Exceptionnel en son genre, l’ouvrage d’André Burelle renferme en fait plusieurs livres en un seul. C’est tout d’abord le journal d’une amitié intellectuelle — cette communion des esprits qu’Aristote appelle amitié — qui lia Burelle et l’homme d’État ayant imposé l’idéologie et le cadre constitutionnel dominant le Canada depuis 1982. Cet ouvrage rappelle aussi une époque; c’est l’histoire d’une tragédie collective, et jusqu’à un certain point, d’un drame personnel, racontée par un témoin privilégié qui soumet ses documents d’archives (notes au premier ministre, lettres, déclarations, discours), afin de nous faire comprendre le parcours politique de Pierre Elliott Trudeau. Enfin, le livre rend compte de la pensée politique de Burelle, qui nous fait part de ses idées sur l’avenir du Canada.
La vedette du livre est évidemment Pierre Elliott Trudeau, l’homme, l’intellectuel, le politique, que Burelle réussit à nous faire sentir de façon inédite tout au long de l’ouvrage. Le cœur du propos consiste en une tentative d’explication de la transformation radicale de l’intellectuel ouvert aux valeurs communautaires et au nationalisme dans ses aspects modérés, en un politicien imbu de libéralisme individualiste républicain, l’idéologue d’un « One Nation Canada » opposé à toute réconciliation avec le nationalisme québécois. Écrit dans une langue claire et juste, sans jargon ni longueur, comme c’est devenu rare dans les milieux intellectuels, ce livre plein d’intelligence et de lucidité comporte un élément de suspense à l’égard de deux questions cruciales. Que s’est-il passé au juste? Et peut-on accuser Trudeau d’avoir trahi le Québec?
Burelle consacre une vingtaine de pages à nous expliquer les tenants et les aboutissants de la pensée personnaliste communautaire des Français Emmanuel Mounier et Jacques Maritain, philosophie qui servit dans les années 1950 d’inspiration à la revue française Esprit et à son homologue québécoise Cité libre. Le personnalisme communautaire aurait irrigué en profondeur un Québec étouffé sous le poids du cléricalisme et du nationalisme passéiste de l’ère Duplessis, influençant des gens comme Pierre Elliott Trudeau, André Laurendeau, Claude Ryan et Gérard Pelletier, avec lequel Burelle eut la relation la plus étroite. L’utilisation de termes comme « communion », « épiphanie » ou « transfiguration spirituelle », pour décrire le parcours des principaux acteurs de l’époque, rappelle à quel point la sortie de la Grande Noirceur ne signifiait pas chez la plupart le rejet des valeurs spirituelles.
Aussi tard qu’en septembre 1980, Trudeau est disposé à reconnaître l’existence de deux communautés linguistiques au pays[1]. Il est difficile de ne pas rattacher son ancrage dans une philosophie ouverte au communautarisme et au nationalisme, avec les récentes révélations du couple biographe du « grand homme », Max et Monique Nemni, sur une période antérieure à celle rappelée par Burelle dans son livre. Fidèles parmi les fidèles, ils font ressortir dans leur ouvrage[2] que Trudeau fut très fier dans sa première jeunesse de son identité canadienne-française, se consacrant avec une fougue exceptionnelle à la promotion du bien de « son » peuple, ne craignant pas de frayer avec les franges les plus radicales du nationalisme de son époque. Le couple Nemni parle du Québec comme d’un milieu ayant marqué Trudeau de façon indélébile.
Mais que s’est-il donc passé au juste? Pourquoi un tel changement radical? Burelle répond tout d’abord que l’action politique de Trudeau, et en particulier sa lutte acharnée contre les souverainistes québécois, servit de révélateur à sa personnalité de base qui était celle d’un individualiste anticommunautariste et d’un antinationaliste passionné. Au surplus, les stratégies tordues de Claude Morin auraient réveillé chez le premier ministre la hantise de l’enfermement nationaliste de sa jeunesse.
Ce changement fut accentué par le départ graduel des Québécois francophones avec lesquels Trudeau était allé à Ottawa, au premier chef Gérard Pelletier et Jean Marchand, qui seront remplacés par des conseillers souvent anglo-québécois, comme Michael Pitfield, Michael Kirby, Jim Coutts et Tom Axworthy. Le rôle de ces derniers fut capital au moment des événements menant à l’imposition de la Constitution en 1982. Une partie de l’intérêt du témoignage de Burelle tient au fait qu’il était le plus jeune parmi ces Québécois francophones ayant suivi Trudeau dans son aventure politique et que, rappel vivant et intellectuel des idéaux de jeunesse du premier ministre, il fut l’un des derniers à être écarté à un moment crucial, après le référendum de 1980, alors qu’il plaidait pour davantage de francophones au bureau des relations fédérales-provinciales.
La transformation radicale de Trudeau comporta un aspect tragique. Burelle estime qu’elle n’alla pas sans inconfort, voire tourment, pour l’homme chez qui elle réveillait des démons intimes. Au plan politique, ce fut le coup de force constitutionnel de 1982 contre le Québec, suivi du torpillage de l’accord du lac Meech, ultime tentative de réconciliation du Canada avec son cœur historique québécois. Celui auquel les Québécois et les Canadiens avaient fait confiance, qu’ils avaient mandaté pour régler leur vieux problème, faillit à la tâche. À bon droit, Burelle ne manque pas de rappeler la responsabilité des souverainistes dans l’affaire, celle du visqueux Claude Morin bien sûr, mais aussi du bien-aimé René Lévesque. Après le désastreux échec référendaire de 1980, ce dernier n’aurait jamais dû accepter de négocier avec Ottawa à partir d’une telle position de faiblesse et sans véritable stratégie : c’était faire passer les intérêts du Parti québécois avant ceux du Québec. Cela n’empêche pas l’auteur de conclure, à sa façon respectueuse et nuancée, que les Québécois ont eu raison de se sentir trahis par les solennelles promesses de Trudeau lors du discours du Centre Paul-Sauvé, quelques jours avant le référendum de mai 1980.
Burelle estime que, finalement sorti de la coque du nationalisme canadien-français étouffant de son enfance, Trudeau se considéra pour l’essentiel comme un citoyen du monde et de nulle part. Ce génial promoteur d’un universalisme désincarné devenait ainsi le véhicule idéal, la proie de plus en plus consentante d’un nationalisme canadien-anglais vieilli, en urgent besoin de refondation. Déraciné sur le plan identitaire tout en ne bénéficiant plus de l’entourage francophone capable de le maintenir à jour quant à l’évolution du nationalisme québécois, il développa à l’égard de ce dernier une relation malsaine de rejet sans nuance. Et en même temps, Trudeau restait bien quelqu’un de la famille, qui n’avait pas réglé ses problèmes avec le passé, comme le démontrèrent les sentiments négatifs intenses qu’il continua à éprouver jusqu’à la fin à l’égard d’un mouvement objectivement loin de l’épouvantail de ses fantasmes. Quel paradoxe, quelle tristesse, quel drame, de voir le jeune nationaliste canadien-français décrit par les Nemni de plus en plus possédé par une passion antinationaliste québécoise dévorante, fondateur d’un nouveau nationalisme canadian acharné à nier les spécificités politiques de l’identité québécoise!
Cet ouvrage m’a personnellement ramené à mon ouvrage Le défi québécois, car la description par Burelle du cheminement de Trudeau me semble confirmer l’un des éléments centraux du livre : la confiscation des effets politiques de la différence collective québécoise — la Conquête — reste, aujourd’hui comme hier, l’un des principes structurants les plus forts du Canada. En conflit avec son identité canadienne-française, Trudeau devint l’instrument de ceux qui, dans le reste du Canada, voulaient renouveler leur nationalisme tout en maintenant la vieille sujétion identitaire du Québec au sein du pays. Après Georges Étienne Cartier, la feuille d’érable des Patriotes, le nationalisme canadien d’Henri Bourassa, après Laurier, le cheminement du leader du French Power illustre bien le systématique siphonage de l’identité québécoise par l’identité canadienne sur le plan historique, que j’ai essayé de faire ressortir il y 18 ans.
On peut prétendre qu’il y eut chez Trudeau reniement de lui-même et de ses racines, quand il imposa au Québec la Constitution de 1982. Mais là n’est pas vraiment le problème sur le plan politique, ou plutôt c’est avant tout le problème de Trudeau, l’homme, face à sa conscience. Burelle eut d’ailleurs l’impression, après le référendum de 1980, d’être un peu la mauvaise conscience de son patron, plus tourmenté qu’il n’en avait l’air en ce qui a trait à sa démarche à l’égard du Québec. C’est en partie ce rôle qui explique sans doute pourquoi l’auteur fut mis à l’écart par un ami qu’il décrit comme « un être profondément moral, esthète et religieux ». Au moment du rapatriement de la Constitution, Burelle l’avait entendu avouer : « Let’s face it, it was a mean process ».
Cela dit, l’histoire est faite de manœuvres amenant parfois les protagonistes à changer, dépasser, trahir, dans le feu de l’action, des convictions auxquelles ils croyaient tenir de bonne foi. La dynamique politique peut être plus forte que la personnalité des individus, sans que le résultat ne soit nécessairement mauvais pour autant. C’est que si la politique doit incorporer une part de morale, elle ne se réduit pas à elle, comme l’a fait ressortir Raymond Aron; en ce domaine, il ne suffit pas d’avoir intellectuellement, moralement ou esthétiquement raison. On peut d’ailleurs se demander si les aspects spirituels de la fidélité de Burelle au personnalisme n’ont pas joué un rôle dans son remplacement par des conseillers moins scrupuleux dans leur travail de revitalisation du nationalisme canadian. Rappelons que pour le politologue Guy Laforest[3], Trudeau s’est montré impitoyablement résolu à l’emporter, parce qu’à l’instar du Prince de Machiavel, il voyait son retour inespéré au pouvoir de février 1980 comme un signe clair du destin, une seconde chance à ne pas gâcher pour réaliser ses projets.
Il y eut donc pire que le coup de force de 1982, un pire qui marqua une brisure dans l’amitié Burelle-Trudeau et dont les vieux compagnons de route du premier ministre, Jean Lemoyne, Jean Marchand, Gérard Pelletier, essaieront en vain de le dissuader. À la fin des années 1980, il s’agit de l’ultime sortie de l’ancien premier ministre contre l’accord du lac Meech. Ce dernier n’était pourtant pas le produit des souverainistes, de ces Claude Morin et consorts si abhorrés. Au contraire, c’était une tentative fédéraliste pragmatique de réparer ce qui avait été brisé en 1982, en faisant une place à la majorité francophone québécoise dans le legs constitutionnel de Trudeau. Cela aurait arrimé davantage ce dernier au vieux Canada issu de 1867, lui assurant par le fait même davantage de solidité et de pérennité.
Avec cet ultime coup fatal à l’accord du lac Meech, on entre dans la face sombre du personnage, l’orgueil, la mesquinerie, la complaisance du vieil homme refusant de ne pas détenir toute la vérité sur ce qui est bon pour son pays. Devenue sa propre caricature, Trudeau se révèle incapable de reconnaître ses limites et d’accepter que de plus jeunes puissent apporter leur contribution, ne serait-ce que pour améliorer son grand œuvre. À ce sujet, Burelle rappelle la conviction de l’ancien greffier du Conseil privé, Gordon Robertson, qui se dissociera de son patron à l’occasion du rapatriement de la Constitution : Trudeau aurait été en partie motivé par sa jalousie à l’égard du premier ministre conservateur, Brian Mulroney, qui semblait en passe de réussir la réconciliation du Québec avec le Canada. Futile égocentrisme qui ne veut pas que personne réussisse là où l’on a soi-même échoué.
Burelle ne mentionne pas que, pour défendre sa Constitution assez bonne pour « durer mille ans », cet homme qui avait eu du génie en arriva à proférer de répugnantes inepties : « Meech me terrifie... Nous avons des exemples dans l’histoire où un gouvernement devient totalitaire parce qu’il agit en fonction d’une race et envoie les autres dans les camps de concentration[4]. » À des années-lumière du personnalisme communautaire, le pathétique héritier de ce Trudeau-là sera Jean Chrétien, dont le régime essaiera carrément d’acheter la loyauté des Québécois au Canada, sans que la majorité francophone québécoise n’accorde à nouveau sa confiance au Parti libéral du Canada après 1982.
Quand Trudeau s’éteignit en septembre 2000, à peu près tous les Canadiens semblèrent profondément touchés, y compris ceux qui avaient farouchement combattu ses idées : des Canadiens anglais de l’Ontario, mais aussi de l’Ouest et du Québec; à la grandeur du pays, des Canadiens qui n’étaient d’origine ni française, ni anglaise et des autochtones; et des francophones hors Québec. L’émotion, le chagrin et la fierté apparurent sincères, étonnamment intenses : chacun pleurait le grand Canadien, l’homme d’État qui avait changé à jamais le pays pour le mieux. Tout le monde… excepté ceux-là mêmes pour lesquels Trudeau était entré en politique au départ, 35 ans auparavant. La majorité francophone du Québec resta clairement en retrait, respectueuse mais silencieuse.
Contredisant la version officielle sur les admirables accomplissements politiques de Trudeau, cette différence dans la réaction populaire fut un signe qui ne trompait pas sur le monumental échec de Trudeau et du Canada contemporain : l’incapacité à intégrer, ne serait-ce que les éléments modérés, pro-canadiens, du nationalisme québécois. Non seulement le plus doué des politiciens de sa génération au Québec et au Canada avait été incapable de résoudre le vieux problème, mais, d’une façon très réelle, il l’avait empiré. Tragique ironie du sort, l’héritage de Trudeau, l’ennemi de tous les nationalismes, était un nouveau nationalisme canadian bâti sur la négation du cœur historique québécois du Canada[5].
Le livre de Burelle se veut également tourné vers l’avenir, l’auteur exposant dans l’épilogue sa vision de la dynamique canadienne. Il n’y a que peu de chance de voir ses propositions appliquées dans le futur prévisible, comme il le reconnaît lui-même. C’est le cas de cet éventuel référendum fédéraliste québécois, comme de la distinction entre pouvoir et responsabilité, ou du concept de codécision à l’européenne, solutions fédéralistes possibles, selon l’auteur, à l’incontournable réalité de l’enchevêtrement des champs de compétences.
Burelle considère que le caractère multinational du Canada constitue à la fois son passé et son avenir, sa vraie nature en quelque sorte, dévoyée par le coup d’État de Trudeau et de son entourage, au détriment du véritable intérêt du pays. Il en aurait résulté un fédéralisme à l’américaine, incompatible avec la coexistence durable de plusieurs nations qui était possible sous le régime de 1867; l’héritage de Trudeau ne serait pas compatible non plus avec les grandes politiques de solidarité au plan économique et social, qui ont marqué le pays depuis l’après-guerre.
Pour Burelle, le Canada de 1867, représentant le pays réel, s’oppose aux institutions léguées par Trudeau, considérées comme des contradictions fondamentales insérées au cœur du projet canadien. Dans la vision cartésienne, très noir et blanc, de l’auteur, cette opposition entre les deux est pratiquement totale et irréductible. Cela caricature un peu le Canada de 1867, de même que celui de 1982. Ce n’est pas tenir compte du fait qu’il a fallu un moment avant que le Canada de 1867 — très centralisé, voire à peine fédéral au départ — n’acquière peu à peu les caractéristiques positives qu’on lui reconnaît, à la suite, entre autres, d’un complet renversement des décisions du Comité judiciaire du Conseil privé à l’égard du statut et des pouvoirs des provinces : cette évolution n’allait pas de soi en 1867.
Par ailleurs, le Canada de 1867 et celui de 1982 apparaissent plus entremêlés dans la réalité que ne le laisse entendre Burelle. Le second peut être difficilement réduit à une aberration étrangère à la vraie nature du pays, quand il semble recueillir l’adhésion d’une majorité des Canadiens, tout en se rattachant au plus vieux principe structurant du système, la Conquête. Pratiquement par définition, bon nombre de supporters de Meech reconnaissaient des qualités au Canada de 1982, l’accord avorté ne le remettant pas fondamentalement en question.
Le trudeauisme est historiquement le produit d’une désintégration identitaire qui se poursuit au sein de la société québécoise, dont Trudeau était issu et dont il vint à avoir honte[6]. On peut penser qu’il se détacha au moins en partie de cette société pour échapper au désespoir et à l’étouffement décrits en 1962 par Hubert Aquin dans « La fatigue culturelle du Canada français » (en réponse à son texte sur « Le fédéralisme et la société canadienne-française »)[7]. Un système politique traditionnellement ambivalent à l’égard du Québec, mais dont les effets négatifs à l’égard de ce dernier ont été revigorés par le coup de force de 1982, impose sa vision à ceux-là mêmes qui ont l’impression de le combattre. À l’image de Trudeau, certains intellectuels québécois empruntent maintenant un chemin qui les prédispose à devenir les instruments des éléments anti-Québec du reste du Canada.
Burelle note l’enfermement idéologique dans la pensée antinationaliste de souverainistes à ce point convertis à l’orthodoxie chartiste, qu’ils se sentent obligés de purifier de la moindre trace d’ethnicité la conception qu’ils se font de la nation québécoise. L’historien Gérard Bouchard ira jusqu’à écrire qu’il faut « jeter les souches [canadiennes-françaises] au feu[8] ». D’autres ne sont tout simplement plus capables de nommer le peuple dont ils sont issus, nouvelle « trahison des clercs » que le Trudeau d’avant l’action politique aurait sans doute dénoncée. Se réclamant d’une méthode exclusivement scientifique qui n’est pas sans rappeler les idéologies officielles des anciens régimes communistes, l’historien Jocelyn Létourneau prêche pour la lobotomisation du peuple québécois quand il ne reconnaît que des aspects positifs à son ambivalence identitaire, au mépris de l’histoire passée et de la réalité d’aujourd’hui[9].
L’approche essentiellement cartésienne de Burelle ne laisse pas vraiment d’espoir pour l’avenir, au-delà de la lucidité à l’égard de ce qui est réellement arrivé et des changements qui pourraient être apportés par de nouvelles générations capables « d’ouvrir les portes de la prison idéologique » où Trudeau a enfermé le Québec et le Canada. On pense au pessimiste Lament for a Nation[10] de George Grant en 1965. Ce changement de génération souhaité par Burelle est en train de se produire avec des hommes politiques comme Stephen Harper, Michael Ignatieff et Stéphane Dion. En dépit de sa position abrasive sur la question Canada-Québec, le leader du Parti libéral du Canada choisi à la fin de 2006 se situait en dehors du trudeauisme quand il a proclamé que la loi 101 était une grande loi canadienne. Ne sera-t-il qu’un autre Québécois exceptionnellement doué et motivé, au service d’une intolérante idéologie canadian acharnée à nier les spécificités politiques de l’identité québécoise?
Fédéralisme asymétrique, Unesco, nation québécoise : la timide sortie du trudeauisme se fait pragmatiquement, peu à peu — à l’anglaise —, le gouvernement libéral du Québec ayant ajusté sa stratégie en conséquence, comme je le souhaitais en 2000[11]. C’est le vieux Canada ambigu de 1867 qui tente de refaire surface, plus compatible que le Canada de 1982 avec la coexistence de plusieurs peuples au sein du pays, au déplaisir des tenants du « one nation » à l’américaine qui ont fait échouer l’accord du lac Meech. Toute la question est de savoir s’il est encore possible de faire coexister ces deux Canadas-là.
Christian Dufour*
NOTES
* Avocat et politicologue, Christian Dufour enseigne à l’École nationale d’administration publique, où il fait de la recherche sur le fédéralisme, le rôle de l’État en matière identitaire et les grandes réformes de l’État. Il est l’auteur du Défi français. Regards croisés sur la France et le Québec (Québec, Septentrion, 2006). Il a aussi publié une Lettre aux souverainistes québécois et aux fédéralistes canadiens qui sont restés fidèles au Québec (Montréal, Stanké, 2000) et Le défi québécois (Montréal, L’hexagone, 1989; repris en anglais sous le titre A Canadian Challenge, Halifax, Institut de recherches politiques, 1990).
1. Trudeau rappellera encore neuf ans plus tard, le 6 novembre 1989 : « Moi au contraire, j’avais toujours proposé que le Québec retienne son droit de veto, […] qui aurait assuré au Québec une position privilégiée, mais à l’intérieur du fédéralisme » (lettre adressée à Christian Dufour).
2. M. et M. Nemni, Trudeau, fils du Québec, père du Canada, vol. 1, Montréal, éd. de l’Homme, 2006.
3. G. Laforest, Trudeau et la fin d’un rêve canadien, Sillery, Septentrion, 1992.
4. Rappelé par le député Michel Dumont, le jeudi 24 février 2000, devant le Comité législatif chargé d’étudier le projet de loi C-20 (loi sur la clarté).
5. Cf. C. Dufour, « Trudeau’s Canadian Legacy from a Quebec Perspective : New Canadian Nationalism Weakens Canada », London Journal of Canadian Studies, vol. 18, 2002-2003, p. 5-13.
6. Cf. André Laurendeau, « Il était un Canadien français déçu des siens… il a honte d’avoir de tels pères », Le Devoir (Montréal), 6, 10 et 11 oct. 1956.
7. Cf. ces textes de Trudeau et d’Aquin in J.-C. Pleau, La révolution québécoise. Hubert Aquin et Gaston Miron au tournant des années soixante, Montréal, Fides, 2002.
8. Le Devoir, 24 mars 1999.
9. Cf. le débat tenu le 6 déc. 2006 à l’Université Laval entre le sociologue Jean-Jacques Simard et l’auteur, sur le thème « La nation québécoise existe-t-elle? ».
10. G. Grant, Lament for a Nation, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2005.
11. Cf. C. Dufour, Lettre aux souverainistes québécois et aux fédéralistes canadiens qui sont restés fidèles au Québec, op. cit.