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L'inquiétante incohérence

Un texte de Sébastien Bilodeau
Thèmes : Féminisme, Islam, Pluralisme, Sexualité, Société
Numéro : Argument 2016 - Exclusivité Web 2016

Durant l’année 2015 la lutte aux violences sexuelles a connu un nouveau regain. La dénonciation de ces crimes sordides y a en effet occupé une place importante dans le paysage médiatique. On y a aussi assisté à la mise en place d’un militantisme public dédié à la lutte contre le viol.

 L’urgence de combattre le viol

Ce militantisme a été nourri notamment par la révélation de nombreux crimes sexuels commis par des hommes puissants et connus, tels que Jian Ghomeshi, Marcel Aubut et Bill Cosby. Les scandales à répétition portant sur les sévices sexuels auxquels seraient exposées des femmes autochtones, des militaires ou des policières ont également nourri une vive indignation.

Suite à ces révélations, on a vu se produire différentes actions destinées à combattre les violences sexuelles. À ce titre, on peut mentionner l’essor du groupe « Je suis indestructible », dédié à la lutte contre la « culture du viol ». On a d’ailleurs pu voir ce concept s’insérer de plus en plus dans les débats publics. Le nombre de chroniques et de blogues dédiés à la dénonciation du viol et de son traitement par la société a également augmenté. Cette effervescence a mené enfin à différentes actions publiques pour tenter de débusquer les violences sexuelles et ce qui les faciliterait. Par exemple, en juillet 2015, Jean-François Mercier devint la cible de sévères critiques. Après avoir fait une blague salée, l’humoriste fut accusé ouvertement de favoriser un climat qui encourage l’impunité des agresseurs sexuels. Environ un mois plus tard, le blogueur Roosh V goûta aussi à cette nouvelle forme de militantisme. L’adepte de la drague sans scrupules prévoyait faire une conférence sur ses méthodes et fut vite la cible d’une importante campagne de dénonciation. Plus tard, une lettre envoyée aux créateurs de « L’ostie de jeu », et qui demandait qu’on en retire trois cartes qui feraient la promotion du viol, fut rendue publique. Bref, l’action contre les violences sexuelles s’est déployée sur bien des fronts.

Ce déploiement massif envoyait un message qui semblait clair. Il fallait combattre le viol partout, tout le temps. Cette lutte devait s’effectuer dans tous les lieux et dans tous les contextes possibles. De plus, il ne fallait pas s’en tenir aux violences sexuelles commises. Il était aussi nécessaire de débusquer celles qui seraient cachées, notamment dans l’humour de mauvais goût. Au bout du compte, fin 2015, la table semblait bien mise pour une année 2016 où la société se tiendrait prête à attaquer de front cette « culture du viol ».

 

« Je suis contre le viol, mais … »

Les premières heures de 2016 ont vite jeté une ombre sur la promesse de ce combat à mener. Dans plusieurs villes d’Allemagne, de nombreuses femmes furent agressées, volées, voire violées en pleine rue par des bandes d’hommes qui se sont avérés être pour la plupart des immigrants et des réfugiés provenant du Maghreb et de la Syrie. Loin de nous l’idée de stigmatiser ces groupes qui le sont déjà beaucoup. L’objet de notre propos porte bien plutôt sur les conduites associées au militantisme anti-viol mentionné plus haut. Étrangement, à la suite de ces agressions du Nouvel An, les groupes militants anti-viol de 2015 et les personnalités qui s’y étaient associées sont demeurés silencieux pendant plusieurs jours. Et après cette période de silence, quand plusieurs d’entre eux se sont enfin   prononcés, étrangement toujours, le viol ne semblait plus être la première de leurs préoccupations.

Les personnalités qui avaient donné le ton à la lutte contre le viol affichent donc maintenant un tout autre discours. Celui-ci consiste principalement à dénoncer la possible instrumentalisation des crimes de Cologne par l’extrême-droite et le racisme. Ce qui domine dans les déclarations c’est la dénonciation de l’islamophobie, décrite comme si elle était la principale source de l’indignation suscitée par les viols de Cologne. Presque rien n’a été dit des propos de la mairesse de Cologne, Henriette Reker, qui suggéra aux femmes de se protéger en se conduisant et en s’habillant convenablement. On sait pourtant à quel point de tels propos font normalement sursauter toute personne attachée au féminisme. En somme, tout se passe comme si les personnalités anti-viol de 2015 semblaient maintenant déployer beaucoup d’énergie pour ne pas voir les agressions de Cologne pour ce qu’elles sont : des agressions contre des femmes.

Le militantisme anti-viol qui affiche ce discours dit aussi qu’il faut faire preuve de retenue, de nuance. Il faudrait attendre d’avoir toutes les informations, ne pas trop vite sauter aux conclusions. Ce n’était pourtant pas du tout l’attitude affichée en 2015. À l’époque, on n’hésitait pas à condamner publiquement les hommes soupçonnés de viols et de harcèlement sexuel dès que des allégations faisaient surface. Le ton transpirait l’urgence et la fureur. Il était alors de mauvais goût de plaider pour la retenue. Lorsque Jean-François Mercier publia sa blague, qui ne parlait même pas de viol, le militantisme anti-viol le persécuta sur-le-champ. Pourtant, ce même militantisme semble aujourd’hui peu disposé à condamner des viols perpétrés à ciel ouvert.

 

Le déconcertant mutisme

L’étrange incohérence que nous soulignons, ici, révèle apparemment que ce nouveau militantisme anti-viol peut bien dévoyer son combat, voire même y renoncer, selon l’origine de l’agresseur. Le violeur occidental est l’objet d’un mépris total, mais son homologue non occidental semble avoir droit à la clémence. Cette clémence tient évidemment ici aux deux causes, l’anti-racisme et l’anti-sexisme, qui entrent en collision et se court-circuitent mutuellement. Notre but n’est pas de discréditer ces deux nobles causes, mais bien de montrer que l’incohérence affichée par le militantisme anti-viol laisse planer de troublantes questions. Si Aubut, Cosby et Ghomeshi avaient été des immigrants récents ou des réfugiés, auraient-ils été dénoncés avec autant de virulence ? Si Roosh V avait été perçu comme un nouvel arrivant musulman, l’aurait-on laissé tranquille ? L’aurait-on ignoré en déclarant « pas d’amalgame » ?     

Dans la Presse + de samedi dernier, Agnès Gruda alla même jusqu’à suggérer que, s’il ne faut pas excuser ces agressions, il serait pertinent d’essayer de les  « comprendre ». Imaginez un instant à quel point un chroniqueur se serait couvert de ridicule – et à bon droit - s’il avait inviter à « comprendre » Marcel Aubut. L’analyse de Gruda est un extraordinaire exemple du conflit moral qui habite aujourd’hui ceux qui veulent être la fois féministe et toujours et en tout temps « ouverts à l’autre ». Ce qui expliquerait le comportement de ces jeunes hommes tiendrait à de la frustration sexuelle, à la violence contre les femmes dont ils auraient été témoins dans leur jeunesse, mais surtout au fait que, connaissant peu les mœurs européennes, autrement que par l’intermédiaire de la pornographie, ils se seraient imaginés un occident fantasmé où les femmes sont toutes secrètement libidineuses. Bref, elle se demande si Cologne ne serait pas tombée cette nuit-là dans un « abysse d'incompréhension culturelle ? », une question raisonnable. Mais qu’en conclut la chroniqueuse? Qu’étant donné les différences culturelles, il faut au minimum réfléchir davantage au risque potentiel associé à un trop grand influx de réfugiés? Non, elle affirme qu’il faut vite tenter de comprendre « la situation des hommes dans le monde arabo-musulman, y compris ceux qui ont pris la route de l'exil, au lieu d'en profiter pour ostraciser davantage les musulmans »[1].

La grande question, bien entendu, est maintenant de déterminer si ce réflexe charitable nous honore ou au contraire s’il relève d’une cécité potentiellement délétère, en particulier pour ceux qui croient à l’égalité homme-femme.

SÉBASTIEN BILODEAU

 



[1] http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/agnes-gruda/201601/18/01-4940935-les-lecons-de-cologne.php




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