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Réparer le code

Un texte de David Santarossa
Thèmes : Société, Québec, Identité
Numéro : Argument 2020 - Exclusivité Web 2020

Briser le code est un documentaire animé par Fabrice Vil qui a été présenté sur les ondes de Télé-Québec à la fin janvier. Il visait à faire prendre conscience à la population québécoise qu’il existe encore aujourd’hui, au Québec, un « code » à suivre, c’est-à-dire « l'ensemble des attitudes et des comportements que les personnes racisées et les personnes autochtones doivent adopter pour se fondre dans la majorité québécoise sans déranger ». Tout au long du documentaire, on présente ainsi des témoignages d’individus provenant de différentes communautés ethnoculturelles et qui évoquent l’intégration des immigrants, l’existence des enfants d’immigrants et celle des autochtones au Québec.

Ce documentaire a été encensé par différents médias, il est même présenté dans les écoles et les universités. L’intention derrière le commentaire qui suit est de nuancer ces éloges et de mettre en question les idées défendues dans Briser le code.

 

Choix des intervenants

La première critique que je formulerai à propos de ce documentaire concerne le choix des intervenants. Vil a minutieusement choisi des individus qui témoigneraient dans le seul sens de son propos : tous sont mécontents par rapport à la situation de l’immigration au Québec, tous considèrent avoir subi de la discrimination, du racisme et des « micro-agressions ». Aucun de ces participants ne mentionne que son intégration s’est bien passée. Jamais on ne relève la moindre anecdote qui témoignerait de l’ouverture d’esprit de certains Québécois. Bien sûr, ces intervenants ont droit à leur opinion tout comme Vil a le droit de les avoir choisis, mais on se doit de soulever l’absence de nuances dans le propos d’un documentaire qui apparaît d’emblée comme très orienté.

Fabrice Vil est un chroniqueur connu pour un cheval de bataille en particulier : la représentativité. Selon lui, les minorités ne seraient pas représentées équitablement dans les médias et dans les postes de pouvoirs au Québec. Mais, ironiquement, dans son documentaire, Vil ne montre lui-même que la vision d’une frange de la « communauté » immigrante et ne représente jamais avec toutes les nuances possibles le parcours des immigrants en général, y compris en mettant de l’avant le témoignage de ceux qui seraient en désaccord avec lui. Venant d’un dévot de la représentativité qui n’hésite pas à sermonner tous ceux qu’il rencontre sur son passage, on ne peut s’empêcher de penser que Vil est coupable ici de tartufferie.

Toujours sur cette question des intervenants, on peut en outre remarquer qu’ils ne sont pas ce qu’ils prétendent être et cela offre l’occasion de préciser quelque peu la critique qui précède. On les présente comme des immigrants ordinaires en indiquant uniquement leur nom à l’écran. On peut alors imaginer que le quidam québécois, qui allume sa télévision et qui tombe par hasard sur ce documentaire, aura l’impression qu’on lui présente la vérité et que ces témoignages sont représentatifs de l’opinion de tous les immigrants. Or, en cherchant l’identité de ces intervenants sur Internet, on se rend compte rapidement que plusieurs d’entre eux sont actifs dans des milieux militants. Par exemple, Sonia Djelidi, présentée comme la mère de famille typique, travaille pour le Centre interculturel de Montréal et semble très critique des positions nationalistes de la CAQ ou du PQ. Autres exemples : Hamza Abouelafaa écrit pour le magazine Urbania, qui campe à gauche, et André Ho est intervenant communautaire proche des milieux LGBTQ+. Et c’est sans parler, bien entendu de Fabrice Vil lui-même, dont nous avons déjà dit un mot. Ces personnes ont parfaitement le droit de présenter leur position dans le documentaire de Vil et ce qu’elles disent est pertinent à plusieurs égards. En revanche, là où le bât blesse, c’est lorsqu’on ne met pas en contexte ces interventions. Ce ne sont pas de simples citoyens à qui l’on tend un micro. Ce sont des personnes avec des positions bien campées qui cherchent à nous convaincre de leurs idées. Plus de transparence aurait dans ces circonstances été appréciée.

 

Commentaires racistes

      Comme nous le disions plus haut, tout au long du documentaire, nous entendons des témoignages sur le racisme. Soyons clairs : de tels commentaires racistes existent sans aucun doute. Ils sont condamnables et ils ne devraient pas avoir leur place au Québec ni ailleurs dans le monde. L’auteur de ces lignes enseigne au secondaire et il peut rassurer le lecteur à cet égard :  beaucoup d’efforts sont faits pour sensibiliser les enfants à cet enjeu dans les écoles. On se doit de continuer de faire des efforts pour que ce type de commentaire n’existe un jour tout simplement plus dans notre société. Cela étant dit, on ne peut pas, à partir de quelques anecdotes de militants, inférer que le « code » québécois est raciste.

            Durant les cinquante minutes du documentaire, on passe aussi sous silence tous les efforts faits pour intégrer les minorités ethnoculturelles tout en percevant comme un trait général de la culture québécoise les comportements répréhensibles de certaines personnes intolérantes. On ne considère pas, par exemple, les cours de francisation gratuits et tous les autres programmes destinés à faciliter l’intégration des immigrants comme faisant partie du « code », alors que tous les travers du Québec sont identifiés à ce même « code ». Des racistes, il en existe certes ici comme partout ailleurs, mais loin de respecter le « code » qui serait commun au Québec, ils le brisent. 

 

            Définition du code

Cette dernière critique nous amène à la définition du « code » que j’ai présentée en commençant. On doit de toute évidence reprocher à cette dernière son absence de précision. Est-ce que des comptes anonymes sur Facebook représentent un « code » qui serait celui de tout le Québec ? Ou bien est-ce que ce sont les institutions ? Qui détermine le « code » en question ? Est-ce que c’est le même « code » qui prévaut au travail, dans les écoles et dans les lieux publics ? Les médias font-ils partie du « code » ? Quels médias ? Bien sûr, le travail de Vil n’est pas un article scientifique et on pourrait m’accuser d’être un peu trop pointilleux. On aura peut-être même en partie raison. Mais, en même temps, tout critique doit faire preuve d’un minimum de rigueur si elle veut espérer convaincre. Or, on peut aisément constater que, comme la définition du « code » est très vague, on peut lui faire dire ce que l’on veut.

            Pour illustrer cette critique, on peut prendre le cas rapporté par l’un des intervenants de cet enseignant de musique qui, il y a une trentaine d’années, mettait la faute de la guerre d’Irak sur « les Arabes » et affirmait qu’à cause d’eux, l’école allait fermer. Celle qui rapporte ce témoignage était à l’époque la seule Arabe de la classe. On peut fort bien s’imaginer le malaise de l’adolescente qui est exposée à un tel discours. En revanche, on ne peut pas dire que cet enseignant était représentatif de la majorité des Québécois ou d’un quelconque « code ». On critique avec raison ceux qui font un amalgame entre tous les musulmans et les intégristes islamistes, ou ceux qui confondaient Saddam Hussein avec tous les Arabes. Mais, répétons-le, si « code » il y a, celui des Québécois racistes n’est pas celui des Québécois.

 

Le groupe

À plusieurs reprises dans le documentaire, les intervenants critiquent le fait qu’il faille renier une partie de soi pour devenir Québécois. Cette idée est centrale dans le documentaire et on peut convenir sans difficulté qu’elle est vraie, du moins en partie. Il est évident en effet qu’une telle chose est exigée pour adhérer à n’importe quel groupe. Imaginons qu’une personne adhère à une nouvelle ligue de basketball. Cette personne aimait les règles et le fonctionnement de son ancienne ligue. Elle ne sera sans doute pas d’accord avec toutes les nouvelles normes qu’on lui impose, mais elle acceptera pourtant de s’y plier, du moins si elle désire continuer à jouer au basket. Ce que cette analogie cherche à montrer, c’est qu’accepter de vivre en communauté, c’est toujours accepter de renier une partie de soi. En oubliant ce principe de base, le documentaire démontre sa mécompréhension de la dynamique de groupe.

Les véritables questions que l’on devrait se poser à ce sujet sont plutôt celles-ci : quelle(s) partie(s) d’eux-mêmes demande-t-on aux immigrants de renier ? et ces demandes sont-elles vraiment liberticides ? Les principales exigences que le Québec impose aux immigrants peuvent se résumer à la loi 101, sur l’affichage en français et la langue d’enseignement, et à la loi 21, sur la laïcité. Rappelons que ces deux lois légifèrent surtout à propos de ce qui se passe dans les institutions, mais pas sur ce que les individus font dans le privé. Certes, on demande à certains immigrants de renier une partie d’eux-mêmes (si l’on pense au port de signes religieux), mais c’est pendant un certain temps, principalement sur les lieux de travail ou à l’école. Quant à savoir si ces lois sont liberticides, la question reste ouverte, mais il faut bien être conscient qu’aucune liberté n’est absolue et que le fait de vivre en société impose forcément certaines restrictions aux libertés de l’individu. Pour ma part, je pense que ces deux lois sont de manière générale modérées et qu’elles reflètent un consensus dans la population.

Ensuite, il y a ce que le commun des mortels exige des immigrants, c’est-à-dire toute la question du conformisme social. Par exemple, Fabrice Vil raconte l’anecdote suivante, dont il faut souligner qu’elle remonte elle aussi à plus d’une vingtaine d’années : lorsqu’il était au primaire, raconte-t-il, il refusait d’apporter du griot, plat typiquement haïtien, pour dîner à l’école. Le plat paraissait en effet bizarre aux yeux de ses camarades de classe et, puisqu’il désirait se fondre dans la masse, il décida un jour d’apporter des sandwichs au baloney pour dîner (comme si, entre parenthèses, tous les petits Québécois ne se nourrissaient que de sandwichs au baloney !). Évidemment, qu’un enfant soit mis à l’écart par les autres à cause de ce qu’il mange est condamnable. Mais en même temps, on peut se demander à nouveau en quoi cela fait partie du prétendu « code », surtout à l’époque actuelle où les restaurants exotiques se multiplient un peu partout au Québec. D’ailleurs, on peut rassurer Vil, son griot est à la mode aujourd’hui, les jeunes adorent ce type de nourriture. Cela ne devrait-il pas l’amener à réviser son jugement ?

 

Convergence culturelle

D’ailleurs, ces jeunes Québécois qui s’approprient les pratiques des cultures du monde entier, Vil n’en dit pas un mot. Le documentaire laisse toujours entendre que la convergence culturelle se fait vers « la majorité blanche ».

Puisque les participants à ce documentaire parlent de leur expérience, je me permettrais de le faire moi aussi. Dans les écoles situées en banlieue de Montréal ou dans certains quartiers périphériques de la ville, où les immigrants ou enfants d’immigrants sont majoritaires ou constituent une part importante des élèves, on remarque que la convergence culturelle se fait bien souvent vers ces minorités immigrantes et surtout vers les Noirs. On entend ainsi de jeunes Québécois francophones utiliser des mots arabes ou créoles tout en se donnant un accent haïtien. Le rap est sans contredit la musique préférée de ces jeunes. Les joueurs de la LNH sont de moins en moins leurs vedettes, ce sont plutôt les joueurs de basketball, de soccer et de football qui sont par eux adulées. Dans ces circonstances, qui sont de plus en plus courantes, répétons-le, dans la grande région de Montréal, le « code » n’est pas celui de la majorité historique francophone, c’est plutôt celui de certains groupes immigrants, qui eux-mêmes ne font le plus souvent que reprendre ce qu’on peut appeler le « grand code » médiatique made in USA. Car, pour ne prendre que l’exemple des jeunes Montréalais d’origine haïtienne, ils sont bien plus sensibles à la culture musicale, vestimentaire, etc. diffusée par les clips de rap que par celle de leurs parents. Il peut aussi paraître un peu ironique que l’existence et la prégnance d’un tel « code » médiatique et culturel états-unien échappe apparemment à Fabrice Vil.

 

Langue

Continuons notre critique en nous concentrant sur la question de la langue, sujet d’éternelles discussions au Québec. Selon Fabrice Vil, le français fait partie du « code » auquel les immigrants et enfants d’immigrants doivent se soumettre. Certains témoignent dans son documentaire des commentaires désagréables qu’on a pu faire sur le fait qu’ils ne maîtrisaient pas suffisamment le français ou qu’ils ne le parlaient pas avec le même accent que la majorité historique francophone. Ces commentaires pouvaient même en certains cas devenir racistes.

L’obligation imposée aux enfants d’immigrants de fréquenter des écoles de langue française (loi 101) vise à assurer la pérennité de cette langue au Québec, mais aussi à ce que s’opère une certaine convergence culturelle des minorités ethnoculturelles vers la majorité historique francophone. Bien sûr, apprendre une nouvelle langue est quelque chose de difficile, et je ne doute pas qu’il y ait, au Québec comme ailleurs, des personnes malveillantes qui peuvent prendre prétexte ces difficultés linguistiques pour cracher leur venin sur les immigrants. Là encore, il y a assurément du travail à faire pour faciliter, entre autres du point de vue linguistique, leur intégration. Or, dans le documentaire, ce n’est pas de cette idée qu’on tente de nous convaincre. On cherche plutôt à « briser le code », comme le titre l’indique. Autrement dit, on cherche à « briser » cette volonté d’imposer le français comme langue commune, ainsi que toutes les autres normes qui seraient imposées par la majorité historique francophone.

 

Contexte québécois

Concluons notre recension avec la critique la plus grave que l’on peut adresser au documentaire, soit celle de l’absence de prise en compte du contexte québécois. Jamais dans le documentaire il n’est question du statut minoritaire de la culture québécoise au sein du Canada comme de l’Amérique du Nord, alors que c’est à l’évidence cette situation qui justifie les raisons pour lesquelles les Québécois vont demander davantage d’efforts aux immigrants pour s’intégrer que ne le font, par exemple, les Canadiens anglais. On ne trouvera pas non plus dans ce documentaire la moindre référence au fait qu’historiquement les Québécois ont privilégié un modèle d’intégration différent du multiculturalisme canadien et pas davantage d’explication sur les raisons de la méfiance des Québécois envers ce modèle.  

Plus grave encore, dans ce documentaire, on mentionne toujours le Québec comme une société à majorité blanche. Bien que les histoires de couleurs de peau aient aussi une triste histoire au Québec, il semble évident que c’est surtout à partir de la question de la langue que se définissent le Québec et la culture québécoise. En insistant sur ce seul aspect racial, Fabrice Vil supprime donc tout ce qui fait la spécificité de l’histoire du Québec. Doit-on comprendre que cette histoire fait elle aussi partie du « code » et qu’il faudrait effacer totalement celle-ci pour mieux accommoder les nouveaux arrivants ?

D’ailleurs, lorsqu’est évoquée dans le documentaire cette idée qu’un Blanc ne peut en aucun cas comprendre ce qu’un Noir vit comme discrimination, on a là encore l’énoncé d’une thèse qui fait complètement abstraction de l’histoire des Québécois et des discriminations multiples dont les francophones ont été eux-mêmes victimes tout au long de cette histoire au Canada. Pour convaincre Fabrice Vil du contraire, on pourrait lui suggérer de lire quelques poèmes de Michèle Lalonde ou de Gaston Miron.

 

Conclusion

Fabrice Vil commence son documentaire en disant que l’inclusion est quelque chose de complexe. Au terme du documentaire, le téléspectateur est convaincu du contraire, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une question très simple, alors qu’on lui a présenté d’un côté de pauvres immigrants qui font des efforts pour gagner leur vie et de l’autre la majorité historique francophone qui discrimine ceux qui sont différents d’elle. Sans surprise, ce manichéisme simpliste ne propose d’ailleurs aucune solution concrète pour favoriser cette inclusion de tous, à part un appel à discuter des questions de racisme. Qu’on me permette d’être sceptique à propos de cet appel à discuter. Les critiques qui précèdent démontrent en effet la mauvaise foi des créateurs du documentaire et aucun appel au dialogue sincère ne saurait se bâtir ainsi.

Néanmoins, reconnaissons que le documentaire aide à rappeler à tous qu’il faut continuer le combat contre les stéréotypes, notamment raciaux. Bien que les discours racistes soient de moins en moins présents, ils existent toujours et cela a des répercussions sur la vie de certaines minorités. Rappelons cependant que, loin de respecter le « code » qui serait celui de la majorité des Québécois, les racistes brisent un tel « code ».

Au final, la diffusion de ce documentaire, suivie d’une discussion ferme à son sujet, offrirait peut-être en fait une des meilleures opportunités de réparer ce « code québécois » qui se fracture, et même de le renforcer en menant une véritable politique de convergence culturelle pour plus de mixité, pour un meilleur apprentissage du français et des codes culturels québécois ; c’est aussi ça travailler à l’égalité des chances.

 

 

Crédit photo: Wiki Commons (Approaching Shadow)


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