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Présentation du dossier Regards sur l’impasse québécoise

Un texte de Daniel Tanguay
Dossier : Regards sur l'impasse québécoise
Thèmes : Québec, Revue d'idées, Société
Numéro : vol. 4 no. 2 Printemps-été 2002

            Lors d’une réunion récente à laquelle le comité de rédaction d’Argument avait convié quelques-uns de ses fidèles lectrices et lecteurs, certains ont souligné la difficulté qu’ils éprouvaient à identifier clairement l’orientation générale de la revue. Tout en percevant de numéro en numéro la récurrence de certains thèmes, nos lecteurs — autant, d’ailleurs, pour la déplorer que pour la louanger — ont avoué leur perplexité quant à la définition possible d’une ligne éditoriale claire et affirmative de la revue. Cette perplexité ne nous étonne guère, car elle est comme un écho de la perplexité qui a conduit à la fondation de la revue. Celle-ci est née en effet d’un sentiment diffus,  plutôt que d’un corps fixe et bien arrêté de propositions. On pourrait peut-être voir là la marque d’une génération qui a toujours eu beaucoup plus de questions que de réponses. Si l’on veut préciser la nature du sentiment diffus à la source de notre projet, il faudrait parler d’inquiétude. Nous étions habités par un sentiment d’inquiétude qui ne semble pas depuis lors vouloir nous quitter. En forçant peut-être un peu le trait, l’un d’entre-nous aurait fort bien pu rappeler la belle phrase de Jean-Guy Blain, citée en exergue de l’article de Jean-Philippe Warren publié dans ce numéro : « Nos aînés vivaient dans une atmosphère de sécurité, et nous vivons dans l’inquiétude. »

            L’auteur de ces lignes est bien conscient que cette inquiétude ne peut être de même nature que celle éprouvée par les jeunes de l’après-guerre. Elle en recoupe tout de même certaines des dimensions. Mentionnons-en deux : inquiétude face au destin de notre collectivité et aussi de la culture en général. Inquiétude, donc, face à ce que plusieurs ont identifié depuis quelques années comme l’impasse québécoise. Impasse d’abord politique : depuis le Référendum de 1995, une solution honorable à la « question québécoise » semble être devenue plus improbable que jamais. Impasse ensuite culturelle : la société québécoise dans son ensemble traverse une crise des institutions sans pareil, qui se traduit par un climat ambiant de morosité et dépression, voire de nihilisme, que ne sauraient masquer tout à fait l’activisme consumériste et l’expansion tous azimuts de la société du divertissement.

 Les essais que nous proposons ici offrent deux regards sur cette double impasse. Dans un premier texte, Gilles Labelle, à travers une libre lecture de Quand le jugement fout le camp de Jacques Grand’Maison, propose une réflexion sur la crise de la subjectivité et de son institution au Québec. Il reconduit tout en l’approfondissant le verdict de Grand’Maison : le type de personnalité caractéristique de la société québécoise est le moi qui prétend être entièrement son « propre produit », autrement dit être « autofondé » sans rapport aucun avec une extériorité. Labelle traque les effets de cette conception appauvrie du moi dans la vie sociale et politique de la collectivité. Au bout de son parcours, il avance que cette conception d’un moi « autofondé » est une conséquence de l’effondrement des formes traditionnelles de la transcendance. Tout en ne souhaitant pas un retour à ces formes disparues, il n’en pose pas moins une question capitale : comment le moi peut-il vraiment devenir un sujet, s’il n’est jamais confronté à une limite extérieure, à une extériorité qui le tient à distance et l’invite à sortir de lui-même et à s’extraire de ses « besoins » et pulsions ? C’est un peu la même question que François Ouellet explore en livrant une lecture du destin de la collectivité québécoise inspirée de la psychanalyse. Ouellet montre en effet comment cette société a jusqu’à maintenant refusé d’assumer la paternité symbolique ou la « nécessité de se faire Père », la dernière étape de ce refus étant, dans son esprit, l’échec référendaire. Ouellet rejoint le diagnostic de Labelle en proposant que l’impasse politique provient d’une impasse socio-culturelle plus profonde, qui tient à la liquidation de l’héritage paternel par la Révolution tranquille. Il n’est d’ailleurs pas sûr que l’indépendance y change quoique ce soit. Comme l’affirme Ouellet vers la fin de son article : « Le Père ne peut pas se contenter d’être un signifiant politique, une paternité sans croyance culturelle transcendante sera toujours bancale. »



Daniel Tanguay

 

 


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