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La question du racisme systémique et le rapport au rapport Viens

Un texte de Daniel Derome
Thèmes : Mouvements sociaux, Québec, Racisme systémique
Numéro : Argument 2021 - Exclusivité Web 2021

Le tragique décès de Madame Echaquan l'automne dernier a ravivé la question du racisme au Québec, ramenant dans l'espace public deux points de vue opposés : d'un côté ceux qui, à l'instar du collectif Soignons la justice sociale et de la communauté de Manawan, prétendent que le décès de Madame Echaquan est la conséquence directe du racisme systémique ; de l'autre, ceux qui, comme notre premier ministre, rejettent ce diagnostic. Devant ces deux lectures incompatibles, tout honnête citoyen est en droit de se demander qui a raison et qui a tort.

Il est toutefois à craindre que l'exercice de ce droit attire à celui qui s’en réclame des accusations de racisme de la part de ceux qui sont convaincus d'être du bon côté de la vertu. Pour m’en garantir, je préciserai ceci :   d’une part, je sais que je ne suis pas raciste ; d'autre part, je ne nie pas qu'il y ait un problème. Celui-ci est même criant. Mais la question que je me pose est la suivante : l’existence du racisme systémique est-elle le bon diagnostic ? Or, établir le bon diagnostic est dans l'intérêt de tout le monde, y compris des Premières Nations, puisqu'un mauvais diagnostic conduira à un mauvais traitement et le problème perdurera, voire empirera. Le mal est évident. En revanche, tous seront forcés d'admettre que l'existence du racisme systémique ne relève pas de la même évidence.

Les 252 signataires de la lettre du collectif Soignons la justice sociale ont peut-être raison d'affirmer que le racisme a tué Madame Echaquan et je ne conteste pas le racisme de l'infirmière qui l’a insultée, toutefois l'épithète « systémique[1] » signifie que la forme de racisme dont il est question est relative à un système, de sorte que si un tel système existe, celui-ci peut et doit être exhibé. Sinon, ces condamnations rituelles du racisme systémique demeureraient contre-productives puisque nous ignorerions ce qu'il faudrait faire pour y mettre fin.

D’ailleurs, certaines des « preuves » que présentent les auteurs de cette lettre semblent contestables. Ainsi, dès l’introduction, ils écrivent :

Ce n’est pas la première fois qu’une histoire aussi horrible fait la une des journaux. En 2016, Kimberly Gloade, une femme mi’kmaq vivant à Montréal, est morte quelques semaines après s’être vu refuser des soins d’urgence au Centre universitaire de Santé McGill parce qu’elle n’avait pas sa carte de la RAMQ.

Il ne me semble pas évident, de prime abord, que Madame Gloade ait été victime du racisme systémique. Elle semble plutôt avoir été victime d'inhumanité bureaucratique. Ce n’est pas la même chose. Ainsi, dans ce discours sur le racisme systémique, avance-t-on souvent des exemples qui ne relèvent pas a priori du « racisme » invoqué.

 

Le rapport Viens

Si l’on veut se faire une idée sur cette question du racisme systémique, il faut se pencher sur les 520 pages du rapport Viens, qui fait état de la récente enquête menée sur les rapports de différentes institutions de l'État québécois avec les Premières Nations.

Ce qui, de prime abord, me laisse perplexe à propos de ce rapport, c'est sa réception médiatique, ainsi que son instrumentalisation par les partis d'opposition. Comme si tout ce qui est écrit dans ce rapport était parole d'évangile. Or, pour l’interpréter correctement, il est impératif de remettre le rapport en question dans son contexte.

Concrètement, pour pouvoir remplir son mandat et gagner la confiance des individus et des communautés autochtones, la Commission se devait d'adopter une attitude bienveillante à leur égard. Le mandat de la Commission n’était ni de mettre les communautés devant leur contradiction ni de relativiser leur perception de la réalité. Le vocabulaire utilisé par la Commission offre un indice de cette attitude qu’elle avait, dès le départ, adoptée. Ainsi, pour la Commission, je suis un « allochtone ». Ce qui signifie que mes ancêtres ne seraient pas originaires du Québec, et ce même s'il faut remonter aussi loin que dix générations pour qu'un de mes ancêtres réponde à ce critère de l’allochtonie.

Là encore, qu’on ne se méprenne pas sur mes intentions. Je ne fais pas reproche aux membres de la Commission d’avoir fait usage d’un tel vocabulaire. Une telle attitude était probablement nécessaire à la mise en œuvre de leur mandat. Elle allait cependant contribuer à engendrer un déséquilibre dans le rapport final. Un peu comme si, lors d'un procès, une seule des parties était autorisée à témoigner. D'autant plus que la Commission n'a pratiquement porté son attention que sur les récriminations. C'est à la réception du rapport que ce déséquilibre aurait dû être corrigé. Malheureusement, l'opposition et les médias ont préféré l’instrumentaliser afin d'embarrasser le gouvernement.

En dernière analyse, la Commission aura donc servi à recueillir les doléances des communautés et à proposer des solutions. Mais que dit-elle de ce racisme dit « systémique » qui, selon certains, relèverait de l’évidence ?  Force est de constater que le rapport de la Commission n’apporte pas de nouvelles preuves à l’appui de cette théorie du « racisme systémique ». En fait, c’est même plutôt le contraire. Pour le constater, penchons-nous sur un exemple.

6000 patients sont évacués du Nunavik vers Montréal par avion-Challenger annuellement. Avant 2017, il y avait un problème. Une règle, valable pour tous les usagers et motivée notamment par l’espace restreint de l’avion, interdisait à un évacué d'être accompagné. Le problème était que cette règle plongeait dans l’isolement et mettait même en danger la vie des enfants inuits qui ne parlaient que l'inuktitut. L’iniquité apparente qui frappait les enfants inuits était donc engendrée par le fait qu’ils n’étaient pas traités différemment des autres patients, et non pas en raison d’une forme quelconque de discrimination. Quoi qu’il en soit, heureusement, au moment des audiences de la Commission, ce problème avait déjà été résolu:

Chiffres en tête, la coordonnatrice du programme ÉVAQ, Sylvie Côté, a en outre affirmé qu’en raison de l’évolution récente, l’accompagnement parental est aujourd’hui garanti à 98,0 %. (Le rapport Viens, p. 398.)

De surcroit, crier à la discrimination sans même tenir compte de l'existence du programme ÉVAQ est un exemple patent de distorsion cognitive qui conduit à un diagnostic erroné. Un point noir sur une page blanche attire l'attention, même s'il représente moins d'un millionième de la surface. Il attire l'attention parce qu'il fait en sorte que la page n'est pas parfaitement blanche. Or, si une page peut être parfaitement blanche, ce n'est pas le cas du monde dans lequel nous vivons qui est loin d'être parfait et qui ne le sera jamais. Autrement dit, le programme ÉVAQ est un excellent programme. Il est indispensable. Cela ne fait aucun doute. Il est la preuve que le Québec, loin d’abandonner les autochtones à leur sort, se soucie de leur bien-être, de leur accès aux soins de santé.  De plus, le programme ÉVAQ existe malgré le sous-financement du système de santé avec tout ce que cela entraine de listes d'attentes et d'urgences bondées. Alors, parler de racisme systémique à l’endroit des autochtones peut paraître quelque peu excessif.

Parmi les sujets couverts par la Commission qui éclairent la question du racisme systémique, il y a aussi, évidemment, celui des relations avec les forces policières.

Rappelons à ce sujet le fil des évènements qui a conduit à la création de la Commission. La décision de créer cette commission faisait suite aux allégations publiques d'une dizaine de femmes autochtones à propos d'abus de la part de policiers de la Sûreté du Québec en poste à Val-d’Or. L'enquête de la SQ, qui était déjà en cours lors de la diffusion du fameux reportage, fut alors transférée au SPCVM. Et la juriste Fannie Lafontaine fut mandatée, à titre d’observatrice civile indépendante, afin d’évaluer l’intégrité et l’impartialité de l’enquête. Le 16 novembre 2016 :

L’observatrice indépendante conclut que l’enquête du SPVM a été menée de façon intègre et impartiale. Elle fait toutefois état de « la nécessité de faire la lumière sur les causes sous-jacentes aux présentes allégations de violence sexuelle et d’abus de pouvoir visant des policiers et sur l’existence potentielle d’un schème de comportements discriminatoires envers les Autochtones qui dénote l’existence d’un racisme systémique au sein des forces de l’ordre à l’égard des Autochtones ». À son avis, « l’identification des mesures à prendre pour complémenter l’enquête criminelle menée par le SPVM afin de faire la lumière sur les enjeux plus collectifs et systémiques nécessite un processus de consultation officiel et immédiat entre le gouvernement, les forces policières et les organisations autochtones. » Deux jours plus tard, le Directeur des poursuites criminelles et pénales annonce qu’aucune accusation dans les dossiers mettant en cause les femmes de Val-d’Or ne sera déposée. (Le rapport Viens, p. 17.)

La Commission d'enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics : écoute, réconciliation et progrès est créée le 21 décembre 2016 et dépose son rapport final le 30 septembre 2019.

Étant donné que l'hypothèse du racisme systémique avait été explicitement soulevée par la juriste Fannie Lafontaine, il était raisonnable de s'attendre à ce que la partie du rapport de la Commission traitant des relations entre les communautés autochtones et les forces policières nous livre quelques indices sur l'étendue et la gravité du problème. On y apprend ainsi que :

Environ 90% de la population résidant dans une communauté ou un village autochtone au Québec est actuellement desservie par un corps policier autochtone. Sur le terrain, cela correspond à 22 corps policiers distincts œuvrant dans 44 communautés des Premières Nations et villages inuits. (Le rapport Viens, p. 272.)

Contre toute attente, on y apprend également qu'être desservi par un corps policier autochtone peut engendrer d'autres sortes de problèmes :

La vérité, c’est que si la proximité entre les forces de l’ordre et les résidents constitue en général un atout parce qu’elle permet une intervention culturellement adaptée, en matière de violence familiale, cette même proximité peut représenter un frein important, par exemple lorsqu’il s’agit de dénoncer un proche du policier. Pour la présidente de Femmes Autochtones Québec (FAQ), Viviane Michel, « cette crainte des femmes de ne pas pouvoir bénéficier d’un service impartial et confidentiel de la part des policiers, policières de leur communauté accentue leur vulnérabilité. » Résultat : la dénonciation d’un abuseur reste un défi et sous la pression communautaire, les femmes qui entament une démarche judiciaire sont nombreuses à vouloir retirer leur plainte avant la fin du processus. Les victimes d’agression sexuelle font face aux mêmes craintes et obstacles, et ce, tant dans les communautés des Premières Nations que dans les villages du Nunavik. (Le rapport Viens, p. 279.)

Cet extrait du rapport laisse voir que les problèmes qui affligent les communautés autochtones sont complexes et ne sont pas nécessairement causés par le racisme : on aurait cru que les policiers autochtones, en raison de leur proximité culturelle, résoudraient la plupart des problèmes occasionnés par les interventions de policiers non-autochtones. Malheureusement, cette proximité entraine une autre catégorie de problèmes.

Si la Commission a ainsi écarté le racisme systémique de l'étiologie des maux qui affligent les Autochtones, en revanche, elle a clairement mis en cause la discrimination systémique.

 

Racisme systémique ou discrimination systémique ?

Racisme systémique ou discrimination systémique ? Arguties sémantiques rétorqueraient sans doute les promoteurs du diagnostic du racisme systémique. Sauf que c'est précisément dans la sémantique et la charge affective qui est associée au substantif « racisme » que se dissimule la méprise.

Tout d’abord, ceux qui font la promotion de cette notion de « racisme systémique » ne manquent pas d'évoquer l'argument selon lequel le Québec serait le seul endroit en Amérique du Nord qui n'a pas reconnu sa présence endémique. Or, non seulement cet argument est essentiellement fallacieux, mais c’est en outre un argument d’autorité à travers lequel on tenterait ni plus ni moins de révoquer notre droit, notre pouvoir et notre liberté d'être les maîtres de notre propre jugement. Comme si l'histoire des francophones du Québec se confondait nécessairement avec le colonialisme britannique et l'esclavagisme américain.

Ajoutons à cela que les définitions de racisme en français et en anglais sont significativement différentes. En anglais, le racisme est d'abord une croyance. Alors qu'en français, le racisme est d'abord une idéologie.

 

Racism is the belief that groups of humans possess different behavioral traits corresponding to physical appearance and can be divided based on the superiority of one race over another.

Wikipédia anglais 

A belief that race is a fundamental determinant of human traits and capacities and that racial differences produce an inherent superiority of a particular race.

Merriam-Webster

Le racisme est une idéologie qui, partant du postulat de l'existence de races au sein de l'espèce humaine, considère que certaines catégories de personnes sont intrinsèquement supérieures à d'autres.

Wikipédia français

Idéologie fondée sur la croyance qu'il existe une hiérarchie entre les groupes humains, les « races » ; comportement inspiré par cette idéologie.

Le Larousse

 

Ensuite, cette différence entre « racisme systémique » et « discrimination systémique », qui peut au premier abord sembler anodine, est en réalité fondamentale. Car, l'accusation de racisme systémique, qui connote un aspect planifié, intentionnel, et donc malveillant de ce « système », fait porter au peuple québécois actuel l'odieux de tout le mal qui afflige les Autochtones, alors que formulée en termes de discriminations systémiques, une partie de celles-ci peut apparaître comme le fruit de malentendus culturels et l'autre partie, comme un legs de l'histoire. Or, nous ne sommes pas responsables de l'histoire. Nous ne sommes pas responsables des décisions prises par ceux qui nous ont précédés. Nous ne sommes en effet responsables que dans la mesure où nous avons le pouvoir d'agir. Et, ce pouvoir est limité. Prétendre le contraire relève de la pensée magique, de l'irrationalisme et de la mauvaise foi. Nous pouvons et devons agir pour surmonter les discriminations et les malentendus culturels, mais nous ne pouvons pas effacer les stigmates qu'ont engendrés, par exemple, les pensionnats forcés et le massacre des chiens de traîneaux. Qui plus est, non seulement la démarche de guérison ne peut être entreprise que par ceux et celles qui portent ces stigmates, mais le ressentiment engendré par le diagnostic de racisme systémique ne peut que nuire à la guérison.

 

L'éloquent silence du rapport

Comme le fait remarquer Édith Cloutier, qui a accompagné les femmes autochtones de Val-d’Or dans leurs dénonciations des abus policiers dont elles auraient été victimes, et qui ont mené à la mise sur pied de la Commission Viens, le rapport présente un côté ombre et un côté lumière. « Le côté ombre, écrit-elle, c’est le fait que ce rapport ait mis de côté les femmes qui sont à l’origine même du mandat[2]. »

Résumons : les allégations des femmes autochtones de Val-d'Or ont conduit à une enquête de la SPVM qui a amené l'observatrice indépendante à recommander la mise en place d'un processus de consultation officiel et immédiat entre le gouvernement, les forces policières et les organisations autochtones. Ce qui a entraîné la création de la Commission. Et au terme de celle-ci, on constate que les femmes qui sont à l'origine même du mandat ont été mises de côté.

Ce silence est difficile à expliquer. Serait-ce que la Sureté du Québec est intouchable ? Il faudrait poser la question au juge Viens. Manifestement, ces allégations se sont avérées en dehors des limites du pouvoir de la Commission. Elles semblaient pourtant fondées. Il est difficile en effet d'imaginer pour quelles raisons ces femmes se seraient concertées avant de lancer de telles accusations contre des policiers. Mais, si nous voulons être impartiaux, nous sommes forcés d'accorder le bénéfice du doute aux policiers. La question n'est toutefois pas de déterminer si les policiers accusés sont coupables, elle est de déterminer si ces femmes ont été victimes de racisme systémique.

Supposons donc qu'elles n'aient pas menti ; peut-on vraiment penser que ce genre d'individus dont elles auraient été victimes n'abuseraient de leur pouvoir que sur des Amérindiennes ? Le critère de ces abuseurs n'est pas racial. Profitant de leur quasi-immunité, ce genre de petits criminels abusent de leur pouvoir sur ceux qui n'en ont pas, peu importe qu'ils soient autochtones, noirs, métis ou… blancs. L'abus de pouvoir n'exige que trois conditions : un abuseur prêt à passer à l’acte, l'occasion et un différentiel de pouvoirs qui menotte la personne abusée. Appartenir à la majorité ou être un homme n'immunise pas contre l'abus de pouvoir. C'est avoir du pouvoir qui immunise.

En occultant ce qui constitue un problème universel, celui des abus de pouvoir à l’encontre des personnes vulnérables, le diagnostic de racisme systémique dessert les dénonciatrices de Val-d'Or. Car, à part jeter l'opprobre sur ceux qui le réfutent, ce diagnostic, que prescrit-il concrètement? Ce n'est pas évident simplement parce que le système dont le racisme systémique suppose l'existence n'a pas été exhibé. En revanche, lorsque l'on dit aux dénonciatrices de Val-d'Or que c'est parce qu'elles n'avaient pas suffisamment de pouvoir que leurs abuseurs ont pu profiter d'elles, la prescription est évidente et s'appelle l'autonomisation[3]. D'ailleurs, la démarche de dénonciation qu'elles ont entreprise en est précisément une d'autonomisation.

 

Conclusion

S'il y avait du racisme systémique au Québec, cela aurait dû transparaitre dans le rapport Viens. Ce qui reconduit à la question qui a servi de point de départ à cette réflexion : qu'est-ce qui explique que ce diagnostic erroné qui consiste à tout expliquer par le « racisme systémique » soit aussi répandu ? Et le poids du nombre est-il garant de la vérité ? À cette dernière question, il faut répondre, bien entendu, par la négative ; quant à la première, la meilleure réponse qu’on peut y apporter sera de faire appel au concept d'idéologie.

Les « vérités » idéologiques sont des affirmations accréditées horizontalement. On y croit parce que c'est la croyance établie par et au sein d’une communauté idéologique. Toute remise en doute conduit au bannissement de cette communauté — avec tout ce que cela entraine. Dans certaines communautés idéologiques, la croyance circule que les blancs sont racistes par essence, que, par conséquent, la société et toutes ses institutions seraient racistes par essence.

Les promoteurs du diagnostic du racisme systémique m'objecteront sans doute que c'est ma propre perception qui est distordue par un racisme inconscient et que ce ne serait pas eux, mais moi qui serait le porte-parole d’une idéologie. Notez toutefois que la symétrie de l'argument n'est qu'apparente. Il existe de bonnes raisons d'être sceptique à l'égard du racisme systémique. Dès le lendemain de la mort de Madame Echaquan, la cause de sa mort avait été dûment identifiée par les promoteurs du racisme systémique, avant même qu’il y ait eu la moindre enquête. Le prêt à penser idéologique avait décrété sa vérité. Et elle était sans appel. L'hypothèse qu’il s’agissait d’un cas isolé, rendu possible par l'impéritie des gestionnaires[4], a été écartée d'emblée. Ce qui laisse transparaître que le racisme systémique est une sorte de postulat dont la mise en doute est interdite sous peine d'être accusé de racisme. Et c'est précisément le mode opérationnel des idéologies : bafouer les normes de la raison en imposant des postulats erronés et hypostasiés qui déforment les perceptions et, en complément, jeter l'opprobre sur tous ceux qui pensent autrement. Ce qui ferait du racisme systémique québécois, jumelé aux différentes charges affectives qui lui sont associées, une sorte de fantôme conceptuel qui fausse les perceptions et infléchit le monde dans la mesure où l'on croit en son existence. Car même si les fantômes n'existent pas, la peur des fantômes existe, elle, dans la mesure où elle se répand dans la communauté.

En plus d'exiger de la volonté, des efforts intellectuels, des ressources et de la détermination, la résolution des problèmes qui gangrènent notre monde est un processus qui exige lucidité et honnêteté. Mais en obscurcissant le monde, en nous désarmant collectivement, les idéologies exacerbent ces problèmes au lieu de contribuer à les régler. Sans preuve et en faisant abstraction de la quantité d'efforts et de ressources engagée pour résoudre les problèmes qui affligent les Premières Nations, le postulat du racisme systémique nuit à tout le monde. Parce qu'il n'éclaire rien de plus que n'éclaire déjà le diagnostic de discrimination systémique. Parce qu'il installe des aprioris susceptibles de déformer les perceptions et de créer toutes sortes de malentendus qui ne manqueront pas d'alimenter en retour la spirale infernale du racisme.

Ce risque est bien réel. J'en veux pour preuve un évènement vécu par ma mère il y a quelques années. Alors qu'elle s'était égarée à Kahnawake, elle s'était arrêtée sur le bord de la route pour demander son chemin à un ado. Celui-ci lui répondit alors agressivement : « Get out of here white bitch » et lui cracha au visage. Un tel comportement dénote bien sûr des problèmes mentaux. Il semble cependant évident que ceux-ci avaient été galvanisés par un endoctrinement idéologique.

Il s'en trouvera pour dire que c'est un juste retour des choses. Puisque les personnes dites racisées ont subi des agressions et des insultes tout au long de l'histoire, ce serait aujourd'hui à leur tour d'agresser et d'insulter les « Blancs », promouvant ainsi le retour à une sorte de stupide loi du Talion collectiviste et intergénérationnelle.

Le monde ne s'appréhende pas qu'en termes de races et de racisme. Le racisme n'en constitue qu'une composante qui, bien sûr, ne doit pas être négligée, mais qui ne doit pas non plus occulter le reste du réel. Le monde ne peut être appréhendé qu'avec discernement de manière à laisser apparaitre toutes ses composantes significatives. Ce qui permet d'isoler les composantes qui alimentent le racisme, des autres, qui n’ont rien à voir avec lui. Sans quoi l'antiracisme n'est qu'idéologie et faux-semblant.

 

Crédit image: Alice Echaquan, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons.


[1] Relatif à un système considéré dans son ensemble. Le dictionnaire Antidote

[2] Rapport Viens un an plus tard : beaucoup d’ombre, un rai de lumière.

[3] 'L'expression réfère au processus d'habilitation qui permet aux communautés d'accroître leur contrôle sur leur vie. Et désigne le processus par lequel les personnes acquièrent le contrôle des facteurs et des décisions qui façonnent leur vie. Il s'agit du processus par lequel elles augmentent leurs atouts et leurs attributs et renforcent leurs capacités à obtenir un accès, des partenaires, des réseaux et/ou une voix, afin de prendre le contrôle de leur existence. Le terme habiliter implique que les gens ne peuvent pas être habilités par les autres ; ils ne peuvent s'habiliter eux-mêmes qu'en acquérant davantage de formes différentes de pouvoir. Autonomisation .

[4] Le lien de confiance est brisé entre les Attikameks et le CISSS de Lanaudière, dit le ministre Dubé  Le Devoir, 30 octobre 2020. Le PDG du CISSS a été informé des plaintes, assure une ancienne directrice, La Presse, 29 octobre 2020.


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