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La défaite au Conseil de sécurité: De quoi le Canada est-il le nom sur la scène internationale?

Un texte de Jocelyn Coulon
Thèmes : Canada, Politique
Numéro : Argument 2020 - Exclusivité Web 2020

La défaite a été spectaculaire. Le mercredi 17 juin 2020, le Canada a échoué à se faire élire à un siège de membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. Les deux sièges en compétition dans le groupe régional « Europe de l’Ouest et autres pays » ont été attribués à l’Irlande et à la Norvège. Une gifle d’autant plus difficile à accepter pour le Canada que c’était la deuxième fois en dix ans qu’on lui refusait l’accès à cette instance onusienne.

Le résultat est aussi un échec personnel pour le premier ministre Justin Trudeau. Au cours de la campagne pour obtenir ce siège, il avait promu la candidature canadienne en rappelant à tous ses interlocuteurs que le Canada avait la capacité de changer les choses et que son appartenance au G7, au G20, au Commonwealth et à la Francophonie lui permettrait d’exercer une grande influence au sein du Conseil et particulièrement auprès de ses cinq membres permanents[1].

Trudeau comptait aussi sur la réputation de « bon citoyen » acquise par le Canada dans le monde au cours des dernières décennies pour se distinguer de ses deux compétiteurs. Même le chanteur Bono a déjà dit que « le monde a besoin de plus de Canada! » Un positionnement aussi vertueux ne devait-il pas convaincre les plus sceptiques?

Les membres de l’Assemblée générale de l’ONU n’ont pas vu les choses du même œil. Le résultat du scrutin a été sans appel : la Norvège a obtenu 130 votes, l’Irlande 128 et le Canada 108, permettant aux deux premiers de l’emporter immédiatement, car la barre était fixée à 128 votes pour être élu. Jamais depuis son adhésion à l’ONU en 1945 le Canada n’avait été éliminé dès le premier tour lors des défaites précédentes de 1946 et 2010.

Un post-mortem s’impose donc afin de comprendre pourquoi la posture internationale du Canada ne fait plus recette dans le monde depuis au moins une décennie, sinon plus. Le Canada semble avoir perdu ses repères, ceux qui lui donnaient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale une identité forte sur la scène internationale et lui avaient permis d’exercer une influence sur le cours des événements au point d’être élu à six reprises au Conseil[2]. Les défaites de 2010 et de 2020 sont à cet égard révélatrices de la marginalisation du Canada dans le monde. Elles cristallisent l’incapacité des gouvernements élus depuis la victoire des conservateurs en 2006 à définir clairement le rôle du Canada à l’étranger.

 

« Le Canada est de retour »

D’une certaine façon, c’est le gouvernement de Justin Trudeau qui porte une lourde responsabilité dans la marginalisation du Canada sur la scène mondiale. Il avait pourtant suscité de grandes espérances.

Lors de sa première élection en octobre 2015, force a été de constater qu’une partie du monde a succombé aux charmes du nouveau premier ministre. Il a été accueilli en rock star à Davos, à Paris et à Washington. La singularité du phénomène a étonné, mais à y regarder de plus près il n’y a là rien de surprenant. Trudeau apparaît à un moment de l’histoire occidentale où les populations sont de plus en plus cyniques et désabusées face à des élites politiques perçues comme déconnectées et accrochées à leurs privilèges. D’où la brutalité avec laquelle certains électorats changent les équipes au pouvoir, avec une étonnante rapidité. En France, deux présidents, Nicolas Sarkozy et François Hollande, ont été privés d’un second mandat habituellement gagné d’avance, et le président actuel, Emmanuel Macron, a fait face avec l’affaire des gilets jaunes en 2019 à une fronde populaire comme on n’en avait jamais connu depuis mai 1968. Même logique au Québec où après les tumultes du « printemps érable » de 2012, les représentants de trois partis différents – Pauline Marois, Philippe Couillard et François Legault – se sont succédé au pouvoir en sept ans. Aux États-Unis, les jeux ne sont pas encore faits, mais Donald Trump, représentant la frange radicale du Parti républicain, pourrait être chassé du pouvoir en novembre 2020 par un autre vent de changement incarné par un Parti démocrate plus gauchisant qu’auparavant.

Trudeau a donc profité du désarroi ambiant. Lorsqu’il s’est présenté aux élections générales, il a promis des « voies ensoleillées ». Tout au long de la campagne électorale, il a mis de l’avant une vision positive de l’avenir du pays, tant sur le plan intérieur qu’extérieur. Il a fait appel aux bons sentiments de l’électorat en promouvant le respect de la diversité, la tolérance religieuse et sociale et l’ouverture aux réfugiés à un moment où un peu partout dans le monde les discours xénophobes et intolérants dominaient l’espace public. Face à un Stephen Harper rabat-joie et austère, à la limite du déplaisant, Trudeau est apparu comme un homme nouveau au sein d’une classe politique ossifiée. Dès lors, il incarnait le changement, du moins selon les sondeurs, les boîtes de relations publiques et une partie de la classe médiatique.

Trudeau a beaucoup promis : la réforme du mode de scrutin, l’augmentation des dépenses publiques afin de relancer l’économie, l’adoption de mesures ciblées pour assurer la croissance de la classe moyenne, la mise en place d’une gouvernance transparente et éthique, la reformulation d’une politique étrangère dont le slogan « Le Canada est de retour » devait replacer le pays au centre de la scène internationale.

La redéfinition de la politique étrangère canadienne par l’équipe Trudeau était au cœur de son programme électoral. Elle est partie du postulat que le gouvernement conservateur avait isolé le Canada sur la scène internationale et militarisé son action extérieure, rompant ainsi avec ce que les spécialistes appellent l’« internationalisme libéral » en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En un mot, la décennie conservatrice a transformé le Casque bleu canadien en casque d’acier grâce à l’adoption de politiques musclées et unilatérales destinées à servir le grand projet idéologique de Stephen Harper : ressusciter la « nation guerrière » supposément tapie au fond du cœur de chaque Canadien et longtemps occultée par les élites traditionnelles, libérales comme progressistes-conservatrices.

Dans leur hargne contre les symboles et réalisations des gouvernements précédents, les conservateurs à la Harper se sont comportés comme les dirigeants soviétiques qui retouchaient les photos afin de faire disparaître les anciens amis devenus les nouveaux ennemis. Ainsi, le gouvernement conservateur a profité de la remise à neuf des billets de banque pour remplacer par un train le monument au maintien de la paix qui ornait les coupures de 10 dollars. Il a aussi refusé de souligner le 50e anniversaire de l’attribution du prix Nobel de la paix à Lester B. Pearson, et ses ministres ont pris un malin plaisir à ne jamais citer le nom de l’ancien premier ministre lorsqu’ils rappelaient dans leurs discours les grands moments de la diplomatie canadienne. Ce rejet a même revêtu un caractère mesquin lorsque le ministre des Affaires étrangères, John Baird, a effacé « Édifice Lester B. Pearson » de l’adresse du ministère apparaissant sur ses cartes professionnelles.

Toutes les enquêtes d’opinion l’ont démontré, la greffe conservatrice n’a pas pris. Une étude réalisée par le futur conseiller diplomatique de Justin Trudeau et publiée quelques mois avant l’élection a confirmé la prégnance de l’internationalisme libéral chez les Canadiens[3]. Ceux-ci demeuraient profondément attachés aux activités de maintien de la paix, au multilatéralisme représenté par l’ONU, et à l’aide aux pays en développement. À l’étranger, le Canada de Stephen Harper a été désavoué en octobre 2010 lorsque les membres de l’ONU ont rejeté sa candidature à un siège au Conseil.

Dans ces circonstances, les Libéraux disposaient d’une ouverture politique unique afin de promouvoir l’argumentaire de politique étrangère contenu dans la plate-forme électorale du parti[4]. La dizaine de pages consacrées aux questions internationales et militaires utilisait à fond le vocabulaire de l’internationalisme libéral : un gouvernement Trudeau « rétablira le leadership » du Canada dans le monde, « rebâtira des ponts » avec les États-Unis et la communauté internationale, « aidera les plus pauvres » dans les pays en développement, «renouvellera son engagement » dans les missions de Casques bleus, « fournira une aide humanitaire » lors de crises et de catastrophes naturelles, et se montrera attentif à la « souffrance » et ouvert « aux réfugiés ». La plate-forme libérale se réalisera par l’intermédiaire de politiques et de programmes empreints de «compassion » et de « bienveillance. » C’était le triomphe de ce que les Américains appellent le soft power, la puissance douce, sur le hard power, la puissance dure, si chère aux yeux de Stephen Harper et des conservateurs.

Il n’est donc pas étonnant que le monde ait accueilli avec un certain enthousiasme l’élection d’un homme porteur d’une vision d’un Canada en passe d’être transfiguré. Défendre la veuve et l’orphelin a toujours été l’aspect le plus médiatisé de la diplomatie canadienne à l’étranger. Les conservateurs y avaient mis fin, les libéraux ne demandaient qu’à reprendre le flambeau. Et les Canadiens étaient preneurs, d’autant plus que cela leur permettait de se distinguer de leurs voisins américains trop souvent enclins à user de la force pour régler le moindre problème.

 

La version canadienne de la « Destinée manifeste » américaine

Trudeau a réussi à imposer dans les esprits l’idée qu’il était porteur d’un autre Canada sur la scène internationale. La première année de son gouvernement a été marquée par des débats riches et vigoureux sur la façon dont le Canada pourrait agir sur la scène internationale afin de revitaliser l’internationalisme libéral tout en prenant en compte une situation où des États autoritaires ou illibéraux occupaient une place grandissante et influente dans le concert des nations.

Dans cet esprit, l’accent a été mis sur ce que le Canada sait faire de mieux. Ainsi, pendant tout son mandat de quatorze mois à titre de ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion a prononcé vingt-six grands discours où il a tracé les lignes de force d’une politique étrangère libérale et internationaliste. Le programme était clair : retour dans les opérations de paix, augmentation des budgets d’une aide au développement recalibrée en faveur des femmes et des enfants, nouveau dialogue avec la Russie, approche plus intelligente que celle des conservateurs sur le conflit israélo-palestinien, réengagement en Afrique, approfondissement des liens avec la Chine et les États asiatiques, enfin, renforcement du multilatéralisme dont l’ONU est la pierre angulaire. Ce programme n’excluait pas un usage réfléchi de la force au besoin, et donc un financement adéquat de l’outil militaire, mais il rejetait la notion harpérienne d’un Canada « nation guerrière ».

Chrystia Freeland, devenue ministre des Affaires étrangères en janvier 2017, a couronné ce bel édifice d’un marqueur idéologique à même de fixer dans l’esprit des Canadiens et du reste du monde une identité forte et reconnaissable du Canada sur la scène internationale. La ministre n’est pas étrangère à une certaine forme de messianisme politique. L’expérience douloureuse de l’Ukraine sous Staline où ses grands-parents sont nés et son travail de journaliste à Moscou sous le régime autoritaire de Vladimir Poutine ont dessiné chez elle une conception du monde où le bien et le mal sont facilement reconnaissables. Dans cette optique, le Canada est appelé à un destin particulier afin d’aider la planète à marcher dans la bonne direction. Lors de son premier discours de politique étrangère prononcé devant les députés quelques mois après sa nomination, elle a forgé une expression à même de saisir l’essence de ce destin. Le Canada, a-t-elle dit, est un « pays essentiel » en ce moment dans la vie de la planète[5]. Et Freeland d’invoquer l’histoire pour appuyer son argumentaire. « Il y a de cela soixante-dix ans, le Canada a joué un rôle de premier plan dans la mise en place d’un ordre mondial d’après-guerre. Et maintenant, notre expérience, expertise, géographie et diversité ainsi que nos valeurs font en sorte que nous sommes appelés à jouer de nouveau un rôle semblable dans ce siècle nouveau. » Ce caractère essentiel se reflète par les actions du Canada dans le monde : celui de champion d’un ordre international fondé sur des normes et sur le respect de la primauté du droit, et d’un promoteur de la paix et de la démocratie.

Tout dans la déclaration de Freeland réfère à la « Destinée manifeste » américaine. Depuis le XIXe siècle, les Américains ont toujours été convaincus qu’ils avaient une mission divine à accomplir, celle d’étendre « les vertus de la civilisation américaine » d’abord au continent nord-américain, puis à l’ensemble du monde. Leur zèle missionnaire à promouvoir un ensemble de valeurs – le règne du droit, l’harmonie entre les peuples, le refus de la puissance, l’égalitarisme – a fait d’eux, pendant un certain temps, une référence universelle. L’expression « Destinée manifeste » est née de ce messianisme. Elle s’est transformée en une doctrine, longtemps considérée comme le principe directeur de la politique étrangère américaine.  

 

De quoi le Canada est-il le nom?

Le canevas programmatique et idéologique de la politique étrangère étant posé par Dion et Freeland, il fallait ensuite passer de l’abstraction à l’action. Mais il n’en fut rien. Subitement, une sorte de léthargie intellectuelle et politique s’est installée au sommet de l’État et a chambardé l’ambitieux programme de renouveau de la politique étrangère canadienne.

Une des explications à ce comportement veut que l’élection de Donald Trump en novembre 2016 et sa remise en cause du traité de libre-échange et de certaines institutions internationales aient troublé le gouvernement. À Ottawa, on redoutait, sans doute, qu’une politique étrangère trop activiste ne froisse la nouvelle administration républicaine. Il était préférable d’éviter de faire des vagues et de se concentrer plutôt sur la relation avec les États-Unis. Ce choix peut s’expliquer. La géographie dicte notre rapport avec les États-Unis. Et lorsque 75 % de notre commerce et 95 % de nos relations militaires se font avec notre voisin du sud, cela nous enferme dans une structure de dépendance dont il est difficile de se dégager.

Malgré tout, la relation avec les États-Unis ne peut expliquer à elle seule l’immobilisme de la politique étrangère du gouvernement. Le malaise se trouve dans la personnalité même du premier ministre. Il semble incapable de comprendre la nouvelle géographie des affaires internationales et de marquer une direction pour la diplomatie canadienne. Ainsi, en mai 2016, lors d’une rencontre orageuse entre Dion et le conseiller diplomatique du premier ministre, Roland Paris, celui-ci ne voulait pas que le ministre prononce un discours qui cadrerait trop rapidement la politique étrangère du pays, car, disait-il, Trudeau ne « s’est pas encore fait une tête » sur celle-ci[6]. Deux ans plus tard, le premier ministre cherchait encore sa voie. À l’occasion d’un discours devant l’Assemblée nationale française, il avouait que son gouvernement réfléchissait toujours « à la place du Canada dans un monde qui évolue constamment et rapidement[7]. » Ainsi, presque trois ans après son élection, le gouvernement n’avait toujours pas adopté une politique étrangère qui lui était propre et à même de se distinguer de celle des Conservateurs.

Trudeau a bien tenté de se ressaisir et d’indiquer la direction à suivre en août 2019. Dans un discours à saveur électorale prononcé devant le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), il a affirmé que le Canada était déterminé à « s’engager lorsque d’autres se retirent », une allusion aux positions de plus en plus isolationnistes prises par l’administration Trump[8].

Or, l’expérience des quatre années de son premier gouvernement (2015-2019), contredit cette déclaration et laisse douter de ses actions futures. Au fil du temps, le sentiment est vite apparu que les Libéraux reprenaient certains éléments de la politique des Conservateurs, et adoptaient des positions qui contredisaient leur programme et la notion de caractère essentiel du Canada dans le monde. Ainsi, il aura fallu plus de deux ans avant que le Canada déploie à contrecœur et seulement pour un an quelques hélicoptères et un petit contingent de Casques bleus au Mali, alors qu’il s’est précipité pour renouveler de façon indéfinie les engagements militaires conservateurs en Irak, en Lettonie et en Ukraine, toutes des missions hors ONU. L’aide au développement est devenue « féministe », un clin d’œil à l’électorat féminin canadien, mais cette réorientation a masqué le déclin constant et irrémédiable du financement de l’aide aux pays les plus pauvres de la planète. Sur la question palestinienne, qui a encore une grande résonnance sur la scène internationale, le gouvernement a très opportunément décidé, quelques semaines avant le vote sur l’élection au Conseil de sécurité, d’appuyer certaines résolutions pro-palestiniennes après avoir voté contre pendant des années. Au lieu d’ouvrir un espace de dialogue avec la Russie comme le faisaient tous les alliés, Chrystia Freeland, a dépensé beaucoup énergie pendant les trois années de son mandat à envenimer les relations entre les deux pays, ce qui ne sera pas sans conséquences pour les intérêts canadiens dans l’Arctique où les deux pays occupent 75% du territoire. Loin de faire plus de place à la diplomatie, le gouvernement a asséché les sommes qu’il y consacrait, alors que le budget militaire sera augmenté de 73 % au cours des prochaines années. Ottawa a promis de défendre le multilatéralisme, mais s’est montré d’une grande discrétion lorsque Washington a attaqué de front l’Organisation mondiale de la santé, pour ses déficiences supposées dans la gestion de la pandémie de la COVID-19, et a annoncé son intention de sanctionner individuellement les membres du personnel de la Cour pénale internationale, dont plusieurs Canadiens, si celle-ci osait engager des poursuites contre des citoyens américains dans le cadre d’une enquête sur des crimes en Afghanistan. Dans divers dossiers — des changements climatiques aux droits humains en passant par les questions d’identité sexuelle —, la voix de la modération et du bon sens a été remplacée par des décisions confuses et des sermons moralisateurs dont l’effet a été d’irriter de nombreux gouvernements, sans rien apporter à la diplomatie canadienne. 

Un tel décalage entre le discours et les actions ne pouvait passer inaperçu. Lorsque les 193 États membres de l’ONU se sont réunis le 17 juin 2020 pour choisir qui du Canada, de la Norvège ou de l’Irlande occuperait les deux sièges de membres non permanents du Conseil de sécurité en compétition, quel Canada au juste se présentait devant eux pour le scrutin? C’est que depuis l’élection des conservateurs en 2006, le Canada a présenté deux visages différents de son rapport au monde. D’un côté, il y avait celui de Stephen Harper incarné par une vision manichéenne des affaires internationales et où le hard power était l’outil de référence pour se faire entendre et respecter. Ce Canada a été boudé par la communauté internationale lors du vote de 2010 pour un siège au Conseil et rejeté par les électeurs en 2015. De l’autre, il y avait le visage de Trudeau, qui promettait un autre Canada, mais qui, à force de contorsions et de reniements, a plutôt présenté une image brouillée de son rapport au monde.

Dégagé de son aspect messianique, il y avait pourtant dans la notion de Canada pays « essentiel » de quoi établir les prémisses d’une diplomatie mariant la tradition établie par les gouvernements successifs depuis l’après-guerre et la prise en compte des recompositions géopolitiques en cours depuis les attentats du 11 septembre 2001. Cette synthèse, dont le résultat aurait été forcément imparfait tant les affaires du monde restent encore fluides, le gouvernement Trudeau a refusé de s’y astreindre, faute de volonté politique, et à cause d’une ignorance des enjeux, et d’une incapacité à lire le monde tel qu’il est et non tel qu’il voudrait qu’il soit. Plus souvent qu’autrement, Trudeau a préféré réagir au coup par coup ou en répondant à des problèmes politiques par des injonctions morales.

Déboussolés par les orientations contradictoires actuelles du gouvernement canadien et sceptiques quant à ses intentions réelles pour l’avenir, les membres de l’ONU n’ont pas reconnu dans le Canada de Justin Trudeau le pays «essentiel » tant vanté par Chrystia Freeland. Ils ont donc été incapables de savoir au juste de quoi le Canada était le nom sur la scène internationale. Avec les conséquences que l’on sait.

 

Jocelyn Coulon est chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM). Il a été membre du groupe des conseillers sur les affaires internationales de Justin Trudeau en 2014-2015 et conseiller politique de l’ex-ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion en 2016-2017. Il a publié en 2018 Un selfie avec Justin Trudeau. Regard critique sur la diplomatie du premier ministre, chez Québec Amérique. Il vient de publier À quoi sert le Conseil de sécurité des Nations Unies? aux Presses de l’Université de Montréal.

 



[1] Le Conseil est composé de cinq membres permanents – les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et le Royaume-Uni -, et de dix membres non permanents qui sont élus pour une période de deux ans.

[2] Le Canada a siégé au Conseil de sécurité en 1948-49, 1958-59, 1967-68, 1977-78, 1989-1990 et 1999-2000.

[3] Roland Paris, « Are Canadians still liberal internationalists? Foreign policy and public opinion in the Harper era », International Journal, 2014, vol. 69 (3), pp. 274-307.

[4] Changer ensemble, Parti libéral du Canada, 2015, p. 70-79.

[5] Affaires mondiales Canada, Discours de la ministre Freeland sur les priorités du Canada en matière de politique étrangère, 6 juin 2017.

[6] Jocelyn Coulon, (2018), Un selfie avec Justin Trudeau. Regard critique sur la diplomatie du premier ministre, Éditions Québec-Amérique, p. 91.

[7] Bureau du premier ministre, « Oser l’audace et le courage », discours devant l’Assemblée nationale française, 17 avril 2018.

[8] CORIM, Discours du premier ministre du Canada, 21 août 2019.

 

Photo: salle du Conseil de sécurité de l'ONU (crédit: wikipédia)


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