Augmenter le texte Diminuer le texte

Résultats du 1er tour de la présidentielle française: les recompositions inachevées

Un texte de Philippe Labrecque
Thèmes : France, Politique, Société
Numéro : Argument 2022 - Exclusivité web 2022

Le premier tour des élections présidentielles françaises est maintenant chose du passé et la reconfiguration du paysage politique français progresse et se rapproche sans doute d’une forme plus permanente, sans y être encore tout à fait.

En additionnant les résultats obtenus lors de ce premier tour par chaque camp idéologique, on remarque que trois pôles politiques au poids électoral similaire s’imposent désormais.

 

La France insoumise, le nouveau PS

L’annonce de la mort du Parti socialiste s’est avérée véridique. Avec moins de 2% des voix, le PS, cette grande coalition de gauche qui a porté François Mitterrand et François Hollande au pouvoir, est aujourd’hui le 4e parti de gauche et le 10e parti de France, d’après les résultats du 1er tour. Autant dire que sans la gloire passée du parti, le PS sombrerait dans l’insignifiance.

La gauche française semble aujourd’hui se reconstituer derrière Jean-Luc Mélenchon, ce dernier ayant manqué de peu d’accéder au second tour. Il s’en serait fallu d’un petit supplément de 1,2% des voix exprimés.

En pratiquant le vote utile, l’électorat de gauche aura décidé par lui-même d’entamer une reconstitution de ce camp politique autour de Mélenchon, malgré l’incapacité des différents partis de gauche à s’entendre au sein d’une nouvelle alliance, comme celle que représentait le PS de l’époque.

Qualifiée par certains « d’islamo-gauchiste » et se situant idéologiquement à la limite d’un socialisme économique dure et d’une vision communautariste-indigéniste de la société française, la France insoumise peut aujourd’hui légitimement se positionner comme étant le grand parti fédérant la gauche en France.

 

Macron, par défaut

Au centre, Macron domine, sans adversaire réel, comme le confirme la débandade de son adversaire principal lors de cette campagne de premier tour, soit Valérie Pécresse, qui est une centriste-opportuniste, quoi qu’elle en dise. Celle-ci aura d’ailleurs appelé à voter Macron au second tour, sans hésitation.

Depuis plus de cinq ans, Macron a siphonné les électeurs et les cadres les plus au centre du PS, lui-même provenant de ce parti, ainsi que chez Les républicains (LR). Macron passera peut-être à l’histoire pour avoir mis fin aux « partis de gouvernement » de la politique française, soit le PS et LR, qui sont aujourd’hui à l’agonie.

Ce pôle politique que Mathieu Bock-Côté a qualifié avec justesse de « Macron-compatible » devra peut-être bientôt faire face à un destin sans Macron, justement, si Marine Le Pen devait l’emporter au second tour, ce qui est tout sauf impossible.

Il est même probable que de nombreux électeurs de Macron se sont simplement résignés à voter pour lui par défaut, faute d’alternatives viables à gauche et à droite. Avec un parti (LREM) presque inexistant dans l’imaginaire des électeurs et le refus apparent du candidat de se prêter au jeu de la campagne, le président sortant manque cruellement d’élan et de dynamique à l’aube du second tour malgré ses 28% de voix obtenus lors du premier.

Même si Macron devait remporter un 2e mandat, celui-ci serait de toute façon son dernier car la loi française lui interdit d’en briguer un troisième. On saura alors, dans cinq ans, si quelque chose ou quelqu’un peut remplacer le président sortant et maintenir le pôle centriste et le macronisme en vie. Sinon, les éléments qui le constituent se rapprocheront sûrement des pôles reconstitués de la gauche et de la droite.

 

Le grand rassemblement national avec la gauche

Marine Le Pen a quant à elle réussi à surmonter l’assaut sur son flanc droit qu’était la candidature d’Éric Zemmour. Celui-ci a peut-être remporté la bataille rhétorique et celle des idées, mais il a perdu la guerre contre le vote utile. Néanmoins, ces deux candidats forment aujourd’hui le cœur de la droite, peu importe ce que les cadres de LR en pensent.

Certaines fissures sont cependant visibles malgré cette victoire de premier tour du RN et de Marine Le Pen. Les résultats de Le Pen semblent découler d’un vote utile contre Macron plus que d’une adhésion franche à ses idées et positions qui peuvent paraître floues par moment. Le Pen a modifié son image et son discours politique à maintes reprises au fil des années pour plaire à différents groupes d’électeurs, dans l’espoir de former une coalition gagnante, au point qu’on se demande aujourd’hui où elle se situe réellement, idéologiquement parlant.

Les désertions nombreuses et significatives d’anciens et d’actuels cadres du RN depuis plusieurs années et plus particulièrement en pleine campagne indiquent que ce parti est peut-être un géant électoral aux pieds d’argile.

Une défaite avec un écart significatif face à Macron pourrait donc entraîner la chute politique de Marine Le Pen. Plusieurs de ses électeurs ont probablement été tentés par la candidature d’Éric Zemmour dans le cours de la campagne, mais ont finalement voté pour Marine Le Pen, croyant cette dernière plus apte à créer une coalition gagnante au second tour dans l’objectif de vaincre Emmanuel Macron. Si Le Pen devait échouer une seconde fois à vaincre Macron, son électorat pourrait bien conclure que son plafond de verre politique a été atteint.

Le grand rassemblement voulu par Marine Le Pen pour le second tour penche plus à gauche que vers la droite. Le Pen a ainsi catégoriquement rejeté l’idée d’intégrer Éric Zemmour ou Marion Maréchal dans un hypothétique gouvernement RN, alors qu’elle tente clairement de séduire l’électorat de gauche populo-souverainiste qui a voté pour Jean-Luc Mélenchon le 10 avril dernier.

Notons que Zemmour a su surmonter les rancœurs personnelles propres à la droite en appelant à voter pour Marine Le Pen sans « négocier » ses voix, alors que Mélenchon de son côté a été catégorique : « pas une seule voix pour l’extrême droite ». Reste à voir si le rejet d’Emmanuel Macron à gauche est tel que cet électorat pourrait aller jusqu’à voter pour cette « extrême droite » tant décriée par Mélenchon.

 

Vers le second tour

Zemmour prônait l’union des droites, Le Pen pour sa part  prône plutôt l’union avec la gauche. Si Le Pen échoue dans cette stratégie de second tour, les deux candidats auront perdu leur pari respectif. Autant dire que la recomposition à droite reste très largement incomplète.

Certains sondages indiquent qu’une section significative de l’électorat de gauche voterait pour Marine Le Pen dans un élan de rejet total d’Emmanuel Macron. Quelle emprise Mélenchon a-t-il vraiment sur un électorat qui se divise globalement entre les « bobos » des grands centres d’un côté et un vote communautariste évident de l’autre ?

La logique du « tout sauf l’extrême droite » pourrait bien reconduire Emmanuel Macron par défaut alors que 70 % des Français ne veulent plus de lui à l’Élysée.

Tout ça pour ça, diront alors certains.

 

Image: Jamain, CC BY 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by/4.0>, via Wikimedia Commons

 


Téléchargement PDF

Retour en haut

LISTE D'ENVOI

En kiosque

Vol. 26 no.2
Printemps-Été 2024

Trouver UN TEXTE

» Par auteur
» Par thème
» Par numéro
» Par dossier
Favoris et partager

Articles les plus lus


» trouvez un article