Ah, la Révolution! la tant aimée, la tentatrice… Mouvement de l’être, du cœur et du corps, avant de se compliquer d’idéologie, elle semble d’abord répondre à une pulsion, puisant ailleurs que dans le livre son élan primordial. Démonstration de la marche inéluctable de l’histoire? Triomphe du sujet sur la lourdeur des structures? Qu’importe au fond. La Révolution avec un grand “ r ”, comme dans le titre du livre de Jean-Christian Pleau, dépasse de beaucoup ces enjeux de philosophie de l’histoire. Symbole ultime de notre modernité, elle incarne la grande émancipation, la rupture, la possibilité de tout reprendre à neuf en corrigeant définitivement les injustices et les blessures du passé. C’est par cet attrait irrépressible, ce grand pouvoir d’envoûtement, qu’elle arrive à poursuivre sa carrière difficile malgré ses ratés historiques. Car elle demeure, même aujourd’hui qu’on la croirait disparue, la grande référence de notre inconscient politique, l’axe qui départage les purs des tièdes, les exigeants des accommodants, les déterminés des essoufflés. Elle ressurgit dans les époques les plus désenchantées et, alors même qu’on pensait sonné le glas des idéologies, la voilà qui emprunte — ce n’est peut-être pas un hasard — la nébuleuse anarchiste pour se faire une raison. Romantiquement drapée de noir et de rouge, elle se survit aujourd’hui dans les rangs du mouvement altermondialiste avec, il est vrai, un parfum de paradis perdu. Même anémiée, l’utopie de la grande subversion reste donc vivante, alimentée, me semble-t-il, par la nostalgie de ces années pas si lointaines où elle aurait pu advenir…
QU’EST-CE QU’ON A FAIT DE LEURS RÊVES?
C’est de ces glorieuses années 1960, genèse de la pensée révolutionnaire dans l’espace politico-littéraire québécois, que Jean-Christian Pleau nous entretient dans son ouvrage La Révolution québécoise. À travers deux essais portant sur des figures centrales de notre littérature, Hubert Aquin et Gaston Miron, Pleau cherche à réhabiliter la dimension politique de ces représentants de “ la génération révolutionnaire québécoise ”, dimension qu’il estime marginalisée par les lectures contemporaines. Aux lendemains de l’arrivée au pouvoir de l’équipe du Tonnerre, ils étaient nombreux à vouloir plus et mieux que les réformes proposées, rappelle l’auteur. Mais cette aspiration au grand renversement, qui devait surtout résoudre la lancinante “ question nationale ”, ce véritable désir de Révolution serait, depuis, tombé dans l’oubli. Pire, on aurait trahi complaisamment la radicalité et l’intensité de ce projet en se racontant de façon épique une version pourtant bien tranquille et édulcorée de la révolution.
Cette prémisse de l’ouvrage de Jean-Christian Pleau, ce constat initial, m’a semblé fort surprenant. Je ne sache pas que le militantisme des années 1960 et 1970 et son radicalisme aient fait, le moins du monde, l’objet d’un oubli orchestré. Il me semble, au contraire, que le répertoire militant de ces années lyriques, pour reprendre l’adjectif ricardien, et son esthétique particulière (émeutes, mobilisations de rue, rhétorique marxisante, discours de la rupture et de l’affrontement, etc.) soient devenus l’aune à laquelle on mesure, depuis, toute forme d’expression et d’engagement politiques en concluant, le plus souvent, qu’ils n’ont pas l’intensité et la pureté du bon vieux temps. Je crois en effet que s’est installé dans l’imaginaire politique un véritable âge d’or dont on continue de faire l’hagiographie, mais qui résiste encore beaucoup aux efforts plus sérieux d’historicisation. Il est vrai que l’excommunication tombe vite sur les audacieux qui s’aventurent sur cette voix de l’inventaire critique et que l’étiquette de réactionnaire n’est pas douce à porter. Mais il se trouve tout de même quelques exceptions et le militantisme étudiant, par exemple, commence à faire l’objet d’une relecture qui ne s’apparente plus au récit édifiant[1].
Je reconnais qu’il y a, sans doute, beaucoup d’effet de perspective disciplinaire dans ces lectures divergentes de l’héritage des années 1960, surtout en ce qui concerne la dimension littéraire qui nous intéresse ici. Avec ma lunette d’historienne, par exemple, je me représente difficilement Miron autrement que dans cette image un peu caricaturale de poète national, grimpé sur quelque table, proclamant le pays et cherchant à le faire advenir par la puissance évocatrice de son verbe. Je pense que s’il y a réduction de Miron à quelques traits de sa personne et de son œuvre, c’est bien celle-là. Or, la perspective littéraire semble nourrir une autre mémoire, d’après ce que nous en dit Pleau, qui effacerait les motivations et les résonances politiques au cœur de l’œuvre. Cette réflexion de l’auteur laisse poindre une critique sévère, quoique exagérément retenue, à l’endroit de l’évolution récente du champ littéraire qui, au terme d’un long parcours d’autonomisation, ne se nourrirait plus que de lui-même et n’irait plus chercher ailleurs — dans un engagement social ou politique, par exemple — sa justification et son élan. Souhaitons que cette critique, restée en filigrane de l’ouvrage, fasse l’objet d’un développement ultérieur plus long, car la question soulevée est importante. Mais revenons à nos révolutionnaires et à leur Révolution…
“ LES PLUS DÉSESPÉRÉS SONT LES CHANTS LES PLUS BEAUX ” (MUSSET)
Pour comprendre la force d’attraction des idéologies révolutionnaires au xxe siècle, écrivait François Furet dans Le passé d’une illusion[2], il faut s’intéresser au moment de leur naissance en écartant de l’esprit leurs retombées dramatiques. Il faut mesurer, en fait, la portée d’espérance qu’elles suscitaient, la part de vitalité qu’elles insufflaient à leurs adhérents. La passion révolutionnaire avait cette vertu de mobiliser les énergies vitales en offrant un horizon de sens et de rédemption.
Ce carburant d’espérance, on le cherche en vain chez les figures révolutionnaires que nous présente Jean-Christian Pleau. Curieusement, l’impression qui domine à la lecture de ces portraits politiques d’Aquin et de Miron est celle de la mélancolie. Tout leur rapport à la politique est teinté de cette douleur. Les deux auteurs sont d’ailleurs aux prises avec le même poignant débat entre création et engagement : que vaut la littérature face à l’urgence et à l’exigence du combat politique? Leur réponse sera, pour un temps du moins, celle de la rue. Mais en regard de l’acuité et de la profondeur de leurs écrits, Aquin et Miron apparaissent comme des militants de fortune, mal armés pour le combat, ponctuant de coups de gueules leur chant désespéré. Les ressaisissements, les soubresauts d’espoir, qui forment d’ailleurs la rythmique même de la poésie de Miron, se découpent sur fond d’apathie et on les sent essentiellement résignés devant l’impuissance de leurs luttes. “ Cela ne pourra pas toujours ne pas arriver ”, disait le poète dans un vers célèbre qui exprime bien la mixité, à dominante triste, de ces sentiments.
Pour un peu, ils sembleraient tragiques, ces révolutionnaires, confondant la dramatique de leur existence avec celle du Québec, s’ils n’étaient pas également un peu tragicomiques. Comment lire autrement ces pages où Pleau portraiture un Miron “ émeutier ” lors de l’inauguration de la Place des Arts en septembre 1963? Installé à la fenêtre donnant sur la rue, au deuxième étage d’une chambre louée par le rin et le prq en face de la Place des Arts, Miron aurait harangué la foule avec un porte-voix. Le conditionnel est de mise car les témoignages sont minces pour statuer sur la participation réelle de Miron à ces événements. Après force conjectures sur les propos qu’aurait pu tenir le poète lors de cette soirée historique — l’indépendance? le socialisme? le sort de la culture? — Pleau est amené à conclure qu’en raison de l’agitation et du bruit, “ les paroles de Miron, quelle qu’en fût la teneur, ne furent véritablement entendues de personne ce soir-là, pas même de ceux qu’elles pouvaient intéresser en premier lieu ” (p. 118). Malgré l’aspect dérisoire de ce fait d’arme qui ressemble davantage à un coup d’épée dans l’eau, Pleau veut s’en souvenir comme d’un moment fort, comme d’une image “ digne de prendre place au musée d’Épinal — par exemple à côté d’un Lamartine défendant le tricolore ” (p. 120). Cela ne prouve pas peu la sympathie de l’auteur pour les révolutionnaires dont il cherche à évoquer la grandeur oubliée.
L’ÉVANESCENTE RÉVOLUTION
Autre chose qui frappe à la lecture de La Révolution québécoise, c’est qu’on y parle si peu, précisément, de révolution. L’essai portant sur Aquin, moins inspiré et original que celui sur Miron, traite essentiellement d’indépendance. Or, il importe de le souligner, les deux termes ne sont pas équivalents, quelle qu’ait pu être leur coïncidence historique en cette période du début des années 1960 étudiée par l’auteur. Si le thème de l’indépendance est central dans le discours d’Aquin, sa dimension révolutionnaire, toute réelle qu’elle soit, apparaît beaucoup moins développée et davantage empruntée à l’ère du temps.
C’est du moins ce qui ressort de l’étude du texte “ La fatigue culturelle du Canada français ”, auquel Pleau consacre la presque totalité de son essai sur Aquin, en le situant dans la polémique avec Pierre Elliott Trudeau qui fut son point de départ. Cet échange est décortiqué dans une analyse où l’on fait intervenir les distinguos bien connus entre nationalismes ethnique et civique, des réflexions sur la reconnaissance difficile des identités nationales minoritaires dans le système fédéral, des opinions sur les limites d’une pensée des droits individuels, etc. Autant de questions intéressantes, certes, mais un peu étrangères tout de même au propos plus strict de la révolution et, malheureusement, traitées sans que l’auteur ne se réfère — sauf en de rarissimes exceptions — aux rayons entiers de bibliothèques portant déjà sur ces enjeux fort étudiés. Je lui pardonnerais cet impair à l’égard des sociologues, politologues, historiens et philosophes qui planchent sur ces questions depuis nombre d’années s’il ne faisait pas également abstraction — ce qui s’excuse beaucoup moins — de l’abondante exégèse d’Aquin, cet écrivain qui, avec les Hébert et Ducharme, se trouve au palmarès des auteurs les plus étudiés.
Ainsi, dans toute cette méditation sur la pensée d’Aquin croise-t-on, bien évidemment, le thème de la Révolution, perceptible principalement à travers des emprunts au lexique de la décolonisation, mais on reste avide d’en savoir davantage sur les contenus plus précis de cette pensée politique présentée d’abord comme révolutionnaire. Aquin, apprend-on au passage, ne se rattacherait pas à la tradition hégéliano-marxiste, mais se rapprocherait davantage de l’idée de révolution permanente avancée par Barthes (p. 77-78). Cela demeure insuffisant et l’impression persiste d’une adhésion surtout spontanée, improvisée à l’idéal révolutionnaire. Et c’est peut-être normal, puisque Aquin n’est pas, avant tout, un théoricien de la révolution ni un politologue. Mais on se demande alors si le choix d’un corpus qui fasse une place si congrue aux textes de création est adéquat et si la véritable contribution d’Aquin au développement de l’esprit révolutionnaire dans les années 1960 ne serait pas davantage perceptible à travers une lecture croisée de ses créations littéraires et de ses écrits politiques.
Quelques pages à la fin de ce premier essai nous instruisent un peu mieux sur les contenus de cette pensée. On y examine la part accordée à la violence — présentée comme dépassement nécessaire de la raison — dans la vision aquinienne du changement politique. Pleau cite Aquin : “ La violence éclate après l’échec innombrable du raisonnement et de la justification. Qui oserait justifier la foi passionnée qui a consumé certains hommes, comme saint Jean de la Croix? […] La tiédeur constitue un empêchement de toute violence, de toute convulsion politique, de tout lyrisme, de tout élan foudroyant, donc illégitime ” (p. 83).
La révolution se substantialise enfin dans l’étude de cette lettre d’Aquin à Miron, adjointe au corpus. Il se trouve une belle piste, me semble-t-il, dans cette référence à la foi. Pleau évoque d’ailleurs les emprunts que font Aquin et Miron à l’univers de la catholicité — Teilhard de Chardin, saint Thomas d’Aquin, etc. —, mais sans poursuivre davantage. Ce filon des origines mystiques de la pensée révolutionnaire québécoise pourrait être poursuivi, en s’inspirant, peut-être, du schéma développée par Warren et Meunier dans leur analyse des origines religieuses de la Révolution tranquille[3]. Quel lien, par exemple, entre le Miron révolté et nationaliste des années 1960 et celui des années 1950, étudié par Christine Tellier[4], frayant au Clan Saint-Jacques, à l’Ordre de Bon Temps, puis à l’Hexagone, première manière, autant de milieux animés de préoccupations spirituelles? Et l’on pourrait remonter ainsi la filière personnaliste : ne parlait-on pas déjà de révolution chrétienne à la jec dans les années 1930? La tradition mystique au cœur de la pensée révolutionnaire québécoise a déjà été mise en lumière dans des études portant sur le flq[5]. Cette éthique de ressaisissement de l’être face à l’histoire et à la modernité, cet idéal d’engagement total de la personne dans la Cause semblent précéder de loin les années 1960. C’est une généalogie qui reste à établir.
L’essai sur Miron donne mieux la mesure du talent de Jean-Christian Pleau qui semble davantage à son aise dans l’approfondissement de textes littéraires. Les crédits sont cette fois mieux rendus aux auteurs qui l’ont précédé dans l’analyse mironienne et l’éclairage de leurs études enrichit l’analyse. Dans cet essai, Pleau choisit encore de mettre l’accent sur un texte en particulier — en l’occurrence, le poème “ La vie agonique ” —, en posant ponctuellement un regard sur les autres écrits du poète. Il s’y trouve de belles pages éclairantes, comme celles portant sur la généalogie du concept d’“ aliénation ”, ce “ mot-hôpital ” que Paul Ricœur jugeait frappé “ d’une surcharge sémantique ” (p. 152). Malgré la surcharge, le concept est précieux pour saisir les deux dimensions inextricables de la poésie de Miron, nous dit Pleau : “ le concept d’aliénation offre précisément ce qui manque au cri brut de l’individu : la dimension de la solidarité, et l’élargissement vers le politique. Ce qui, bien sûr, vaut aussi en sens inverse, l’énoncé politique recevant du poème la force et la dignité d’un témoignage personnel ” (p. 152).
Bien que le choix du texte poétique soit tout à fait indiqué pour étudier Miron, il crée néanmoins un sentiment d’asymétrie avec l’essai sur Aquin qui s’appuie, pour sa part, sur l’analyse de la prose polémique de ce dernier. De tels choix limitent, me semble-t-il, les possibilités de rapprochements et de comparaisons entre les deux auteurs. Car en mettant l’accent sur deux documents au genre bien dissemblable, l’analyse se situe forcément sur des plans différents.
Mais qu’en est-il, justement, de la pensée révolutionnaire de Miron? Indubitablement, la pulsion s’y trouve, sensible à travers la rythmique et l’élan subversif, émancipateur de sa poésie. Mais est-ce suffisant? Encore une fois, le doute persiste… Miron, révolutionnaire? Pleau aborde franchement la question à la fin de son étude, reconnaissant que la “ Révolution ”, dans l’œuvre, n’est jamais pratiquement nommée : “ Certes, ici et là, le mot est prononcé, mais presque toujours furtivement et sans insister, jamais en tout cas pour un appel clair et net à la révolte. Au regard de ce qu’on pouvait attendre, la présence du terme dans le lexique mironien est véritablement dérisoire ” (p. 171).
Pleau reconnaît que les quelques emprunts au vocabulaire révolutionnaire, dans le contexte survolté des années 1960, pouvaient passer pour “ des périphrases on ne peut plus modérées ” (p. 172). Et il demande : “ se pourrait-il dès lors que ce militant Miron, à une époque où ses camarades succombaient plutôt à la tentation de la violence rhétorique, quand ce n’était pas à la violence tout court, se soit intérieurement défié de l’idée de Révolution? ” (p. 172). La réponse apportée confirme nos doutes : “ Miron ne croyait peut-être pas tout à fait à la Révolution, et […] il préférait s’en tenir pour l’immédiat à l’objectif plus modeste de l’indépendance ” (p. 173). Drôle de conclusion, à l’évidence, qui remet presque en question tout le projet de ce livre portant sur l’étude de l’élan révolutionnaire du début des années 1960. On se demande alors si Aquin et Miron étaient les bons auteurs pour la bonne thématique et si le titre L’Indépendance du Québec n’aurait pas été davantage approprié pour cet ouvrage.
PENSER LA RADICALITÉ DANS LA CULTURE QUÉBÉCOISE
Je suis fascinée par notre nostalgie révolutionnaire qui demeure comme un fond de commerce, souvent inavoué mais partagé, je crois, par de larges segments des milieux intellectuel et artistique québécois. Une nostalgie qui n’est pas l’apanage d’une seule génération, quoi qu’on dise des sensibilités plus conservatrices de la nouvelle garde, car il suffit d’avoir enseigné un peu pour savoir tout l’intérêt que suscite cette thématique auprès des étudiants. La Révolution agit comme un ressort invisible mais actif de notre imaginaire politique même dans une culture politique comme la nôtre qu’on dit pacifiste et tranquille. C’est peut-être un signe de santé et d’éternelle jeunesse?
Le récent décès de Pierre Bourgault et la série d’hommages posthumes qu’il a entraînée sont venus toucher, me semble-t-il, cette sensibilité-là. Bourgault était-il un révolutionnaire? Rien n’est moins sûr, mais il est associé de toute évidence à cette posture politique de la radicalité. Un tel esprit frondeur qui ne goûte pas la compromission, voilà qui plaît. Nous préférons nos héros plus délinquants que sages. Dans un hommage spontané au grand tribun décédé, Bernard Landry affirmait que toute grande idée politique apparaît, aux premiers jours de sa formulation, dans son aspect radical et qu’il faut, pour la porter, des voix fortes, qui ne s’enfargent pas dans les nuances et ne craignent pas les emportements. On ne peut en faire une loi inéluctable de la science politique, mais il semble que cette mécanique qui s’est avérée probante en bien des occasions mérite d’être approfondie. Il faudrait étudier davantage surtout la dialectique entre radicalisme et réformisme qui est au cœur du processus du changement social et politique. Jusqu’à quel point la radicalité marginalise-t-elle plutôt que de susciter l’adhésion? Jusqu’à quel point le réformisme émousse-t-il les ardeurs et les projets plutôt que d’élargir les troupes?
Avec La Révolution québécoise, Jean-Christian Pleau a le mérite d’ouvrir cet important chantier d’étude du militantisme radical et révolutionnaire. Au-delà de la nostalgie, il faut en effet poursuivre la compréhension critique de l’utopie révolutionnaire qui a animé intellectuels et artistes dans les années 1960-1970. Certaines de ses dimensions plus obscures ont été révélées par des travaux assez récents. Le paradigme rouge (1992) de Pierre Milot[6], portant sur l’avant-garde politico-littéraire des années 1970, nous en retrace les moments sectaires, les effets de chapelle, les dogmatismes et leurs excommunications. Stéphanie Lanthier, dans son analyse sur le nationalisme radical[7], a montré pour sa part l’indéniable machisme au cœur du projet révolutionnaire et indépendantiste québécois des années 1960, la reconquête du pays se métaphorisant par une grande violence sexuelle faite aux femmes. Le récit des grandeurs révolutionnaires doit donc impérativement s’associer d’une reconnaissance de ses parts d’ombre, ne serait-ce que pour que la tradition radicale se poursuive sous un jour plus réflexif et acquiert quelque sagesse des faux pas du passé.
Louise Bienvenue*
NOTES
* Louise Bienvenue est professeure au Département d’histoire et de sciences politiques de l’Université de Sherbrooke.
1. Cf. Karl-Xavier Thomas, “ Un pour tous ”. Les aspirations démocratiques des leaders étudiants de l’association générale des étudiants de l’Université de Montréal, 1958-1969, mémoire de maîtrise (histoire), Université du Québec à Trois-Rivières, déc. 2002.
2. Paris, Calmann-Lévy, 1995.
3. Jean-Philippe Warren et E.-Martin Meunier, Sortir de la “ grande noirceur ” : l’horizon “ personnaliste ” de la Révolution tranquille, Sillery, Septentrion, 2002.
4. Christine Tellier, Jeunesse et poésie, Montréal, Fides, 2003.
5. Cf. Yves Couture, La terre promise (Montréal, Liber, 1994) et Éric Bédard, “ De la quête millénariste à la thérapie de choc : la pensée felquiste jusqu’à la crise d’Octobre ” (Journal of Canadian Studies — Revue d'études canadiennes, vol. 37, no 2, 2002, p. 33-46).
6. Montréal, Balzac, 1992.
7. Stéphanie Lanthier, L’impossible réciprocité des rapports politiques et idéologiques entre le nationalisme radical et féminisme radical au Québec 1961-1972, mémoire de maîtrise (histoire), Université de Sherbrooke, 1998.