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HARO SUR FAYARD pour cet outrage au français !

Un texte de Jean-Pierre Harel
Thèmes : France, Langue, Québec
Numéro : Argument 2021 - Exclusivité Web 2021

C’est avec une émotion et un intérêt soutenu que j’ai lu Une terre promise de Barack Obama, aux Éditions Fayard (2020). Mais vive fut aussi mon indignation à la lecture des trop nombreux anglicismes dont cet ouvrage est truffé. Ceux et celles qui avaient encore besoin de preuves de l’anglicisation croissante du français hexagonal seront ici copieusement servis. 

Bien qu’il s’agisse d’une traduction et que je ne sois pas un expert en la matière, on saisit rapidement la qualité de l’écriture de l’ex-président. Ses déchirements entre l’idéal politique et la réalité, entre l’accomplissement du devoir professionnel et le désir d’être parmi les siens, témoignent de l’intégrité de l’auteur et du désordre du monde en ce début du XXIe siècle et ne peuvent qu’interpeler le lecteur.

Si j’ai dévoré le livre, j’ai néanmoins été choqué par la traduction que signent Pierre Demarty, Charles Recoursé et Nicolas Richard. Absorbé par l’intensité de cette lecture, j’ai mis du temps avant d’être heurté par l’omniprésence des anglicismes dont le texte est parsemé. Puis, j’ai décidé de colliger systématiquement ces emplois que je juge erronés.  

Le linguiste que je ne suis pas devrait assurément faire la distinction entre anglicisme et emprunt, admis ou non par l’Académie française ou l’Office québécois de la langue française. Mais là n’est pas mon propos. Ce que je veux mettre en évidence, c’est la surenchère dans cette utilisation des anglicismes. À trop ingérer de malbouffe, on s’empoisonne.

Bien sûr, un cow-boy est un cow-boy, un gin-tonic, un gin-tonic, un swing, un swing, etc. Mais, sans compter les mots en italique tel « think-tanks » (p. 605) ou entre guillemets tel « fun », on relève facilement dans cette traduction 152 emprunts à l’anglais ou anglicismes différents dont l’occurrence varie entre un seul usage, « turn over » par exemple, et 66 usages avec « staff », pour un total non exhaustif de 480. C’est bien là une portion significative d’ingrédients linguistiques indigestes injectés dans ces 829 pages et c’est trop. Beaucoup trop.

Quantité de ces mots sont si bien ancrés dans l’usage qu’on en oublie la source. Ainsi en est-il de « coach », de « deal », de « job », de « spot », de « stress », etc. Mais le choc est en revanche complètement assommant devant des intrusions telles que « blackboulé », « dunk », « lifetier », « mess », « skiff », « stras », « tubing » ou « quarterback », qui obligent le lecteur québécois francophone que je suis à consulter un dictionnaire anglais-français afin de comprendre de quoi il est question. C’est totalement aberrant! Mais qui donc de la France ou du Québec est réellement immergé dans une mer d’anglophonie ?

À la page 617, on nous suggère même d’intégrer l’expression « cap and trade » à notre vocabulaire en prenant soin de nous en donner immédiatement la traduction – de plafonnement et d’échange – pour mieux en faire un libre usage uniquement en anglais au paragraphe suivant.

Bien entendu, au fil de l’Histoire, comme toutes les langues, la langue française s’est enrichie, a évolué en intégrant des mots d’origines diverses. Et c’est tant mieux. Mais est-il nécessaire pour autant de se soumettre à ce point à l’impérialisme culturel étasunien en truffant un si beau texte d’anglicismes à raison d’un toutes les deux pages? La langue française manque-t-elle à ce point de ressources pour dire le monde d’aujourd’hui?

Il ne fait pas de doute que l’origine de l’auteur, le sujet, le contexte ainsi que l’intérêt du public – friand de culture étasunienne –   représentent autant de facteurs favorables à ce parti pris de traduction, faisant une telle place à la langue de l’original. Mais ce choix est pervers. Aliénant. Dangereux. Et parce qu’il concourt à une perdition de la langue française, nous devons en dénoncer le piège. Haro sur Fayard!

 

Crédit image: Pete Souza, Public domain, via Wikimedia Commons


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