Dans la courte histoire du Québec moderne, l’université a joué un rôle considérable. On sait la tâche immense attribuée à l’éducation dans le projet de la Révolution tranquille. Nul doute que l’université a su, au cours des dernières décennies, répondre pour une part importante aux attentes soulevées alors, c’est pourquoi il convient de reconnaître ses mérites. Toutefois, dans ce bilan des grandeurs et des misères de l’université québécoise, il convient aussi de relever certaines failles. C’est d’ailleurs en s’appuyant sur un tel constat que certains en sont venus à exiger aujourd’hui sa transformation afin de rendre celle-ci plus démocratique et surtout mieux adaptée aux nouveaux besoins de la société. Il s’agirait, à l’encontre d’intérêts corporatistes bien établis au sein de l’institution universitaire, d’arrimer celle-ci autrement à ce que plusieurs qualifient de « société du savoir ». Déjà, sous l’influence de ces critiques, le fonctionnement de l’université a été grandement modifié et sans doute, si aucune résistance n’est faite, ces transformations souhaitées changeront radicalement le visage de ce qu’il n’y a pas si longtemps nous pouvions nommer — à la suite de Hannah Arendt — la demeure propre de la vie de l’esprit.
Devant ces ambitieux projets de métamorphose de l’université, déployés sous les contraintes conjuguées de l’État et de la société, plusieurs en viennent à douter, parmi lesquels il faut compter Georges Leroux, que l’université puisse encore remplir sa mission historique. Il s’agit de savoir si l’institution universitaire peut demeurer le lieu où s’accomplissent le dépôt des savoirs et la décantation nécessaire des discours. En soumettant l’université aux dictats des administrateurs et aux impératifs du marché, il deviendrait difficile, voire impossible, de préserver cette précieuse distance entre la société et l’université qui a permis à cette dernière d’assurer le rassemblement des connaissances ainsi que leur transmission. En somme, une université trop absorbée dans le jeu de l’économie ne pourrait être qu’une université détournée de ses tâches essentielles, parmi lesquelles se trouve la garde de l’héritage humaniste. Il y aurait donc péril en la demeure parce que l’université se trouve soumise à la pression de puissances dont les intérêts sont étrangers à sa logique propre, mais, davantage encore, estime Gilles Labelle, il faudrait savoir reconnaître que cet affaissement présumé de l’université répond à une dérive initiale de la pensée qui a sa source dans le monde universitaire lui-même. La dissolution progressive de l’université dite traditionnelle, vouée à la préservation de la culture, ne serait que la manifestation d’un mal plus ancien qui affecte l’institution dans son esprit.
À la lecture de ce dossier, la conclusion s’impose qu’il y a désormais deux écoles de pensée qui s’affrontent dans les murs de nos universités. Pour les uns, il s’agit de préserver l’institution susceptible d’assurer le maintien et la transmission d’un certain idéal de culture. Pour les autres, il faut dès maintenant construire l’organisation qui nous assurera d’une participation profitable à la société nouvelle qui prend forme à notre époque. Devant le caractère apparemment inéluctable de cette révolution de l’université, chaque professeur doit choisir sa posture entre, d’une part, la résistance ouverte au changement et, d’autre part, la collaboration enthousiaste. Les plus modérés estiment, comme le fait ici Frédéric Lesemann, qu’il appartient à chacun de concilier au mieux ces logiques divergentes. D’autres, plus radicaux, dont Gilles Gagné, concluent que la mainmise de ces nouveaux gestionnaires du savoir constitue une menace à l’intégrité morale et intellectuelle de l’université. Argument a voulu savoir ce qu’il en est de cette crise présumée de l’université et c’est pourquoi il nous a paru nécessaire de faire état de ce débat capital pour notre avenir.