Dimanche matin de juillet à Saint-Donat, dans les Laurentides. Une amie me prête gratuitement son chalet, ce qui permet à ma petite famille et à moi d’échapper à la banlieue pour quelques jours. Tout le long de la 148, j’ai le sourire de celui qui sait que mille occasions vont bientôt se présenter de jouer les héros : hameçonner les lignes de vers biens gras achetés au dépanneur, retirer les hameçons de la gueule des poissons, « partir » le feu, griller les « mâche-mallows ». Les petites vont se coucher exténuées, ce qui veut dire que je vais peut-être jouir du luxe de pouvoir dormir jusqu’à sept heures. Et tout ça, gratuitement, ou presque. En échange de son chalet, mon amie me demande de lui rendre quelques menus services, dont celui de la représenter en son absence à l’assemblée générale annuelle des résidants du lac B. où est situé son chalet.
Dans la salle municipale à côté des drapeaux du Canada, du Québec et de la ville de Saint-Donat, je prends place derrière avec mon café (offert gratuitement) et un petit calepin, avec l’intention de tout noter pour que mon amie sache que j’ai diligemment rempli ma tâche. Il me semble y avoir beaucoup de monde pour un dimanche matin. La salle est presque pleine. Mot du président, adoption de l’ordre du jour, lecture des procès-verbaux, cordiales salutations à Monsieur Untel. J’écris sur la feuille : « note à Corinne, ton président est sympathique, mais a l’air un petit peu trop fier de sa maîtrise du Code Morin ». Monsieur le président nous rappelle l’importance de rester vigilant devant la présence de voitures suspectes qui rôdent autour du lac, et surtout de noter les numéros de plaque. Ça commence bien, pensai-je, me voilà à Dogville. Je m’amuse à me demander si mon numéro de plaque d’immatriculation a été noté quand je suis arrivé, hier. Une mini-fourgonnette avec trois enfants près d’un chalet, c’est louche.
À la vérité, j’écoute un peu distraitement les premières interventions. La séance m’en rappelle une autre, légèrement moins kitsch, mais où le café avait le défaut d’être payant : celle du comité de rédaction de la revue Argument où il a été décidé que serait consacré tout un dossier à la question nationale dans notre numéro dixième anniversaire. Ça fait déjà quelques mois que je sais que je dois répondre à la question : doit-on faire le deuil de l’indépendance ? Misère. Pourquoi, encore, cette question ? Ah oui : « Qu’on soit pour ou contre, l’indépendance ne se fera pas, alors aussi bien en faire le deuil », avait dit celui qui a proposé d’accorder tout un dossier à cette question. Comme je ne partage absolument pas ce postulat, je me suis porté volontaire pour réfuter cette thèse. Or, voilà : la position de mes adversaires étant en quelque sorte incontestable, ils auront toujours raison, jusqu’au jour où l’indépendance se fera et qu’ils auront tort. Mais que dire de plus ? Écrire que l’actuelle impression ressentie par bien des Québécois que l’indépendance n’est pas à portée de main n’est pas très différente de celle que ressentait tout le Québec dans les années 1980 ? Que je conserve précieusement à la maison un livre publié en 1989 et intitulé Le syndrome post-référendaire où s’étale sur presque chaque page le désespoir de la condition québécoise devant « l’impossible » rêve de libération ? Rappeler qu’à peine un an plus tard, l’accord du lac Meech tombait à l’eau, que les rues du Québec s’inondaient de fleurdelisés,.et…
« Proposé par Monsieur Séguin, appuyé par Madame Turcotte, adopté à l’unanimité. » La voix grave du président de séance me sort de mes considérations sur le malaise québécois..« Nous en sommes maintenant au point 3 à l’ordre du jour, c’est-à-dire la présentation de Madame C., étudiante à la maîtrise à l’Université de Montréal en… » En quoi déjà ? Note à Corinne : « experte en océanographie, mais pour les lacs, ça finit en graphie ». La jeune et belle étudiante aux cheveux noirs détonne devant la cinquantaine de têtes blanches qui s’apprêtent à l’écouter. Elle est là pour livrer le résultat de son analyse du lac B., une analyse qui fait partie d’une vaste étude qu’elle mène présentement sur plusieurs lacs des Laurentides. Je commence à comprendre que ce n’est pas la gratuité du café qui a attiré tant de gens ici. À la une des grands quotidiens depuis une semaine, on annonce la prolifération d’algues bleues dans les lacs québécois. La région de Saint-Donat est l’une des plus touchées, mais aucun diagnostic n’a été tiré pour le lac B., d’où l’intérêt pour les résultats de l’analyse de la jeune chercheuse. La dame à côté de moi me donne un coup de coude et me dit : « je l’ai vue su’l lac au mois de mai ». De toute évidence, ma voisine n’a pas été la seule. On sent une certaine angoisse dans la salle : tout le monde attend impatiemment les résultats.
La présentation PowerPoint connaît des difficultés momentanées. Il faudra attendre le technicien quelques minutes avant que l’étudiante ne puisse faire sa présentation. J’en profite pour me prendre un autre café. L’épouse du président me zyeute, comme pour me dire : « t’en as déjà pris un tout à l’heure ». Avant qu’elle ne relève mon numéro de plaque, je me rassois et je me remets à écrire, cette fois à l’endos de la feuille : « l’indépendance du Québec n’est plus nécessaire, voilà pourquoi elle est enfin souhaitable ». Ce texte, encore lui, qui me revient à l’esprit subrepticement. Ça fait littéralement des mois que j’y pense, que je griffonne des notes ici ou là. Je poursuis : « Les indépendances nationales se justifient presque toujours en réaction nécessaire et obligée à une oppression : mais il n’y a pas de liberté là-dedans, juste un instinct de survie. Comme nous ne sommes plus opprimés, nous pourrions choisir la liberté. » Ouf. Je vais devoir réécrire ça. Mais visiblement, je ne suis pas de cette première génération de souverainistes, de ceux qui ont désiré l’indépendance des Nègres blancs. L’indépendance qui devait lever le joug de nos multiples dominations, qui était la réponse nécessaire d’un peuple soumis devant s’extirper de sa condition d’infériorité. J’écris : « nous devons prendre acte du fait que nous avons cessé d’être nègres ». Re-ouf. Je rature. Surtout, ne pas inclure ça dans mon texte.
Reste que je suis loin d’être le seul à faire le constat que le rêve d’indépendance perdure malaisément au-delà des raisons qui l’ont enfanté. Certains, lucides, jugent que l’indépendance n’est plus nécessaire étant donné que le « problème » a été « réglé ». Je pense aux fédéralistes de La Presse comme Dubuc, Pratte et Gagnon, par exemple, qui ont le mérite de la cohérence : un problème n’appelle une solution qu’aussi longtemps qu’il y a problème. Nous ne sommes plus dominés, nous n’avons donc plus besoin de l’indépendance. On retrouve à l’autre extrémité ceux pour qui la domination est tout aussi vive aujourd’hui qu’hier : c’est le cas des Falardeau, Lester ou alors du Mouvement de libération nationale du Québec (MLNQ), entre autres. Pour eux, l’indépendance relève toujours d’une logique de nécessité. L’indépendance est nécessaire pour mettre fin à la domination du Canada anglais. À défaut d’être crédibles dans leur diagnostic, ils ont eux aussi le mérite d’être cohérents dans leur solution.
J’écris : « qu’y a-t-il entre ces deux pôles ? » Et je pense… mis à part les fédéralistes, il y a tous ces autres qui rêvent d’un pays, mais qui donnent l’impression de s’être perdus en chemin. L’indépendance, certains la veulent demain matin, d’autres jugent que ça peut attendre quelques années. Les premiers dénoncent la traîtrise des seconds, les seconds l’irréalisme des premiers. Mais dans tout ce brouhaha, rares sont ceux qui disent pourquoi le Québec devrait être indépendant… sans doute parce qu’ils ne savent plus trop pourquoi. C’est particulièrement frappant lors des élections. Mais contrairement à ce qu’en pensent les fédéralistes, je doute que, si les souverainistes « taisent leur option », ce soit principalement par stratégie, pour ne pas faire peur au monde. La vérité est probablement plus troublante : ils ne savent plus pourquoi ils veulent que le Québec devienne un pays. Ils en sont donc réduits à utiliser des arguments qui relèvent d’une logique de la nécessité soft. On ne dénonce plus la domination canadienne-anglaise (il faut rester crédible, le Canada n’est quand même pas une prison syrienne), mais on ne dépasse pas pour autant la logique de la nécessité : l’indépendance est nécessaire pour mettre fin aux chevauchements de programme, nécessaire pour mettre fin au déséquilibre fiscal, et ainsi de suite. Elle n’est pas un projet à définir pour elle-même, mais la réponse à une agression… fiscale. Mais est-ce qu’une majorité de Québécois voudra de l’indépendance pour ça ? Peut-être, au fait, qui sait ? Mais si l’indépendance est voulue pour ça, a-t-elle toujours un sens ? Il est vrai que pour les comptables de la souveraineté, et le PQ en compte beaucoup, l’indépendance est inenvisageable sans des lendemains financiers qui chantent. En 1995, le slogan des souverainistes était « oui, et ça devient possible », et non « soyons prêts à tous les sacrifices parce que le jeu en vaut la chandelle ».
« Vous pouvez vous rasseoir, la présentation va pouvoir commencer. » La technologie semble enfin vouloir coopérer, et mon esprit réinvestit mon corps qui était resté sagement assis dans la salle municipale de Saint-Donat. La jeune étudiante commence sa présentation. Je retourne la page et m’apprête à relater à mon amie l’état de son lac. Mais l’étudiante nous explique qu’avant d’en arriver à l’état du lac, elle souhaite expliquer comment et dans quelles conditions se forment les algues bleues. Avec une rare éloquence, l’étudiante explique tout : le fonctionnement d’un lac, les bassins versants, la provenance des eaux, l’érosion des berges, l’abus dans l’utilisation du phosphore, l’oxygénation du lac, et ainsi de suite. J’écris frénétiquement pour ne rien manquer. Des études à la tonne depuis des années, des conclusions partout identiques, aucun doute à avoir, causes certaines, etc. La présentation me semble absolument irréprochable, et je suis totalement convaincu par la conclusion : l’activité humaine accélère dramatiquement la détérioration des lacs.
« Quant au lac B… » poursuit-elle, « le constat est peu reluisant. Le lac est en voie de devenir endomorphe ». Silence dans la salle. Endomorphe ? Elle nous fournit les statistiques des taux de phosphore, des coliformes fécaux, de l’opacité de l’eau. Les gens écoutent, mais ne semblent pas comprendre qu’elle est ni plus ni moins en train d’annoncer la mort de leur lac. Les statistiques semblent difficilement tangibles pour ces gens qui cherchent une réponse en noir et blanc. Puis, l’étudiante parle de l’oxygénation de la couche de fond qui est nettement en deçà de ce qui est nécessaire au maintien de la vie. C’est ce qui explique, poursuit-elle, que les seuls poissons qui peuvent y vivre sont ceux qui ont moins de besoins en oxygène, mais qui sont généralement moins désirables pour la pêche, comme la perchaude, le crapet-soleil et l’achigan ». Là, au moins la moitié de la salle vient de comprendre. Tous les hommes hochent de la tête. Et moi de même : voilà maintenant près de dix ans que j’essaie de sortir autre chose de ce lac que des petites (…) de perchaudes. Ce que nous raconte l’étudiante devient soudainement totalement convaincant. Le lac se meurt. « Quand aux cyanobactéries, poursuit-elle, elles sont présentes en quantité moyenne, et avec les taux de phosphores présents dans l’eau, ce n’est qu’une question de temps. » Cyano quoi ? « Les algues bleues, Madame. » Il y a tout lieu de croire que ce n’est qu’une question de temps avant que l’eau du lac soit impropre à la baignade ou à la consommation. Stupeur dans la salle. Puis, une main se lève et une première question est posée : « Que faire ? »
L’étudiante explique que les solutions sont simples et bien connues, mais qu’elles supposent un changement plutôt draconien dans les habitudes des riverains. Tout le monde doit s’assurer de la conformité de sa fosse septique. On doit cesser toute utilisation de savon contenant des phosphates. Fini les gazons impeccables : dorénavant on devra cesser l’utilisation de toute forme d’engrais sur les terrains. Et puis, on peut oublier la magnifique vue sur le lac, le bord de l’eau cimenté, ou la plage dégagée qui fait la longueur de la propriété : les dix premiers mètres de tous les terrains doivent être entièrement reboisés, et dès maintenant. « Et si, poursuit l’étudiante, vous suivez ces conseils, vous commencerez à retrouver dans dix à vingt ans seulement la qualité de l’eau qui était celle de ce lac il y a cinquante ans. » Mais seulement si…
Je m’attendais à ce que les prochaines questions soient du même ordre. Mais les questions ont rapidement changé de nature, à mon grand étonnement. « Vos études sont bien belles, mais le lac V. ne compte aucune habitation et est présentement contaminé par les algues bleues, ce qui prouve que ce n’est pas l’activité humaine qui est la cause… » Je n’ai pas les mots pour décrire toute la suffisance de cette vieillarde fièrement casquée d’une imperturbable permanente, qui après avoir consacré tout au plus quelques secondes de sa vie à la question, était totalement satisfaite d’avoir réfuté l’ensemble des études sur la question. J’écris sur ma feuille : « la suffisance des incultes incarne tout ce qui va mal au Québec. » Je rature. Plus charitable que moi, la jeune étudiante répond patiemment que tous les lacs n’ont pas le même cycle, que ces algues sont naturellement présentes dans les lacs, que l’activité humaine accélère un processus qui est, il est vrai, naturel, etc. La question a quand même semblé ragaillardir l’auditoire, et plus d’une vingtaine de mains se sont levées. Si certains semblaient convaincus de l’importance de faire quelque chose, beaucoup d’autres ont émis des doutes : « Pourquoi devrions-nous payer plus, on paie déjà assez de taxes ? Qu’est-ce qui dit que nous, les riverains, sommes responsables ? La pollution ne vient-elle pas plutôt du golf voisin ? Pourquoi je ne pourrais pas couper mes arbres alors que mon voisin l’a fait et profite d’une plus belle vue que moi ? » Je suis resté bouche bée à les entendre piaffer. Qu’on ne me parle plus jamais du manque de civisme des jeunes ! La moitié des gens dans la salle semblait dire : « Je ne vois pas pourquoi, Moi, je devrais changer Mon comportement. » Voilà des gens qui refusaient d’assumer la petite part de responsabilité qui leur incombe pour que ce lac, dont ils ne sont après tout que les actuels bénéficiaires, puisse profiter aux milliers de générations à venir.
C’est alors qu’un homme s’est levé et a dit à peu près ceci : « J’aurais aimé entendre aujourd’hui des gens préoccupés par la suite des choses. J’aurais aimé vous entendre dire : oui, moi je vais changer mon comportement parce que je veux que dans cent ans, les enfants de mes petits-enfants viennent ici se baigner et taquiner le poisson. Mais ce n’est pas ce que j’entends. Alors si ça peut vous convaincre de changer votre comportement, et si on peut arriver au même résultat, je vous invite à penser à ceci : la valeur des maisons et des chalets qui bordent les lacs contaminés aux cyanobactéries baissent de 10 à 20 pour cent dès l’officialisation de la contamination par le Ministère. Pour un chalet de 200 000 $, c’est presque 40 000 $. Pensez à ça, et demandez-vous si c’est si grave que ça de payer 25 cent de plus pour du savon sans phosphate. »
J’ai dû quitter la salle juste avant la fin de cette dernière intervention. Je ne le saurai jamais, mais j’espère que cet homme a réussi à convaincre une majorité de riverains de changer leur comportement pour assurer la vie du lac B.
En après-midi, j’ai été me baigner avec les petites, histoire de profiter du lac pendant qu’il en est encore temps. Mais je n’ai pas cessé de méditer sur l’intervention de cet homme. On aimerait que les intentions soient toujours nobles, mais il semble que ce qui motive le plus grand nombre relève rarement d’une préoccupation pour ce qui les dépasse. Non pas jamais, sans doute, mais rarement. Et c’est donc dans un chalet, sur le bord de la 329, que je termine la rédaction de ce texte avec maintenant quelques idées sur les raisons de l’impasse souverainiste actuelle.
Il y a, au fond, l’indépendance de ceux qui sont préoccupés par le sort du monde, et l’indépendance des comptables et des libérateurs. Si l’idée d’indépendance nationale connaît aujourd’hui des ratés, c’est sans doute parce que l’indépendance des comptables et des libérateurs, c’est-à-dire celle qui a eu un certain sens il y a trente ans est pour l’instant à bout de souffle. Mais ce constat ne doit pas nous amener à conspuer ceux qui ont tenté de convaincre les Québécois d’assumer pleinement leur destin pour des raisons principalement économiques ; sans doute faut-il savoir en politique tirer les conclusions nécessaires du fait qu’il y aura toujours beaucoup plus de gens préoccupés par leur portefeuille que par le sort du monde, au Québec comme ailleurs. C’est un triste constat, difficile à assumer. Je me permets pourtant de rêver qu’un jour, les circonstances feront que cette indépendance sera souhaitée pour les bonnes raisons.
Car le fait demeure que le Québec est une nation qui pourrait un jour choisir l’autodétermination politique. Cette autodétermination n’aura de sens que si elle suppose un passage à la liberté, une liberté qui n’a rien à voir avec la libération. Cette liberté, c’est celle de l’entière responsabilité face à notre devenir.
L’indépendance a un sens si elle nous permet de dire Nous sans trembler, et de reconnaître le français comme seule langue officielle du Québec, dans le respect intégral des droits acquis par la minorité anglophone. Elle n’a aucun sens s’il s’agit de refaire un Canada à l’échelle du Québec.
L’indépendance a un sens si elle nous permet de reconnaître rapidement une souveraineté-association aux peuples qui partagent le même territoire que nous. Elle n’a aucun sens si elle est un moyen pour nous permettre de spolier davantage nos frères autochtones.
L’indépendance est souhaitable si cela veut dire que plus jamais un politicien québécois ne pourra se dédouaner de ses insuffisances en blâmant Ottawa.
L’indépendance est souhaitable si cela veut dire que cessera notre dépendance à l’égard des autres provinces canadiennes, surtout dans les cas où cette dépendance nous est profitable. Si je suis toujours disposé à entendre les arguments des fédéralistes politiques, ceux qui me vantent les avantages économiques que nous retirons des transferts fédéraux ne savent pas à quel point ils me désobligent. Veulent-ils nous convaincre de rester parce que nous sommes les profiteurs dans cette fédération ? Et si le Canada cessait subitement d’être profitable économiquement pour le Québec, disons dans cinquante ans, ces mêmes personnes militeraient-elles alors pour l’indépendance ? Si l’indépendance a un sens, c’est précisément pour que cesse cette justification parasitaire de notre lien avec le reste du pays.
L’indépendance a un sens si elle donne plus de moyens à l’État québécois pour aider les autres francophones d’Amérique là où ils choisiront de vivre. Elle devra notamment leur garantir un droit d’accès privilégié à la citoyenneté québécoise. Elle n’aurait aucun sens si elle était un moyen de nous laver les mains de leur sort.
L’indépendance a un sens si elle est une affirmation de ce que nous sommes. Elle n’a aucun sens si elle se fait contre les « maudits Anglais », ou les maudits « qui que ce soit ».
L’indépendance a un sens si la liberté a un prix. L’indépendance n’aurait aucun sens si, même lorsque la force sera nécessaire, nous choisissions toujours de nous réfugier dans un pacifisme de bien-pensants.
L’indépendance a un sens si elle a un coût.
L’indépendance a un sens si elle est une réponse que nous donnerons clairement à une question que nous nous poserons clairement.
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Il y a une multitude de motivations, de nature différente et pas nécessairement en accord ou cohérentes les unes avec les autres, de sauver un lac. Au final, le résultat sera à peu près semblable. De même, on peut faire l’indépendance du Québec pour les « bonnes » comme pour les « fausses » raisons. Je suppose que pour rallier une majorité de gens derrière un tel projet, il faudra souffrir que certains y aient adhéré pour les fausses raisons. Mais espérons tout de même que ce sera le plus petit nombre. Car contrairement à la sauvegarde d'un lac, la réussite d’une indépendance nationale est indissociable des motivations de ceux qui la désirent. À long terme, dans l’histoire de ce que nous sommes et de ce que nous devrions être, l’indépendance aura un sens uniquement si elle est synonyme de liberté.
François Charbonneau*
NOTES
* François Charbonneau a récemment soutenu, à l’EHESS (Paris), une thèse de doctorat en sciences politiques portant sur la Révolution américaine.