Depuis la victoire d’Emmanuel Macron aux élections présidentielles de 2017, plusieurs redoutaient une répétition des résultats de la confrontation Macron-Le Pen en 2022, faute de candidats ou même de partis présentant une option politique alternative.
À moins d’une semaine du premier tour, à en croire les sondages les plus récents, nous semblons nous diriger précisément vers ce scénario, à une exception près : Marine Le Pen pourrait bien l’emporter cette fois-ci.
Un second tour opposant à nouveau Emmanuel Macron et Marine Le Pen, qui reste encore hypothétique, mais semble probable, n’était pourtant pas une évidence voilà à peine quelques semaines, encore moins une victoire possible de la candidate du Rassemblement national (RN).
Macron, l’anticandidat
La campagne du président sortant Emmanuel Macron peut être qualifiée en un mot : l’absence. De son trône jupitérien, Macron n’a pas daigné jusqu’à tout récemment participer à la campagne, refusant tout débat avec les autres candidats.
Déjà largement en tête dans les sondages avant que la guerre en Ukraine éclate, Macron a préféré les séances photo le mettant en scène comme un chef de guerre, cloisonné dans son palais à tenter de préserver la paix en Europe à la confrontation des candidats dans l’arène qu’est la course électorale au premier tour.
Certains (dans son camp) diront que Macron « incarne » la présidence et n’a pas à se rabaisser à être un simple prétendant, misant à raison sur son image de chef d’État et la stabilité qu’il représente alors que le monde et la société française semblent se diriger vers une déflagration croissante.
Si Macron incarne quelque chose, c’est bien plutôt l’ancrage au pouvoir d’une nouvelle aristocratie gestionnaire, comme le démontre le mépris qu’il dégage dans le cadre du scandale découlant de la révélation des frais astronomiques (près d’un milliard d’euros d’après une estimation) payés par son gouvernement à différents cabinets de consultants pour assister son gouvernement dans la gestion des politiques publiques.
Le pari semblait être le bon pour Macron, mais ce « McKinsey gate » semble avoir entamé une descente qu’il n’a pas réussi à freiner et qui resserre l’écart avec Marine Le Pen au point d’approcher de la marge d’erreur des sondages.
Or, cette marge d’erreur est plus mince qu’elle paraît pour Macron qui, après une non-compagne, n’a aucun élan conséquemment, en plus d’être appuyé par un parti tout aussi absent que son chef depuis le début de la campagne.
Après tout, La république en marche (LREM), ce parti artificiellement créé par les hommes et femmes politiques les plus ambitieux professionnellement provenant de la gauche et de la droite pour donner une majorité législative à Macron en 2017, est aujourd’hui un parti presque fantôme si peu il est entendu dans les médias et dans cette campagne. Il est d’ailleurs peu probable que ce parti survive à une défaite de Macron.
Le président sortant entrevoit donc sa défaite potentielle contre ce qu’il croyait être sa police d’assurance pour rester au pouvoir, un second tour contre Marine Le Pen.
Le Pen > Zemmour ?
L’arrivée d’Éric Zemmour dans le monde politique en novembre dernier a suscité l’espoir pour ceux qui ont souhaité un candidat « gaullo-bonapartiste » à droite, qui pourrait détrôner Marine Le Pen et représenter cette famille politique avec plus de brio au second tour au sein d’une forme d’union des droites longtemps voulue.
En pleine ascension, l’ancien journaliste a d’ailleurs été projeté momentanément au second tour par les sondages en début de campagne, alors qu’il subtilisait électeurs et cadres aux autres partis de droite, soit Les républicains (LR) et le Rassemblement national (RN), tout en ajoutant plus de 100 000 membres à son nouveau parti, Reconquête !, en quelques mois seulement.
Aujourd’hui, sa campagne semble pourtant s’essouffler et perdre du terrain, minée notamment par ses propos prorusses des dernières années et son incapacité à se faire entendre sur la question du pouvoir d’achat.
De plus, les différents ralliements de cadres et stratèges influents provenant du RN et de l’entourage de Marine Le Pen, plus particulièrement Marion Maréchal, n’ont pas été suivis par l’électorat du RN. Ceux qui avaient effectué le pèlerinage vers Zemmour en début de campagne semblent même avoir rebroussé chemin pour revenir se ranger derrière la cheffe du Rassemblement national en fin de campagne.
Les dés ne sont toutefois pas encore jetés et Zemmour pourrait surprendre une nouvelle fois. Cependant, il aura peut-être aidé à la recomposition de la droite qu’il souhaite tant, même si un tel rassemblement pourrait ne pas s’effectuer autour de lui, mais plutôt autour de Marine Le Pen, finalement.
En remplaçant le RN à l’extrême droite de l’échiquier politique, il aura poussé le RN vers le centre droit, une position enviable électoralement, ce qui, par effet domino, aura poussé LR vers le centre, une position perdante alors que cet espace est déjà occupé et dominé par Macron. À son corps défendant, Zemmour laisse ainsi le chemin libre au RN et à Marine Le Pen pour représenter ce créneau politique à droite potentiellement gagnant face à Macron au second tour.
Le Pen semble donc avoir remporté son pari, en misant sur la loyauté des électeurs et sur l’apaisement rhétorique alors que le discours zemmourien axé sur le concept de « Grand remplacement » aura plu à une jeunesse dynamique et urbaine, mais ne semble pas avoir eu l’effet escompté sur un électorat RN issu des classes populaires.
Valérie Pécresse, LR, 3e parti de droite ?
Au centre droit, la candidature de Valérie Pécresse annonçait un retour en force de LR et donnait également espoir d’éviter un second tour Macron-Le Pen qui se terminerait inéluctablement de la même façon qu’en 2017. Elle était en effet donnée gagnante au second tour face à Emmanuel Macron dans les jours qui suivirent sa nomination comme candidate de LR, la seule à avoir réussi cet exploit, même si ce n’était que dans des sondages et à plusieurs mois encore des élections.
Mais le désenchantement fut rapide. Après les espoirs suscités en début de campagne, Pécresse et LR en sont réduits aujourd’hui à potentiellement jouer la survie même du parti comme acteur important de la politique française.
Incapable de se distinguer du centre macronien et de la droite patriote, la candidate est en chute significative dans les intentions de vote et pourrait bien se retrouver derrière Zemmour et Le Pen, donc troisième à droite et cinquième globalement, une position inédite pour ce parti se disant héritier du gaullisme et qui a longtemps représenté le pouvoir au sein de la Ve république.
La gauche, entre impuissance électorale et fanatisme idéologique
Morcelée, la gauche reste quant à elle incapable de compléter sa propre recomposition, cinq ans après l’implosion mortelle du Parti socialiste (PS), ancienne grande coalition de gauche qui avait porté François Mitterrand et François Hollande à la présidence.
Incapable de se rallier sous une candidature unique le temps des élections, la gauche se retrouve représentée de fait par Jean-Luc Mélenchon, comme en 2017, le seul candidat de cette famille politique viable électoralement.
Cela dit, malgré les sondages qui le placent en troisième position avec près de 15% des intentions de vote, Mélenchon fait face à un plafond de verre évident qui l’empêche, du moins c’est très probable, d’accéder au second tour, alors que la gauche est largement minoritaire dans le pays tout en étant incapable de soutirer des votes au centre ou à la droite.
Pire, idéologiquement, la gauche se trouve dans une impasse, prise entre un drôle de mélange épousant les formes les plus radicales du féminisme et de l’écologisme au sein du parti de Yannick Jadot d’un côté, d’une plateforme communiste surréelle avec Fabien Roussel de l’autre et, pour finir, d’une islamophilie promouvant le communautarisme et une « créolisation » de la France souhaitée et assumée par Jean-Luc Mélenchon et son parti, la France insoumise.
Quel scénario ?
À quelques jours du premier tour, située devant Jean-Luc Mélenchon, Éric Zemmour et Valérie Pécresse, avec une avance confortable dans les sondages, Marine Le Pen est favorite pour passer au second tour et affronter Emmanuel Macron.
Tout n’est pas joué, bien entendu. Les résultats du premier tour des élections présidentielles pourraient bien faire mentir les sondeurs, encore une fois.
Éric Zemmour pourrait causer la surprise et précipiter la chute de Marine Le Pen en interrompant son ascension annoncée, surtout si le « vote caché » (s’il existe) émerge en sa faveur, comme le clame Zemmour.
Si Marine Le Pen le devance, l’écart de point entre les deux candidats déterminera le rapport de force dont Zemmour pourra faire usage avant d’appeler à soutenir Le Pen au second tour, ce qui serait logique étant donné la proximité idéologique des deux candidats.
À l’inverse quel avenir politique envisager pour Éric Zemmour s’il chute sous les 10% au premier tour et que Marine Le Pen devient présidente ?
Jean-Luc Mélenchon pourrait bien lui aussi rassembler l’électorat de gauche à défaut des partis de gauche, pour coiffer ses adversaires à la ligne d’arrivée et causer la surprise générale en accédant au second tour.
Faute de pouvoir espérer battre Macron, Mélenchon et la France insoumise pourront tout de même penser rebâtir la gauche à leur image, remplaçant le PS dans son rôle passé de grande coalition de gauche.
Enfin, du côté d’Emmanuel Macron, même s’il termine en tête au premier tour, advenant que ses résultats confirment une descente qu’il serait incapable d’inverser et qui le mettrait nez à nez avec Marine Le Pen au second tour, on peut croire que la panique s’installerait dans son camp, faute d’une dynamique de campagne ou d’un parti digne de ce nom pour le relancer.
Annoncé fatalement depuis plusieurs années, le premier tour du 10 avril prochain pourrait donc bien mener à une répétition de 2017 avec un second tour Macron-Le Pen, à l’exception près que cette fois-ci, la défaite de Marine Le Pen est tout sauf inéluctable.
Image: 1. Copyleft, 2. Foto-AG Gymnasium Melle, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons