Daniel Dagenais
La Fin de la famille moderne
Québec, PUL, 2001
Le débat sur la famille dont le livre de Daniel Dagenais est le prétexte permet de mieux saisir à quel point la diversité des éclairages importe dans l’analyse de n’importe quel phénomène social. Dans le cas précis de ce débat, les angles de vue démographique, juridique et politique permettent tour à tour d’informer, de nuancer et de confronter les théories exposées par Dagenais dans son livre, Fin de la famille moderne (Québec, Presses de l’Université Laval, 2001).
Abordant le livre de Dagenais sous l’angle de sa spécialité, celle de la démographie, Jacques Henripin lui adresse deux critiques. D’abord de lier trop étroitement, trop mécaniquement les phénomènes démographiques et les transformations internes de la famille. Ensuite d’oublier les causes économiques et techniques qui concourent aux dites transformations, et ce au profit de causes plus idéologiques ou éthiques.
Considérant l’essai à partir de bouleversements ayant affectés le droit québécois, Renée Joyal met en parallèle les trois modèles, mis en scène par Dagenais, de la famille traditionnelle, de la famille moderne et de la famille postmoderne, afin de mieux saisir comment le droit est forcément affecté (malgré un décalage nécessaire) par les changements ayant cours dans les mœurs.
Quant à Marie-Blanche Tahon, elle pose la question la plus critique à l’endroit du livre de Dagenais, en le situant non plus à l’intérieur d’un processus métahistorique de constitution (et puis de dissolution) du sujet, mais en le plaçant au cœur des rapports de pouvoir dont la famille, comme n’importe quelle institution, n’est pas exempte. Être un parent, c’est être forcément un homme ou une femme. Être un enfant, c’est être une fille ou un garçon. Certainement, cela n’est pas anodin dans l’histoire de l’Occident et ne peut être occulté par l’idéal de la modernité de constituer désormais des individus abstraits, formellement libres. La question que pose Dagenais en des termes sociologiques a donc besoin, selon Tahon, d’être reprise dans les termes du politique.
Les trois critiques reconnaissent tous en bout de ligne l’apport majeur du livre de Dagenais à l’explicitation de la nature et du sens à donner à ce mot autrefois pourtant si simple : la famille. En cela le titre du livre de Dagenais n’est pas gratuitement provocateur ni trompeur. Que le mot fasse maintenant question est déjà en soi une bonne indication que l’on assiste à la fin de quelque chose.
C’est ce que Dagenais essaie de démontrer dans sa réponse, d’une part en réitérant la thèse selon laquelle le principe d’éducation est au cœur de la transformation de la famille traditionnelle sur le modèle de la famille moderne, et d’autre part en tâchant de démontrer ce qu’un dépassement de la famille moderne pourrait vouloir dire pour qui n’accepte pas de la réduire, dans ses avatars et ses dislocations actuels, à un individualisme exacerbé où des individus formeraient désormais, par leur simple entente mutuelle et même par leur amour passionné, mais sans aucun idéal à transmettre à leur progéniture, une cellule familiale. Si le livre de Dagenais peut paraître philosophique par moment, c’est peut-être pour cette raison qu’il tente justement de cerner une crise du sens à l’œuvre dans la crise généralisée d’une institution, institution qui apparaît dès lors de plus en plus (n’en déplaise à McLuhan!) un médium sans message.
Jean-Philippe Warren