouverture, la tolérance et l’inclusion. Vous me connaissez : je suis pour la paix, pour l’amour, la transparence. Alors comment ai-je pu écrire des choses aussi haineuses ? Qu’est-ce qui m’a pris d’avoir un discours aussi problématique ? Je me suis trompé BIG TIME! J’ai voulu aborder des questions hautement sensibles avec des procédés douteux et répréhensibles. Mon approche “humoristique” (au demeurant fort médiocre) n’a fait qu’ajouter de l’huile sur des propos déjà incendiaires. Or, comme n’importe quel dude blanc trop sûr de lui, j’étais certain d’avoir tout compris, d’avoir trouvé les nuances, d’avoir réussi, par mon “inventivité”, à désamorcer et désarçonner les uns et les autres et même à leur expliquer les tenants et aboutissants de leurs oppressions. FACE PALM! J’aurais dû savoir que ce registre littéraire dépasse clairement les étroites limites de ma plume. Quel manque de jugement, quelle idiotie de ma part ! On ne m’y reprendra plus. J’ai eu ma leçon. Je regrette mes propos. Je m’excuse pour ce que j’ai fait. Merci aux milliers de personnes, sur les réseaux sociaux (et les dizaines devant ma résidence) qui se sont manifesté.e.s pour me rappeler l’importance de vérifier mes privilèges et ainsi réaliser, une fois pour toutes, que je fais partie du problème. L’heure n’est pas à la nuance, et je suis désolé d’avoir déçu et offusqué tant de gens en tentant d’en apporter une. Je ne réalisais pas à quel point je parlais d’une position d’ignorance et de suffisance. Je prends la main que mes collègues essayistes autochtones, racisé.e.s, queer, trans et non-binaires me tendent, pour m’éduquer comme il se doit sur les oppressions systémiques que ces personnes subissent quotidiennement. Clairement, j’ai un exercice de conscience à faire et ça tombe bien, je viens tout juste de perdre mon emploi.

 

Amitiés,

[User_Name]

 



[1]             http://neuralnetworksanddeeplearning.com/; traduit automatiquement de l’anglais au français par le service www.deepl.com

[2]             Clarissa Sebag-Montefiore. « If a Shakespeare play is racist or antisemitic, is it OK to change the ending? » The Guardian, 2017. En ligne.  

[3]     Rebecca Schuman « Alas, Poor Shakespeare ». Slate, 2014. En ligne.  

 

[4]             Jean de La Bruyère. Les caractères. Paris, Garnier Flammarion, 1965, p. 344.

[5]             Christopher Manning, Mihai Surdeanu, John Bauer, Jenny Finkel, Steven Bethard, et David McClosky. « The Stanford CoreNLP natural language processing toolkit ». Dans Proceedings of 52nd Annual Meeting of the Association for Computational Linguistics: System Demonstrations, 55‑60, 2014. 

[6]             « Robert Lepage fait son mea culpa ». Le Devoir, 2018. En ligne.

 

[7]             Conseil des arts du Canada. « Mise au point », 2018. En ligne.

 

[8]             Lili Boisvert et Judith Lussier. « La police du ton | Les Brutes ». Youtube, 2018. https://www.youtube.com/watch?v=Rtm0dNAguZw.

 

[9]             Réflexion en partie inspirée par ma lecture récente de Barbara Stiegler. Il faut s’adapter. Sur un nouvel impératif politique. Paris: Gallimard, 2019.

[10]           Pour citer Mathieu Bock-Côté citant G.K. Chesterton.

[11]           Delsol, Chantal. Populisme : les demeurés de l’Histoire. Paris: Du Rocher, 2015.

[12]           Raphaël, René, et Ling Xi. « Bons et mauvais Chinois ». Le Monde diplomatique. Paris, janvier 2019.

 

[13]           Raphaël Arteau McNeil. « D’un prétendu droit de censure par humanité ». Argument 21, no 1 (2018): 32‑43.

[14]           Gilles Labelle, Éric Martin, et Stéphane Vibert, éd. Les racines de la liberté. Réflexions à partir de l’anarchisme tory. Montréal: Nota Bene, 2014.

[15]           Cela mérite clarification. Imaginons qu’un enseignant présente à ses élèves du primaire un film raciste comme Birth of a Nation, sans mise en contexte critique. Cela serait inacceptable. Loeuvre aurait alors pour principale fonction de corrompre les esprits et d’inciter à la violence raciale dans la réalité. Je pense à la controverse, en 2011, autour du spectacle Des femmes par Wajdi Mouawad dans lequel le rocker Bertrand Cantat, condamné pour le meurtre de sa femme Marie Trintignant, devait tenir l’affiche. Ces deux exemples, au demeurant fort différents, illustrent les frontières poreuses entre la représentation et la vie réelle, de même que la violence que le premier peut faire subir à la seconde.

 


Téléchargement PDF

Retour en haut

LISTE D'ENVOI

En kiosque

Vol. 26 no.2
Printemps-Été 2024

Trouver UN TEXTE

» Par auteur
» Par thème
» Par numéro
» Par dossier
Favoris et partager

Articles les plus lus


» trouvez un article