Nous souhaitions depuis longtemps qu’Argument consacre un dossier au féminisme moderne. La bougie d’allumage fut une formule, devenue le titre de ce dossier, lancée par une amie lors d’une soirée où nous discutions âprement des rapports homme-femme et de la famille. Alors que nous commémorons le 100e anniversaire de naissance de Simone de Beauvoir, se pencher sur les « filles de Simone » ne va pas de soi. La formule est pour le moins équivoque. Elle renvoie évidemment à un héritage intellectuel qui a marqué plusieurs générations de femmes et d’hommes, au Québec comme ailleurs. Mais cette formule renvoie aussi, et c’est bien là son caractère problématique, aux idées de transmission et de maternité qui, dans le cas de Simone de Beauvoir, étaient loin d’aller de soi.
Ce dossier ne concerne-t-il que les femmes ? Bien sûr que non ! Les filles de Simone veulent être libres, mais, contrairement à l’auteure du Deuxième sexe, elles veulent aussi des enfants… Et, oh bonheur, elles préfèrent souvent en avoir avec des hommes ! Ces femmes, nous les connaissons bien. Sans toujours brandir l’étendard du féminisme militant, elles reconnaissent les bienfaits des conquêtes politiques de leurs mères et de leurs grands-mères et ne voudraient pour rien au monde revenir en arrière. Ce sont de véritables alter ego que nous avons souvent rencontrées au travail ou sur les bancs des universités. Lorsqu’est venu le temps d’avoir des enfants, nous avons été témoins de leurs dilemmes existentiels entre leurs aspirations professionnelles et cet intense désir de donner la vie. Les premières journées de garderie ont été déchirantes, davantage pour elles que pour nous. Elles se sont senties coupables, se sont demandées si elles avaient fait les bons choix, si leur carrière en valait vraiment la peine. Hommes de notre temps, nous avons vécu avec elles ces moments difficiles, accepté, non sans rechigner, de discuter, de négocier, de faire des compromis et, surtout, de partager des tâches ingrates qui, autrefois, n’incombaient qu’aux femmes. Quoi qu’on en dise, c’est au quotidien que s’est vécu ce grand dérangement !
Si l’héritage féministe nous concerne, c’est aussi parce que nous sommes les pères de toutes ces femmes qui feront le Québec de demain. Nous ne concevons plus seulement nos filles comme de futures épouses ou comme de futures mères. Si nous souhaitons qu’elles s’instruisent, ce n’est pas pour faire jolie à table, c’est parce que nous les voulons autonomes, libres, souveraines, ambitieuses. Nous aimerions qu’elles soient aimées pour leur intelligence, leur charisme, leur humour, pas seulement pour leur beauté. Lorsqu’elles sentiront venir l’appel de la maternité, nous savons qu’elles risquent de vivre les mêmes dilemmes que leur mère. Notre tâche sera alors de leur faire part de notre propre expérience.
Nous sommes donc les conjoints et les pères de toutes ces filles de Simone qui font le monde d’aujourd’hui. Leurs soucis et leurs interrogations sont aussi les nôtres.
Nous avons sollicité plusieurs personnes et leur avons demandé ce que leur inspirait la formule des « filles de Simone ». Quatre d’entre elles ont bien voulu nous livrer leurs réflexions. Élaine Larochelle décrit, avec beaucoup de générosité et de finesse, l’évolution de son rapport aux thèses du féminisme moderne. Karine Bates de son côté soutient que la remise en cause des rôles familiaux traditionnels du père et de la mère est une conséquence directe de la critique féministe de l’idée de « nature ». Jean-Philippe Trottier, l’auteur d’un essai choc sur Le grand mensonge du féminisme[1], nous propose quant à lui une critique sévère d’un féminisme essentialiste qui serait rien de moins que le nouveau visage du messianisme ultramontain. Enfin, l’inspiratrice de ce dossier, Myriam Coulombe-Pontbriand, a fait une petite enquête autour d’elle, question de voir comment les femmes qui décident d’avoir des enfants sont perçues par leur mère et les collègues. Ses constats sont étonnants et ont de quoi faire réfléchir les dirigeantes du mouvement féministe.
Éric Bédard
NOTES
[1] Publié chez Michel Brûlé, 2007.