C’est une triste chose pour qui se promène dans cette grande ville dévastée par la Covid que de voir les files interminables de zombis pestant sous un vent glacial, dans l’attente d’un test ou d’un vaccin qui leur garantiraient l’hypothétique salut.
C’est une triste chose pour les confinés de voir de leur fenêtre le spectacle désolant d’une ville morte où meurent des malades dont on a déprogrammé l’opération du cœur, du cancer, des yeux ou des reins, aux fins de soigner en priorité des covidiens réfractaires au vaccin.
C’est une triste chose que, largement minoritaires, ces derniers se prévalent de leur « liberté de choix » pour mettre en danger une majorité convaincue, elle, des bienfaits de la vaccination et du respect des consignes sanitaires.
C’est une triste chose que, fort d’un large appui de la population, un gouvernement qui a rondement géré la crise sanitaire hésite à imposer la vaccination obligatoire et un passe sanitaire garants, pour la majorité, d’un retour à la vie, à la rue, aux lieux de loisir et de plaisir et aux retrouvailles amicales et familiales.
Toutes ces tristes choses, je les ai longtemps déplorées au début de la pandémie sans m’aviser que j’avais tort sur toute la ligne à propos des vaillants défenseurs de la liberté en matière de vaccination, qu’il s’agisse du Québec comme du plus meilleur pays du monde ou du reste de l’univers.
Ayant tourné mes pensées depuis des mois sur cet important sujet, et mûrement pesé les propositions de chaque camp, je tiens aujourd’hui à faire publiquement amende honorable ! Je m’y emploierai à la façon dont, voilà deux siècles, l’auteur des Voyages de Gulliver avait apporté sa modeste contribution aux problèmes de sa communauté. Face à la misère endémique de son pays natal, Jonathan Swift avait en effet modestement proposé d’« empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à charge à leurs parents et à leur pays et pour les rendre utiles au public ». Sa solution à la paupérisation de l’Irlande et à sa surpopulation consistait à ce qu’on use, dans les milieux défavorisés, les nourrissons comme source d’alimentation.
Voici donc ma Modeste proposition pour aider les antivax à assumer pleinement leur liberté de choix et à se libérer enfin d’un totalitarisme qui les opprime honteusement.
On y verra que mes solutions aux problèmes actuels de la pandémie covidienne s’avèrent bien moins cruelles que celles de mon illustre devancier irlandais.
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En préambule, tous les partis tombent d’accord, je pense, que notre société accorde trop de crédit aux scientifiques, technocrates, intellectuels, littéraires, déontologues et autres « pelleteux de nuages ». Imbus d’un prétendu « savoir », cette caste parasitaire snobe le bon peuple ou, au mieux, ne lui accorde qu’un regard condescendant ou paternaliste.
À ces oisifs méprisants et couards qui s’effraient d’un simple rhume ou de la moindre grippe, à ces nantis qui rêvent d’écraser le peuple sous les diktats de la Science, ne convient-il pas de rappeler la vaillance et la ténacité des antivax, ce « vrai monde » qui fait fi de la maladie ? Lui seul, dans sa sagesse ancestrale, avec sa robustesse proverbiale héritée des antiques guerres coloniales, des rudes travaux des champs et de l’usine, lui seul avec son sens de la survie en milieu hostile, au bois, comme à la ville, lui seul saura faire face au complot de Big Pharma et à cette pandémie d’opérette.
Ne convient-il pas, en conséquence, à ces valeureux défenseurs de l’Individu, de faire la preuve de leur mérite en relevant le défi sociétal actuel ? Ainsi pourront-ils enfin, comme membres sains et utiles de la communauté, prouver leur totale autonomie par rapport à la Collectivité comme à l’État totalitaire qui les opprime. Ainsi mériteront-ils leur statue comme sauveurs de la nation.
De plus, en suivant mes modestes suggestions à leur endroit, le Québec comme le Canada et le monde trouveraient un moyen économique et facile de soulager le fardeau financier de l’État gravement affecté par les mesures de soutien aux secteurs ruinés par la pandémie de la Covid.
Un autre grand avantage de mon projet, c’est qu’il préviendra le gaspillage des tests offerts sans discernement par l’État pour rassurer les braves opposants au vaccin qui réclameraient, quand même, ces tests (malgré leur intime conviction qu’ils ne peuvent pas contracter cette pseudo maladie, ou qu’ils n’en seraient guère affectés le cas échéant).
On m’objectera peut-être que, sur le plan économique, priver ces valeureux antivax de tests ou de vaccins (dont ils n’ont cure, du reste) pénaliserait douloureusement les malheureux fabricants desdits tests et vaccins dont les revenus déjà faméliques souffriraient encore du manque à gagner de millions de tests non fournis aux antivax !
J’avoue que l’argument tient la route et qu’à y bien réfléchir, je suis sensible au désarroi des compagnies pharmaceutiques cotées en bourse, de leurs dirigeants et de leurs actionnaires. Depuis le début de cette pandémie, par exemple, Pfizer/BioNTech et Moderna n’ont bénéficié que d’un pauvre financement public de 8 milliards de dollars : ne voient-elles pas avec effroi s’effondrer leurs bénéfices, ou du moins, ne les voient-elles point s’accroître autant qu’elles l’eussent souhaité (un maigre 65 000 $ par minute !). On s’en désole d’autant plus qu’elles investirent des sommes vertigineuses par pure bonté d’âme pour se risquer dans la recherche-innovation et la mise en marché desdits vaccins ? Comment mettre en doute (à l’instar de certains organismes caritatifs de gauche), comment remettre en cause la générosité de ces champions du commerce sanitaire qui n’ont pas hésité à livrer près de 1% de leurs fournitures vaccinales aux pays pauvres et ce, au prix coûtant ! (Les esprits chagrins argueront qu’elles se rattrapent sur les pays riches pour les pourcentages restants, avec des marges bénéficiaires idoines). Et l’on voudrait peut-être que nos aventureux pionniers de la recherche sanitaire baissent leurs prix ou transfèrent d’urgence leur technologie et leur savoir-faire à des régions du tiers-monde incapables de les concevoir, de les produire ou de les gérer ?
Allons donc, soyons sérieux : laissons aux bienfaiteurs occidentaux du Vaccin le bénéfice du risque financier encouru et attachons-nous plutôt aux antivax, ces preux contempteurs de la Covid. Et laissons-leur le soin de contribuer utilement aux besoins de la cité.
Pour mieux évaluer leur quote-part à la cause commune, des distinctions s’imposent à leur endroit. En effet, ma sollicitude est loin de se borner aux sceptiques légitimes. Elle s’étend beaucoup plus loin, et jusqu’aux incrédules congénitaux parmi lesquels on prendra soin de distinguer les antivax anonymes des covidiots renommés. J’expose donc humblement à la considération du public mes réflexions sur chacune de ces catégories et sous-catégories.
Les sceptiques légitimes
Plutôt sympathiques, les tout premiers sont des douteurs systématiques qui puisent leur opposition au vaccin dans une longue tradition de méfiance à l’égard de toute forme d’atteinte à leur sacro-sainte entité, tout genre d’entrave ou de coercition exercée par l’Autre. Ces sceptiques légitimes restent persuadés que leur souverain JE se suffit à lui-même et jouissent quiètement de leur cynique isolement. Reclus dans leur bulle ou leur tonneau, sévères à l’égard du genre humain, ces aimables misanthropes affectent peut-être leur entourage immédiat, mais, au-delà, ils n’éveillent qu’un sourire compatissant. La bouderie de ces anachorètes peu enclins à se mêler au siècle ne menace guère, en matière de transmission, l’issue de la pandémie. Ménageons-les et oublions-les pour l’instant. Ils inquiètent moins que leurs autres congénères antivax adeptes de médecines douces et de spiritualité NewAge dont les gourous, entre deux alignements de chakras, poussent le scepticisme vaccinal aux confins du complotisme et de l’infox. Quand, entre Terre et Éther, mais à des fins « purement » commerciales, ces industriels du bien-être deviennent « influenceurs », quand, dans leur phobie des Élites et de l’État, ils croisent les réseaux sociaux QAnoniques, ils confinent à la conspiritualité, versant illico presto dans la catégorie suivante.
Les incrédules congénitaux
Qu’opiner à propos des mécréants congénitaux ? Ces spécimens à l’instinct grégaire n’existent qu’en groupe et ne puisent qu’entre eux-mêmes, via leurs médias sociaux, les raisons de leur méfiance à l’endroit du vaccin. Au Québec, du moins, ces complotistes ne représentent guère qu’une infime minorité de la population, mais une minorité bruyante et dérangeante qui se mêle d’exprimer haut et fort sa dissidence en se transmettant allègrement le virus (et en le transmettant fatalement à l’extérieur de leur groupuscule). On objecterait avec cynisme que plus les covidiots tomberont malades, plus ils décèderont en grand nombre et plus ils réduiront d’autant le péril que représente leur présence. Reste à savoir si leur disparition compenserait utilement le pourcentage des malades qu’ils auront infectés dans la rue, les commerces ou dans les hôpitaux. Car ces vaillants défenseurs de la liberté de choix ne rechignent point, une fois auto-contaminés, à se faire soigner gratuitement par l’État « totalitaire » qu’ils dénoncent, menaçant alors la liberté des autres (la majorité qui respecte les consignes sanitaires). Avec une morgue qui n’a d’égale que l’ineptie de leur discours et leur manque de scrupules, ces antivax congénitaux engorgent alors le système médical où ils représentent plus de la moitié des cas de malade atteints par la Covid. Que leur chaut la saturation des services hospitaliers, le délestage et le report de soins et d’opérations pour des centaines de milliers de patients non-atteints quant à eux par le virus?
Que faire ? disait Lénine en de tout autres circonstances (il s’agissait en 1901 d’en finir avec la bourgeoisie). Un siècle plus tard, ne pouvant en démocratie parier sur l’extinction naturelle des incrédules congénitaux, ne convient-il pas de les circonvenir de quelque manière et, par quelque ruse ou artifice, se jouer ainsi de leur belle et pure liberté ?
Avant de proposer modestement des solutions à cet égard, distinguons encore parmi les con-génitaux deux catégories de spécimens : les antivax anonymes et les covidiots renommés. Car cette engeance se décline en plusieurs degrés.
Les antivax anonymes
Anonymes, les premiers d’entre eux, manifestent à l’occasion, perdus dans une foule dont la masse vociférante les rassure en les renvoyant à eux-mêmes et à des frustrations qu’endossent volontiers des politiciens en mal d’électorat (j’y reviendrai à propos des covidiots renommés). Ces antivax anonymes se fondent dans la cohue, grisés de slogans « Liberté », « Résistance », « Contre l’expérimentation génique», « #Balance ton QR » et autres expectorations contre la vaccination, prélude à un contrôle généralisé des populations sur le globe. Sujet indistinct du groupe, persuadé d’incarner à lui-seul une improbable vox populi, l’antivax anonyme se selfie frénétiquement, guette le micro que lui tendrait un journaliste, insulte ou moleste le passant qui ne suivrait pas le troupeau.
Mais gardons-nous de vouer aux gémonies l’antivax anonyme et ses anathèmes contre l’État vaccinateur. Dans un élan d’altruisme, reconnaissons-lui quelque mérite. Avouons que, bien que protégé par l’anonymat de la foule, le pékin sous la pancarte a le mérite de payer de sa personne sinon de sa personnalité. Contrairement à l’anonyme du réseau social, l’antivax de la rue tombe le masque sanitaire ; il brandit son visage, bravant ainsi une Covid qu’il ne reconnaît pas (mais alors, où réside son courage ?), risquant peut-être d’être fiché par une de ces caméras de surveillance dont les édiles municipaux gratifient généreusement les carrefours de nos belles cités.
Il en est autrement des pleutres qui se cachent sous l’anonymat ou le pseudo des réseaux sociaux en relayant les fake news complotistes de l’anti-vaccinariat. Facile pour elles, iels et eux de dénoncer la dictature vaccinale, d’insulter, de harceler ou de menacer le politique, le journaliste ou l’intellectuel opposés à leurs vues. Laissons-les à leur onanisme électronique tant et aussi longtemps que les fournisseurs d’accès toléreront leurs petits vices cachés, mais réservons-leur une place de choix dans la gradation des sanctions qui leur seront bientôt infligées.
Les covidiots renommés
À ces antivax anonymes, répondent aussi des covidiots renommés. Au premier titre figurent les politiques tirant parti des frustrations populaires, dont celles concernant la crise sanitaire (je m’en tiens ici aux seules questions sanitaires et je distingue dans les revendications populaires celles qui tiennent légitimement aux problèmes socio-économiques vécus chez les laissés-pour-compte du néo-libéralisme (défendus par exemple au Québec par le Front d’action populaire en réaménagement urbain, ou représentés en France par les Gilets jaunes). Bien que des « convergences » politiques soient solidairement tentées à gauche entre le sanitaire et l’économique, bien que le « choix » de certains antivax puisse être conditionné par leur condition socio-économique et leur niveau d’éducation, nul ne contestera que la vaccination reste fondamentalement disponible et gratuite et que l’État s’en porte ici garant.
Ces précautions formulées, revenons aux covidiots renommés qui jouissent de ressources financières suffisantes, d’une formation intellectuelle minimale et qui ne souffrent que d’une carence éthique flagrante. Parmi les antivax qui « ont un nom », faut-il absolument évoquer le grand Bernier, qui, avec son Parti populaire canadien cherche à capitaliser des votes populistes en s’élevant «contre la ségrégation sanitaire» ? Il est vrai que cet éminent ancien ministre dont la conduite avisée avait jadis édifié les Canadiens, que ce grave penseur, donc, s’érige en exemple de la non-vaccination (« à 58 ans, plastronne-il, mes chances de mourir de la Covid sont de 0,5 % » !). Accordons aussi une mention spéciale à la quinqua zigotote du Parti Conservateur du Québec, dont nous tairons le nom, crainte de gonfler sa horde de suiveux friands de ses défécations sur le vaccin). Après eux viennent de plus jeunes écervelés qui, trentenaires ou quadragénaires, s’entichent du titre d’influenceurs !
Les influenceurs-ceuses
Incapables d’aligner deux mots sans massacrer ce qui leur sert de langue, ces youtubeux-beuses font le buzz en bredouillant, bloguant, bidouillant et tiktokant leurs conseils mercantiles à des foules de fans qui les suivent sur le Ouèbe. Comment ces vedettes du sport, du showbiz, du feuilletons TV, ces stars à la petite semelle, ces professionnels du vide voguent-ils donc sur la vague de la vacuité pour… faire fortune ? Laissons aux sociologues fauchés, aux philosophes outrés et autres universitaires jaloux de leur succès le soin de s’interroger sur le phénomène… et sur leur propre déconfiture en matière d’influence et d’impact sur la société du spectacle.
Pour revenir à la Covid, considérons plutôt les seuls influenceurs et covidiots renommés qui s’illustrent dans la crise sanitaire actuelle. C’est en tirant parti de leur surexposition médiatique sur les plateformes de réseautage social que certaines « vedettes » du showbiz alimentent l’Infox et mettent en péril leurs suiveurs en leur donnant l’exemple de leur turpitude. Ainsi, au terme de 2021, a-t-on pu voir cette brochette d’hilares antivax québécois s’éclatant en vol sur les ailes de Sunwig : visages sans masque, éméchés, collés l’un à l’autre dans des déhanchements effrénés, et se diffusant aussitôt sur le Net. Libres, enfin dans leurs libations abêties! Libres de braver les consignes sanitaires ! Comme ce champion mondial de tennis arborant son antivaxisme à la veille d’un tournoi, mais outré qu’on lui refuse d’y participer pour des raisons sanitaires. Si l’Australie aura raison de la Raquette belgradienne, ce « martyre » de la vaccination clamera sa liberté à ses réseaux influencés. Mais que dire de cette « liberté », quand, se donnant en exemple, elle restreint la liberté des autres, jusqu’à menacer leur vie même ? Un sort particulier attend ces youtoubeux buzzouillant dans les mesures qu’on proposera bientôt à leur endroit.
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Cette digression est en effet trop longue, et je reviens à mon sujet. Je crois que les avantages de ma proposition seront évidents et nombreux, ainsi que de la plus haute importance. Il est enfin temps, après ce préambule, de formuler ma modeste proposition pour aider les antivax à assumer pleinement leur liberté en concourant au bien-être de tou-s-tou-toutes. Je lancerai donc humblement quelques idées qui, je l’espère, ne soulèveront pas la moindre objection, au premier comme au deuxième degré.
Premièrement, je suggère que l’on censure radicalement les propos des pseudos-expert-per-pertes (y compris des expert-per-pertes en expertise), tant sur les ondes que dans la presse écrite et numérique. Il en irait de même des confuses conférences de presse des divers paliers de gouvernement sur la « question sanitaire ». Bannir de l’espace public l’infâme engeance qui nous bassine en pontifiant sur l’obligation vaccinale soulagerait d’autant le stress des braves gens trop longtemps culpabilisés pour leur antivaxisme. Ce temps d’antenne sauvé à la radio et à la TV, comme sur les réseaux numériques pourrait utilement être con-sacré à des programmes éducatifs populaires de téléréalité où nos vedettes préférées profèreraient leur édifiants conseils à la population avide de savoir, de connaissance et de recommandations en matière de m’enfoutisme et d’insouciance généralisée. Des humoristes professionnels seraient conscrits pour animer ces rencontres désopilantes, juste-pour-rire, dans un climat enfin délivré de la sinistrose actuelle.
Deuxièmement : Une telle mesure de bannissement des intellectuels-les-lelles s’accompagnerait, cela va de soi, d’une saisie judiciaire par mesure de sûreté générale et d’une captation de leurs subventions de recherche qui seraient illico reversées à parts égales au FSDI (fonds de soutien des influenceurs-ce-ceuses) et au FAMP (Fonds des Agences de Marketing Publicitaires). En bénéficieraient utilement les joyeux naufragés de Sunwing et leur statufié mentor injustement stigmatisés par la presse, qui pourront alors allègrement fêter leur victoire sur les terres grappillées de Bois-des-Filions. Outre le SPA du Club privé Awad & Co, ils-iels jouiront également du vaste tennis gagné sur les propriétés adjacentes, inauguré pour l’occasion par nul autre que le martyre serbe de la vaccination (également statufié céans). Reste le cas de ces « antivax anonymes » dont il fut question en préambule, ces indécrottables abonnés aux manifestations de rue : dans un esprit charitable, celles et ceuses qui, contraints et forcés, auront finalement succombé à la vaccination pourront à date fixe se livrer à leurs défilés folkloriques sous escorte.
Troisièmement. Dans un esprit de respect et d’immense sollicitude pour les antivax, je propose de prendre à leur égard des mesures telles qu’au lieu d’être une charge pour tous, ces braves gens contribuent généreusement à renflouer les finances de l’hôpital, des garderies, de l’école et de l’université. Il va sans dire, les mesures suivantes ne concernent point les non-vaccinables pour raisons médicales. Quant aux autres, loin de s’en tenir à une « Contribution santé Covid » pour les adultes non-vaccinés (timide mesure incitative sans réel bénéfice financier), l’État leur retirera la Carte d’assurance-maladie jusqu’à leur inscription à une première dose. Même suppression de la Carte pour qui aura déjà saturé les salles hospitalières de soins et de réanimation, provoquant le délestage de cas graves de patients non-Covid : le soigné non vacciné recevra derechef une facture équivalente aux soins encourus, augmentée des dommages et intérêts subis par les patients délestés (dette légale aux ayant-droits en cas de décès). Pour contrer la propagation du virus par les survivants antivax non-solvables et non-inscrits à une première vaccination, on s’abstiendra de leur crever les yeux, comme le prêchent certains exaltés de la seringue et de la survaxination. Par mesure de compromis, lesdits antivax insolvables seront simplement bannis du pays jusqu’à la fin de la pandémie. Pour soulager l’apparente dureté de ces châtiments, des transferts seront organisés à l’Île-aux-Sables, au large de la Nouvelle-Écosse : ce charmant refuse d’oiseaux migrateurs est aussi le sanctuaire de splendides chevaux sauvages dotés de sagesse, que Swift nomme les Houyhnhnms. Pour les antivax insensibles aux pays imaginaires et amateurs de territoires plus cléments, une translation sera prévue vers Cuba. Nul doute que cette option ravira elle aussi les naufragés de Sunwing. L’ex-base militaire de Guantanamo se trouve actuellement en désaffection à la suite du décès non expliqués d’anciens touristes mahométans ; une nouvelle vocation s’impose pour ce lieu enchanteur bordant les flots émeraudes de la Caraïbe et pourvu d’installations hôtelières et sportives de premier choix (dont un tennis réservé à la Raquette serbe). Nul doute que l’investisseur émérite de Bois-des-Filions y trouvera l’occasion rêvée d’aider ses fidèles et d’y consacrer son statut d’entrepreneur et de bienfaiteur.
Quatrièmement. Parmi les antivax, un destin particulier sera réservé aux « sceptiques légitimes » évoqués en préambule. Dans la mesure où l’isolement existentiel de ces douteurs systématiques les tient naturellement à distance de la communauté, le danger de contamination qu’ils représentent reste minime, comme on l’a déjà dit. On s’abstiendra donc de les inclure dans les mesures plus drastiques réservées aux antivax congénitaux. Il conviendra plutôt de ménager nos sympathiques sceptiques et de les donner en exemple à des fins pédagogiques. Peu nombreux statistiquement, ils seront regroupés dans des salles de musées dotées de mesures prophylactiques idoines. C’est là que, pour le bénéfice de tous, d’éminents experts (triés parmi les interdits de subventions évoqués plus haut) expliqueront au public les a priori philosophiques de nos crypto-antivax. Pour les personnes réfractaires à l’espace muséal, des tournées de sceptiques pourront être organisées sur les médias populaires, ou donnés en pâture sur les réseaux sociaux. Quant aux sceptiques suffisamment nantis et entichés de solitude absolue, ils seront expédiés vers Laputa, île volante chère à Gulliver et peuplée d’incorrigibles cerveaux obsédés par le calcul intégral. Enfin, les plus austères de nos « sceptiques légitimes » seront abandonnés sur l’île de Balnibarbi où, à l’Université de Lagado, ils se consacreront à une critique systématique de la Science.
Cinquièmement. Ma dernière proposition concerne les irréductibles Gaulois de l’antivaxisme qui auraient échappé aux fourches caudines des mesures précédentes, soit en prenant le maquis de la conspiritualité, soit en gagnant la belle Beauce à Bernier pour y bouffonner l’été au Festival des Gaulois de Saint-Benoit-Labre. Mais avant de la formuler, je dois prévenir qu’elle risque d’indisposer les âmes sensibles et de m’attirer les foudres du wokisme !
J’en conviens, ma démarche ne respecte point les règles de bienséance en matière d’inclusion, d’équité comme de diversité. Dans un monde où chacun-e doit être écouté et débattre dans un esprit de profond respect envers l'autre, je reconnais mon statut privilégié d’occidental cisgenre non-racisé. Je maintiens toutefois que je ne m’adresse nullement à cette catégorie intersectionnelle d’individus qui s’estiment non seulement discriminés pour leur refus d’être vaccinés, mais aussi par une combinaison variable d’autres discriminations dont ils ressentent douloureusement l’effet sur leur infortunée personne. Non seulement minoritaires au plan sanitaire par rapport à la majorité vaccinée, ces sujets souffrent également, j’imagine, d’une infinité d’autres ségrégations et micro-agressions touchant à l’âge, au sexe, au genre, au handicap physique ou cognitif, à la race, à l’origine ethnique ou à la religion, dans cette société occidentale dominante régie par la Raison, le binarisme et le privilège blanc. Bien que ma proposition ne vise en aucun cas ces sous-catégories de minorités souffrantes, du fait que certaines d’entre elles pâtissent aussi de l’apartheid sanitaire en refusant le vaccin, je crains que ma mesure antivax ne soit vécue par yel.les comme une atteinte pernicieuse à leurs personnes. Enfin, le seul fait qu’à l’exemple de Swift, je recoure à l’humour noir m’expose peut-être à l’accusation infamante d’appropriation culturelle. Qu’y puis-je ?
Ces inutiles précautions oratoires formulées, venons-en donc à ma solution finale. Il s’agit, je le répète, de circonvenir et de réduire les irréductibles Gaulois-es de l’antivaxisme qui, par quelque rouerie, auraient échappé aux quatre mesures précédentes. La cinquième consiste simplement à leur administrer la dose unique d’un nouveau vaccin actuellement en phase finale d’homologation, le DÉCONOVAX. Conçu dans le secret absolu d’un laboratoire québécois, ledit remède est inodore, incolore et indolore. Fruit de longues recherches en Intelligence artificielle, le produit se devait d’être développé au Québec, leader mondial dans le domaine. Administré par voie mentale, il sera diffusé sur Internet par un Joual de Troie via les réseaux sociaux mondiaux (bénéficiant ainsi à l’ensemble de la communauté comploteuse antivax, ainsi qu’à la triste engeance des influenceurs-ceuses). En voici le modus operandi : dès qu’une personne se connectera, avec ou sans VPN, sur un site complotiste, ou effectuera une recherche dans ce sens, dès qu’une ignarde vedette dépassera un seuil (encore tenu secret) de suiveux et followeux youtubeux, le puissant agent du DÉCONOVAX s’emparera de son cerveau (ou de ce qui en tient lieu) pour éradiquer à jamais toute forme de faiblesse d’esprit ou d’insondable imbécilité, vulgairement appelée connerie.
Enfin
Je déclare, dans la sincérité de mon cœur, que je n’ai pas le moindre intérêt personnel à proposer ces mesures, étant moi-même dûment vacciné et retiré du monde. Prêt à me soumettre à l’opprobre de l’un ou l’autre camp, je n’ai d’autre motif que le bien public de mon pays et le salut du système de santé. Comme littéraire, je place ma modeste proposition sous l’égide du grand Swift, brillant pamphlétaire, orfèvre de la satire et de l’ironie.
Bernard Andrès
Professeur émérite, Université du Québec à Montréal, membre de l’Observatoire de l’Humour, du Collège de Patrophysique et de l’Académie des lettres du Québec
18 janvier 2022
Crédit image: An Incident of the Small-Pox Epidemic in Montreal, par Robert Harris, paru dans le Harper’s Weekly, 28 novembre 1885.