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Comment expliquer la fusée Zemmour ?

Un texte de Philippe Labrecque
Thèmes : Conservatisme, France, Politique
Numéro : Argument 2021 - Exclusivité Web 2021

En pleine ascension dans les intentions de vote des Français en vue des présidentielles de 2022, Éric Zemmour se classe même, dans les derniers sondages, en deuxième position devant Marine Le Pen qui pourrait, à la surprise générale, être éliminée au premier tour. Cette ambition présidentielle d’Éric Zemmour nous avait pourtant été annoncée dès le départ comme étant vouée à l’échec.

Initialement sans parti pour l’appuyer, sans expérience politique, sans éditeur même, on voit aujourd’hui Zemmour dicter le discours et les débats de ce début de campagne, alors que ses concurrents, soit les différents prétendants de la droite, Marine Le Pen et même le président sortant Emmanuel Macron, en sont réduits à emprunter le champ lexical imposé par l’essayiste.

Comment un tel revirement a-t-il été rendu possible ? Une analyse de la dynamique qui pousse une partie du public à soutenir cette candidature de Zemmour permet d’identifier de grands mouvements de fonds qui façonnent la campagne actuelle et qui possèdent le potentiel de bouleverser l’échiquier politique de par leur ampleur sous-estimée.

 

La campagne avant la campagne

Avant même que les sondages confirment le potentiel électoral de Zemmour, un des premiers signes avant-coureurs de l’enthousiasme substantiel du public pour sa campagne fut l’action spontanée de plusieurs militants politiques qui ont choisi eux-mêmes d’assurer le succès de la candidature d’Éric Zemmour en lançant une campagne de promotion, indépendamment du candidat, et en amont même des premières rumeurs à propos d’une candidature de l’essayiste.

Au sein du grand public, certains le rêvaient candidat depuis plusieurs années déjà et ceux-là se transforment naturellement en militants zemmouriens, comme si une partie de son audience médiatique attendait depuis longtemps de Zemmour qu’il investisse la politique appliquée pour aller au-delà du débat d’idées, des plateaux de télévision et des librairies.

En présentant sa candidature, Zemmour semble donc répondre à une attente presque messianique d’un public qui lui est déjà acquis.

 

Quand l’époque dépasse les candidats

Politiciens de carrière, gestionnaires ambitieux ou professionnels de la communication, les candidats en compétition avec Zemmour risquent fortement d’être dépassés par les enjeux existentiels que l’époque nous impose. La vitesse à laquelle Zemmour a été capable d’imposer son discours à ses adversaires démontre l’incapacité de ces derniers à dépasser la simple communication politique, toujours à la traîne des enquêtes d’opinion. 

Zemmour est potentiellement le seul candidat possédant la légitimité intellectuelle pour aborder les grandes questions, les grands bouleversements qui affligent la société française, ainsi que pour s’attaquer aux vaches sacrées du politiquement correct. 

L’aise avec laquelle Zemmour a su forcer l’appareil médiatico-politique à accepter de facto le concept de « Grand remplacement » au cours des dernières semaines dans le cadre de la promotion de son dernier livre est un indicateur précoce de cette obligation dans laquelle se retrouvent les autres candidats de devoir réagir aux discours zemmourien.

Il est difficile d’imaginer Macron, Pécresse, Bertrand et même Le Pen discuter des conséquences de la dévirilisation de la société, de son enlaidissement, de sa progression aveugle dans la régression anthropologique, de sa négation du bouleversement démographique actuel et à venir (à l’exception des instances ou celle-ci est souhaitée comme dans le cas du parti de Jean-Luc Mélenchon) et de la perte de souveraineté de la nation, pour ne nommer que ces maux de nos sociétés postmodernes.

Ces traits marquants de notre époque sont pourtant des questions politiques majeures qui définissent le malaise identitaire des sociétés occidentales, un malaise profond qui ne demande qu’à faire surface, mais que seul Zemmour semble capable d’aborder avec légitimité.

L’obsession des médias et de la classe politique qui veulent à tout prix recadrer le débat autour du « pouvoir d’achat », qui serait selon eux la préoccupation première des Français, démontre leur incapacité à pousser l’analyse au-delà de la dernière enquête d’opinion tout en ne concevant la politique que sous l’angle de dilemmes technocratiques à résoudre.

Comme Donald Trump avait pu canaliser un sentiment de déclassement des classes populaires américaines et que le Brexit avait su faire resurgir le sentiment de perte de souveraineté des Britanniques, Zemmour semble être le seul candidat disposé à mettre ces grandes questions existentielles qui définissent la France d’aujourd’hui à l’avant de sa campagne, provoquant ainsi un déficit de crédibilité, de lucidité jusqu’au sein des campagnes de ses adversaires.

 

Les intentions cachées

Si les sondages récents semblent déjà confirmer l’importance du socle électoral sur lequel Zemmour s’appuie, ceux-ci ne représentent encore que la pointe de l’iceberg.

Tout comme les sondeurs avaient largement sous-estimé la taille du soutien électoral de Trump lors des deux dernières élections présidentielles, ces sondages ne représentent que ceux qui ont le courage d’affirmer qu’ils voteront pour Zemmour en tenant compte de l’ostracisation, de l’hostilité même, que cette prise de position publique implique.

Le phénomène est connu. Le public cache partiellement ses intentions quand ce dernier soutient un candidat conservateur, de droite, ayant intériorisé le discours dominant qui diabolise toute adhérence à une résistance quelconque à la gauche et au progressisme en vogue.

Le commun des mortels comprend très bien qu’afficher son soutien et son accord avec Zemmour peut se payer très cher socialement, ainsi qu’au sein de bien des entreprises, alors qu’on sera taxé de toutes les épithètes préférées de la bien-pensance. Toute personne rationnelle, réaliste même, ne risquera donc pas l’exclusion sociale et professionnelle, même par le biais d’un sondage anonyme.

Comme les sondeurs avaient sous-estimé les intentions de vote en faveur de Donald Trump d’au moins 3 à 4 points en 2016, on peut estimer que si Zemmour est à 17 % dans les sondages en ce mois d’octobre 2021, il dépasse probablement le seuil des 20 % d’intentions réelles si on ajoute à ces résultats les zemmouriens plus timides, encore réticents à s’afficher.

Zemmour se rapproche peut-être même des 25 % d’intentions de vote réelles, étant donné son caractère particulièrement clivant et « sulfureux » dans l’espace médiatique français et la haine que lui voue une certaine élite, ce qui entraîne davantage d’électeurs à taire leurs appuis pour l’essayiste comparativement à ceux en faveur d’un candidat de droite plus conventionnel, ce qui amplifie probablement le phénomène des intentions cachées aux sondeurs.

 

Sortie du cadre des partis politiques

Il est possible également que plusieurs électeurs à droite, mais aussi au centre et même à gauche ne s'avouent pas encore qu’ils voteront Zemmour, car ils ont toujours voté dans le cadre politico-politicien des partis alors que cette élection présidentielle se joue dans l’arène de la métaphysique.

Les Français doivent décider s’ils veulent poursuivre dans leur trajectoire moderne actuelle et dans la dissolution permanente de l’idée de nation, du peuple et des assises traditionnelles que ceci entraîne ou bien inverser « le sens de l’histoire » pour réaffirmer, reconstruire ces mêmes notions, soit admettre que l’Occident et la France sont en périls et choisir le camp de sa défense, de sa survie, de son sursaut.

Si certains peuvent juger ce discours exagéré, Zemmour ne craint pas d’affirmer que la France « est en danger de mort » et à les mettre face à un choix entre la continuation de l’élan révolutionnaire moderne et le réenracinement des peuples.

Macron et Zemmour ne représentent donc pas qu’eux-mêmes et leurs candidatures, ils représentent deux avenirs, deux voies potentielles qui dépassent le simple quinquennat alors que nous sommes à un point d’inflexion historique qui prend des formes de fin de l’Empire romain.

Zemmour semble pleinement conscient que nous traversons une fin d’époque et que la prochaine sera constituée au courant des dix ou vingt prochaines années. Il en fait même l’axiome de sa candidature, ce qui rend celle-ci d’autant plus unique, car peu d’hommes politiques auront saisi le zeitgeist de l’époque comme Zemmour depuis plusieurs décennies.

Si les victoires de Trump et du Brexit semblent avoir été les coups de semonce d’une nouvelle ligne de fracture politique entre les somewhere et les nowhere, la candidature de Zemmour et la campagne présidentielle française de 2022 pourraient bien représenter la première grande bataille de cette époque.

 

Crédit image: Lagora, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons


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