Texte adapté d’une allocution prononcée par l’auteur à la Chambre des communes le 11 mai 2023.
Ottawa, mise à jour postnationale 3.0 : offrir à une multinationale, la tentaculaire McKinsey, le lucratif mandat de définir un pan aussi important de la politique publique que celui des seuils migratoires. Ottawa a beau prétendre refuser la Century Initiative, son plan est exactement le même. La cause est entendue et l’opération de communication implacable : la seule manière de s’éviter les accusations de racisme est d’augmenter la population totale du Canada de 100 millions d’ici 2100. Pour concocter cette volonté, faite sur mesure pour les big boss, Ottawa a combiné l’ignorance des besoins et la volonté de distinction culturelle du Québec et des Premières Nations au mépris le plus total des capacités d’accueil réalistes. Ottawa n’a même pas le mérite de rendre service à ces futurs nouveaux arrivants, pour lesquels elle n’ose même pas annoncer la construction de nouveaux logements.
Qu’on se le dise : l’Initiative du siècle, ce n’est pas l’idée du siècle, et ce, en dépit des phrases creuses qui définissent la seconde nature du premier ministre Trudeau.
Un projet contre le Québec
Le Québec, comme nation, dont le parcours historique s’est combiné de phases de survie, et de moments d’affirmation, a pour souci permanent se pérennité culturelle et linguistique. En 1978, le gouvernement du Parti québécois de René Lévesque a adopté La politique québécoise du développement culturel, rédigé par deux des plus grandes têtes pensantes de notre histoire, Guy Rocher et Fernand Dumont, sous le parrainage du brillant ministre Camille Laurin. C’est d’ailleurs Camille Laurin qui est le vrai artisan de l’intégration des immigrants au Québec, beaucoup plus que Gérald Godin, un homme digne du plus grand respect mais dont la récupération ad nauseam est plutôt agaçante. Tout était clair : la culture de tradition française se doit d’être un foyer de convergence culturelle. La raison en est fort simple : en régime démocratique, les citoyens et citoyennes doivent pouvoir s’entendre sur un lieu commun d’échange. Comme jadis, il n’est pas question pour la culture québécoise d’abolir les autres cultures sur notre territoire, mais bien de constituer un lieu de réunion concret, sensible, nécessaire à l’établissement d’un sentiment commun d’appartenance, d’une vision partagée du bien commun. Le Québec peut autant être la nation de Gilles Vigneault que celle de Dany Laferrière. En 2023, l’opposition unanime, tous partis confondus, de l’Assemblée nationale à la Century Initiative, pour laquelle elle n’a aucunement été consultée, en traduit l’évidence.
Dans une telle mesure, le Québec, nation accueillante et généreuse, est prête à accueillir le plus d’immigrants possible. Mais rappelons-nous que le mot possible revêt ici tout son sens, et la question du nombre a une importance. S’il existe une telle chose que la capacité de fixer, par l’appareil d’État, le nombre de nouveaux arrivants par année, c’est qu’il est légitime d’en discuter, d’en débattre, de les réfléchir, de les penser. Ce débat est malheureusement trop souvent confisqué, alors que les épithètes visant à le restreindre sont abondamment employées, avec l’objectif ostentatoire de rendre infréquentables les mécréants qui ne sont, au final, que soucieux d’une plus harmonieuse intégration.
Une utopie typiquement canadian
On entend souvent, à propos de l’immigration, la métaphore du robinet. Si l’on ne veut pas que le vase déborde, il faut le remplir consciencieusement, de façon responsable. Traiter cette question à travers les lunettes rouges-oranges de l’idéologie est purement et simplement fallacieux, comme est répugnante cette volonté d’exclure du débat les opinions dissidentes. Ces opinions sont parfois d’ailleurs plutôt de rigoureuses démonstrations d’experts, qui soulignent le gigantesque danger pour la survie même de la nation québécoise d’une hausse aussi brutale.
Le Canada, à l’inverse, est au contraire gangrenée jusqu’au trognon par une utopie, celle du multiculturalisme, celle de l’idée que tout nouvel arrivant n’a qu’à se recroqueviller dans des communautés repliées sur elles-mêmes basées sur son appartenance d’antan. Le régime canadien ne perçoit pas qu’il existe des citoyens égaux en droits et en devoirs membres d’une nation commune, mais un amas de minorités pouvant passer la totalité de leur existence sans avoir même besoin à s’adresser la parole. Et cette utopie radicale est institutionnalisée dans la constitution canadienne, une constitution irréformable, figée dans le béton, imposée unilatéralement par Pierre Eliott Trudeau, dont le Québec n’est toujours pas signataire à ce jour. Et le gouvernement des juges, non-élus, est en charge de démanteler les lois du Québec, comme la Charte de la langue française qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, comme la loi 21, qui risque de ne pas connaître un avenir plus radieux. Cette caste se fait un point d’honneur de neutraliser la démocratie québécoise, de casser son affirmation en tant que nation, d’étouffer ses institutions politiques.
Il n’est guère surprenant, dans cette perspective, que fiston veuille aujourd’hui poursuivre le rêve de papa. Cela n’étonne guère, ni sur le plan de la hausse fulgurante des seuils d’immigration, ni sur celui de la dépolitisation d’une décision aussi importante, au profit (dans tous les sens du mot profit) de la clique apatride de McKinsey, qui sème la pagaille et crée des scandales partout où elle passe. La coupe est pleine.
When McKinsey Comes To Town
Dominic Barton a dirigé la firme McKinsey, un État dans l’État, de 2009 à 2018. En 2016, Barton – qui dirigeait toujours la firme McKinsey – a été nommé à la tête du Conseil consultatif en matière de croissance économique constitué par le gouvernement canadian. En plus d’être dirigé par le dirigeant de McKinsey, ce groupe était soutenu par des employés de McKinsey Canada. Dominic Barton est aussi cofondateur du lobby, The Century Initiative, soutenu financièrement par le grand capital de Toronto, qui vise à augmenter l’immigration graduellement jusqu’à plus d’un million d’immigrants permanents par année. La Century Initiative se démarque aussi notamment, précisons-le, par sa volonté agressive de forcer des projets gaziers et pétroliers en territoire autochtone, nonobstant leur appui. Le wokisme des grands capitalistes canadian et sans patrie – des termes qui sont souvent synonymes, en dépit de leur opposition apparent – montre bien qu’il n’est qu’une posture esthétique et bien-pensante, à appliquer à géométrie variable. On le voit ici par le peu de respect envers les volontés des Premières Nations, qu’on garde sous le régime raciste de la Loi sur les Indiens, nonobstant les discours larmoyants des élites d’Ottawa, visant à briller en société.
En réponse à une question de Julie Vignola, députée de Beauport-Limoilou, lors de la comparution de Dominic Barton au comité des opérations gouvernementales, dans le cadre de l’étude sur McKinsey, le principal intéressé a avoué que le groupe de pression n’a jamais considéré l’impact sur le fait français qu’allait avoir une telle hausse de l’immigration. Sur le site de la Century Initiative, aucun rapport ne mentionne l’impact de cette hausse massive des seuils d’immigration sur le fait français. Personne, dans les troupes rouges-oranges, ne s’en indigne ou ne s’en préoccupe.
Il importe de rejeter urgemment le projet dangereux de la Century Initiative. Mais, pour cesser durablement de quémander, pour cesser de contraindre l’Assemblée nationale à voter à répétition des motions unanimes qui ne créeront même pas un petit chatouillement en cette Chambre des communes, pour cesser la tendance à la réduction permanente du poids du Québec en ce parlement, qui ne fera des Québécois et Québécoise qu’une minorité qui n’aura même plus le mérite de distraire le régime, pour clarifier à la face même de tout individu qui voudrait élire domicile chez nous qu’il appartiendra à une patrie qui se nomme Québec et qu’il pourra dire nous avec elle, faisons le choix de la liberté.
Le choix est clair : la liberté, ou l’impuissance collective dans la médiocrité, l’indépendance, ou la folklorisation et la minorisation, et ce, jusqu’à notre disparition pure et simple.
Simon-Pierre Savard-Tremblay
Député de Saint-Hyacinthe—Bagot (Bloc québécois)