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La monarchie et l'indépendance

Un texte de André Binette
Thèmes : Gouvernement, Nation, Québec
Numéro : Argument 2023 - Exclusivité web 2023

Qu’est-ce qui fait qu’au 21 siècle certains peuples indépendants ou qui aspirent à le devenir continuent de s’attacher à l’idée de la monarchie alors que d’autres, la plupart, la rejettent complètement?


L’Écosse et l’Irlande

Nous avons une illustration de ce contraste dans l’histoire moderne du Royaume-Uni. Les indépendantistes écossais ont fait savoir, lors de leur référendum en 2014, qu’ils auraient conservé la monarchie s’ils avaient atteint leur objectif. La raison donnée a été qu’une monarchie écossaise distincte a existé pendant plusieurs siècles avant une fusion personnelle avec la monarchie britannique en 1603, à la mort d’Elizabeth Ière qui ne s’était jamais mariée, lorsque son petit-cousin le roi d’Écosse lui a succédé. Ses successeurs ont ensuite occupé les deux trônes pendant un siècle jusqu’à l’union politique et l’absorption de la couronne écossaise par une loi britannique de 1707, appelée l’Acte d’Union. Les indépendantistes écossais veulent ressusciter cette ancienne monarchie distincte.

En Irlande, la situation est tout autre. Ce pays n’avait jamais connu une monarchie unifiée avant la conquête et la colonisation britannique. Après une longue résistance, le peuple irlandais s’est soulevé avec succès au lendemain de la Première Guerre mondiale. Ce soulèvement a abouti en un accord en 1921 avec le gouvernement britannique, qui prévoyait que l’Irlande obtiendrait le statut de Dominion, c’est-à-dire deviendrait une colonie autonome au sein de l’empire et resterait soumise à la couronne britannique. L’accord prévoyait explicitement que le statut de l’Irlande serait le même que celui du Canada. Cet accord a tellement mécontenté l’aile républicaine du mouvement indépendantiste qu’une brève guerre civile a suivi qui a toutefois été remportée par les modérés. En 1931, l’Irlande a donc accédé à l’indépendance juridique par le Statut de Westminster en même temps que le Canada. Cependant, lorsque les républicains ont pris le pouvoir par la voie démocratique quelques années plus tard, ils se sont empressés d’abolir la monarchie, si bien que les Irlandais d’aujourd’hui situent leur véritable indépendance en 1937 et non en 1931, la monarchie étant associée dans leur esprit à une domination étrangère et le Statut de Westminster qui s’applique toujours au Canada ayant été considéré insuffisant par le peuple irlandais. 

Le mouvement indépendantiste catalan rejette la monarchie espagnole pour la même raison. Les Catalans ont été, pendant la guerre civile qui a déchiré l’Espagne de 1936 à 1939 et qui a servi de prélude à la Deuxième Guerre mondiale, aux côtés des républicains espagnols qui avaient aboli la monarchie un peu plus tôt. Le dictateur Franco a rétabli cette monarchie à la fin de sa vie dans les années 1970 après avoir exercé seul le pouvoir pendant plusieurs décennies. Les indépendantistes catalans demeurent quant à eux républicains.

Un autre cas des plus intéressants est celui des pays scandinaves.

 

La monarchie en Scandinavie

Les cinq États scandinaves sont tous démocratiques, stables et prospères. Leur qualité de vie et leur culture sont partout respectées et souvent admirées. Trois d’entre eux sont des monarchies constitutionnelles qui ne sont nullement contestées et deux sont des républiques. Pourquoi? La réponse est pertinente pour le Québec.

Les deux républiques sont l’Islande et la Finlande. L’Islande, alors une colonie danoise comme le Groenland voisin, a déclaré unilatéralement son indépendance en 1944, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, en profitant du fait que le Danemark était occupé par les Allemands tandis qu’une importante base militaire américaine la protégeait. Après la guerre, le Danemark est devenu lui-même un allié des Américains et a choisi de ne pas remettre en cause cette indépendance. Il n’était nullement question pour l’Islande de conserver la monarchie puisqu’elle n’avait jamais eu une telle institution qu’elle associait à la colonisation étrangère.

A l’autre extrémité de la Scandinavie, la Finlande a vécu une variante de ce même scénario. Tout au long de son histoire, elle avait souvent servi de champ de bataille dans les guerres qui avaient opposé les couronnes russe et suédoise, mais ne s’identifiait ni à l’une ni à l’autre. Au début de la Première Guerre mondiale, elle faisait partie de la Russie tsariste, comme la Pologne et les États baltes, qui sont tous devenus des républiques. Le chaos qui a suivi la révolution soviétique de 1917 lui a donné l’occasion de déclarer son indépendance. Lénine, qui avait une guerre civile majeure sur les bras en Russie et beaucoup d’autres chats à fouetter, a choisi de la tolérer. Le choix d’un régime républicain par la Finlande a encore une fois étroitement été associé à l’indépendance et au rejet de l’impérialisme. Les Danois et les Suédois, au contraire, tout comme les Hollandais, ont été des colonisateurs et leur monarchie est toujours un facteur de fierté nationale qui rappelle un passé plus glorieux, comme au Japon et en Angleterre. Mais on peut souligner que cette fierté nationale n’a pas empêché certains pays colonisateurs, comme le Portugal, de rompre avec ce passé monarchiste et de choisir la république.

Chaque cas est différent, mais celui de la Norvège est peut-être le plus singulier et le plus révélateur. On sait que la Norvège a fait sécession de la Suède en 1905 de manière pacifique et démocratique par un référendum. Ce processus exemplaire d’accession à l’indépendance est celui que l’on souhaite pour le Québec. Aujourd’hui, ce pays de 5 millions d’habitants est riche et prestigieux, en plus d’être en bons termes avec son État prédécesseur. Ce que l’on sait moins, c’est que la Norvège, qui a ainsi inspiré l’Écosse voisine, a ressuscité une monarchie qui n’avait plus existé depuis 500 ans[1]. L’ancienne monarchie norvégienne avait acquis une valeur mythique en ce pays en quête de symboles nationaux. Comment faire pour la rétablir puisqu’après un demi-millénaire on ne pouvait trouver aucun descendant des anciens rois et qu’un simple homme politique n’aurait su faire l’affaire?

La Norvège a résolu ce problème en faisant appel à la monarchie de son autre voisin, le Danemark, avec lequel elle n’était pas en conflit. Elle a demandé au fils cadet du roi du Danemark, celui qui n’allait pas hériter du trône de son pays natal, de fonder une nouvelle dynastie. Ce prince, apparenté à la monarchie britannique, devint norvégien du jour au lendemain avec l’accord de son père, et prit le nom de Haakon VII, Haakon VI étant mort en 1380 sans descendance. Haakon VII régna plus de 50 ans et son fils, un héros national qui régna à son tour de 1957 à 1991, prit également le nom norvégien d’Olav V. Il épousa une princesse suédoise à laquelle le peuple norvégien s’est attaché, une forme ancienne de réconciliation entre des États européens.  Ils furent les parents du troisième roi moderne, Harald V, aujourd’hui âgé de 86 ans. Cette lignée royale se poursuivra avec son successeur, qui sera Haakon VIII.

 

Leçons pour le Québec

De tous ces exemples, on peut retenir l’étroite relation entre la question de la monarchie et l’identité d’une nation.

Si le Québec devient indépendant, on peut prédire sans se tromper qu’il n’ira pas voir les représentants de l’une des trois familles royales ou impériale françaises (les Bourbon, les d’Orléans et les Bonaparte) pour ressusciter la monarchie. Sur ce point, les Québécois sont plus proches des Irlandais, des Finlandais, des Islandais ou des Catalans que des Écossais ou des Norvégiens.

Notre peuple ne s’objecte pas seulement à la monarchie canado-britannique, symbole de la Conquête. Il rejette le principe même de la monarchie parce qu’il est attaché aux principes de laïcité, d’égalité des citoyens et de démocratie[2]. Le peuple québécois est spontanément, même si c’est implicitement, républicain.

S’il devient souverain, il est très probable que le Québec suivra, de manière consensuelle, la voie tracée par les révolutions française et américaine qui ont instauré des républiques durables et démocratiques. À long terme, il voudra peut-être se doter d’une présidence exécutive comme la France et les États-Unis, mais au départ, comme les priorités seront sans doute la défense de la langue française, la crise environnementale et le développement économique, on voudra plus vraisemblablement s’en tenir au régime parlementaire d’origine britannique avec un premier ministre puissant et une présidence symbolique comme il en existe dans plusieurs États.

Il faut cependant reconnaître que pour une nation, la monarchie peut être un important facteur d’unité au même titre qu’une langue commune. On peut dire que ce fut le cas au Canada anglais, même si c’est de moins en moins vrai.

Par ailleurs, ce qu’a fait la Norvège en se choisissant un roi n’est pas si éloigné de ce qu’a fait de son côté Israël sur le plan linguistique après l’indépendance en 1948. Pour unir ses premiers habitants d’origines et de langues diverses, Israël s’est doté d’une version moderne de l’hébreu, une langue morte depuis plus d’un millénaire, qui avait peu à voir avec le yiddish qui était majoritairement parlé par les juifs originaires d’Europe. Cette politique linguistique volontariste a pleinement réussi. Dans les deux cas, il s’agissait d’éléments fondamentaux de la construction d’une nation.   

Mais la construction d’une nation peut tout aussi bien s’effectuer, plus fréquemment et de plus en plus consciemment, en opposition à une monarchie surtout quand celle-ci incarne la domination d’une autre nation. Le Québec se situe dans ce courant majoritaire. En ce sens, le combat pour la république est un aspect du combat pour l’indépendance.

On peut être à la fois indépendantiste et monarchiste, mais le plus souvent l’indépendance rime avec la république. Tout dépend de la réalité historique concrète de chaque nation. C’est d’ailleurs occulter l’œuvre des Patriotes que de ne pas souligner qu’ils étaient républicains. En passant la république sous silence dans les deux référendums sur la souveraineté, le mouvement souverainiste québécois s’est privé de la puissance de cette idée, qui renvoie, dans sa signification la plus élevée, à la conscience civique, à la responsabilité citoyenne et au service à la société.

 

André Binette, avocat spécialisé en droit constitutionnel

 

Image: Dennis Sylvester Hurd, CC0, via Wikimedia Commons

[1] Un interlocuteur norvégien m’apprend qu’il y a eu deux référendums en 1905, le premier sur la souveraineté et le second sur la monarchie. Quoiqu’une majorité claire ait été obtenue dans chaque cas, les appuis étaient plus importants pour le premier. 

[2] La monarchie n’est évidemment pas absolument incompatible avec la démocratie. Elle l’est seulement au sens qu’il s’agit d’une fonction héréditaire, non élective, qui empêche les citoyens d’accéder à la charge de chef de leur État. 


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