« Fais tes recherches ! » : la formule, devenue populaire, oppose autour de la covid deux sortes de gens. Les premiers respectent les consignes, écoutent les directives gouvernementales et font confiance aux données de la science. Les seconds vous diront que le virus est « juste une p’tite grippe », mais que l’hydrocloroquine sauve des vies; que la covid est une fausse nouvelle, mais qu’on l’a créée dans un labo financé par Bill Gates; qu’il ne change rien à nos vies, mais qu’il transformera à jamais notre monde. Je grossis les traits, mais on comprendra l’idée.
D’un naturel sceptique devant les discours « officiels », les sachants — c’est ainsi que je nomme ces intelligences fines, éternelles détentrices de la vérité vraie — invitent leurs objecteurs à « faire leurs propres recherches ». Si bien qu’à force de répétition, cette phrase est devenue un slogan fédérateur pour les uns, une boutade ironique pour les autres. Le mot-clic #faistesrecherches orne désormais nombre de tweets satiriques singeant la crédulité et l’outrance de leurs adversaires. La comparaison a de quoi faire sourire : d’un côté, des savants dûment formés dans une discipline alliant exigence, rigueur et minutie au terme de plusieurs années d’études; de l’autre, d’éminents diplômés de l’Université de la Vie, dont les tweets écries kom sa relaient les « théories » d’un gars à casquette filmé depuis la cabine de son pick-up.
Plusieurs scientifiques, élus et journalistes se sont étonnés de la montée de la « pensée complotiste ». Ne savent-ils pas ces complotistes que la covid a emporté plus de 6800 Québécois, terrassé des milliers de survivants, qu’elle coupe encore aujourd’hui le souffle de nombreux convalescents ? Il n’est pas simple d’approcher un si vaste sujet, et plusieurs hypothèses peuvent se présenter à l’esprit. Une première piste de compréhension pourrait provenir, tout simplement, d’une lassitude devant ceux qui par leurs prédictions alarmistes, auront trop souvent « crié au loup ». Rappelons qu’en mars dernier, la modélisation mathématique du Imperial College of London prédisait un total de 75 000 à 320 000 décès au Canada sur une période d’un an, et de 500 000 à 1,5 M d’hospitalisations ! Ces chiffres, considérés crédibles à l’époque, entraînèrent plusieurs États vers des mesures drastiques de confinement (et quelques élus à se réjouir de notre docilité). La suite donna lieu à des prédictions beaucoup moins apocalyptiques, mais néanmoins effarantes. Le 28 mai dernier, l’INSPQ annonçait un été chargé de 50 à 200 nouvelles hospitalisations et de 15 à 40 décès par jour. Et dire qu’il s’agissait du scénario « optimiste » pour juin et juillet !
Je ne voudrais pas ici donner l’impression que ces erreurs justifient de rejeter tous les modèles prédictifs. Mais force est de constater que des scientifiques présentés comme crédibles se sont trompés sur nombre d’enjeux cruciaux. De même, le surplus d’attention médiatique dont la recherche médicale a fait l’objet ces derniers mois a incité nombre de gens à « faire leurs propres recherches » sur l’état des sciences de la santé. Ils ont vu à quel point ce champ d’étude est mal en point, miné par les querelles idéologiques, vicié par les multiples conflits d’intérêts impliquant Big Pharma, etc.
Ces erreurs et contradictions auront rapidement fragilisé le niveau de confiance du peuple envers ses institutions scientifiques, politiques et médiatiques. Cela se comprend. De la méfiance, plusieurs passèrent à la colère, et de la colère à la désignation de coupables. Que conclure de tout cela ? Mon hypothèse est qu’il se joue sur le terrain sanitaire un conflit politique, qu’on pourrait qualifier de manière grossièrement simpliste, de querelle opposant « petit peuple » à « l’élite déconnectée ». Un populisme sanitaire, si l’on veut. Il n’y a qu’à observer à quel point les sachants se retrouvent parmi les partisans de politiciens anti-establishment tels que Trump, Johnson ou Bolsonaro. Ces thèses séduisent par la façon dont elles opposent les Bons aux Méchants, forment la trame d’un récit « dont vous êtes le héros », procurent à leurs adeptes un sentiment grisant : illusion d’omnipotence, appel à une action noble, réparation d’injustices, etc. Partant, le bris de confiance découlant des prédictions erronées, doublé du mépris de l’élite « bien-pensante » (tweets ironiques inclus) alimente un puissant sentiment de révolte. Viendra ensuite la « mission », soit celle de réparer les « torts » infligés au peuple par l’idéologie « mondialiste » incarnée par l’OMS, et les médias « corrompus ».
Il est tentant de se moquer des « complotistes », de les prendre de haut. Mais ce faisant, on se prive d’une occasion de réfléchir aux causes qui ont mené à la popularité de leurs idées. Et alors qu’elle m’amusait au départ, la boutade ironique « fais tes recherches » a fini par m’agacer. Il m’aura fallu du temps pour mettre des mots sur ce sentiment. Passé le rire et le défoulement de tels tweets, et malgré les bonnes intentions de leurs auteurs, on y avance une vision de société devant principalement être gouvernée par l’expertise. De ce point de vue, faire ses propres recherches relève presque de l’hérésie, d’un crime de lèse-science. Or, la démocratie ne peut se passer de la parole de citoyens « ordinaires » mais éclairés : aptes à faire leurs recherches proprement. Il faudrait pour cela mieux former les esprits à la culture scientifique, à la pensée critique, à la maîtrise de la langue, mais il s’agit d’un autre sujet…
Au-delà de l’éducation, il y a aussi l’attitude. Avoir un doctorat ne prémunit personne contre la bêtise, ni contre la suffisance intellectuelle et morale. La science, entreprise imparfaite, peut errer tant du point de vue de ses résultats que de celui de l’éthique. Pour le bien de la conversation démocratique, chacun doit faire preuve de plus de modestie quant à ses prétentions et d’ouverture vis-à-vis ses contradicteurs. À défaut de quoi le mépris des uns suscitera l’indignation des autres, et la querelle des savants et des sachants ne pourra que continuer.
L’auteur est psychologue
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