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Au Québec (sauf quelques exceptions malheureuses), la structure, l’organisation des soins se caractérisent généralement, habituellement par une bienveillance, une compassion systémique

Un texte de Pierre Lalonde
Thèmes : Québec, Racisme systémique, Société
Numéro : Argument 2022 - Exclusivité web 2022

Le 3 juin dernier, le docteur Pierre Lalonde, accompagné de Philippe Lorange, était censé donner une conférence au congrès de l'Association des médecins psychiatres du Québec (AMPQ), au Mont-Tremblant. Leur présentation devait prendre la forme d'un débat avec deux autres conférenciers, sur le thème du racisme systémique en psychiatrie. Quelques jours avant le congrès, à la suite de pressions à l’interne, l’AMPQ a décidé d'annuler leur intervention, une illustration supplémentaire de la méthode de plus en plus répandue de la cancel culture qui sévit désormais au Québec. Ils publient ici le contenu sommaire de ces propos qu'ils n'ont pas pu tenir en congrès.

 

Lien vers le texte de Philippe Lorange


Je dois avouer que j’ai bien hésité avant de proposer la publication de ce texte, d’autant qu’on venait de m’interdire, avant même de m’entendre, d’exprimer une divergence dans un débat cherchant à affirmer la prééminence du racisme systémique dans le domaine médical. Je fais partie de ces nombreux professeurs et cliniciens tentés de s’autocensurer pour ne pas affronter la vindicte populaire. C’est là une forme d’exclusion typique de la culture du bannissement qui prend de plus en plus de place dans nos institutions. La promotion de l’idéologie « Équité, Diversité, Inclusion (ÉDI) » semble bien défendable dans son énoncé. Mais, en fait, ses militants n’acceptent aucun argument allant à son encontre. Ils considèrent leurs opposants comme des naïfs inconscients (qu’il faut réveiller) et traitent de raciste quiconque ne pense pas comme eux. Si je me sens offusqué par l’extrémisme où est arrivée l’idéologie EDI, est-ce que je pourrais considérer que, pour moi, cette expression est comme une « micro-agression »? Et que je pourrais alors réclamer qu’on la bannisse?

Ma nature (comme celle de bien des Québécois), c’est d’être dans la conciliation, pas dans la chicane ni dans l’agression. Ma profession de psychiatre m’a longtemps entrainé à écouter et à être bien délicat avant de confronter, même doucement. Pour éviter d’enflammer ce débat, je vais procéder par questionnements, comme je fais d’habitude dans mes entrevues, en espérant que ça permettra aux lecteurs d’envisager qu’il y a diverses façons de considérer les soins de santé au Québec. De toute façon, je n’ai que deux options : me taire en laissant tout le champ à un point de vue péremptoire exprimé par un groupe minoritaire, mais intensément vibrant ou risquer d’être ostracisé dans un débat qui fait l'apologie de la notion de racisme systémique.

On m’a demandé de me définir; eh bien, je suis un « questionneur de dogme ». Je ne vais pas utiliser le mot « woke », qui est perçu comme une insulte, alors qu’il pourrait être compris comme une incitation (« Réveillez-vous »), que je pourrais aussi, alors, m’attribuer.

 

Censure, autocensure et liberté d’expression

À l’époque obscurantiste du Moyen Âge, au 13e siècle, il y a eu l’Inquisition missionnée par le pape, et mise en place par l’Église en vue de traquer les « hérétiques ». La méthode : les Inquisiteurs invitent d’abord tous les fidèles à dénoncer les hérétiques. Puis, ils emploient tous les moyens nécessaires (dont la torture) pour les conduire à la pénitence. S’ils admettent leur erreur, ils sont alors forcés à se confesser et seront alors protégés par « l’Édit de Grâce ». Sinon, ils seront arrêtés, excommuniés et mis à mort par le feu.

J’ai moi-même vécu dans mon adolescence, l’héritage de cette censure cléricale qui a plombé le progrès au Québec jusqu’aux années 1960. Est-ce que les séniors parmi vous se souviennent des années 60, quand cette chape de plomb est tombée et qu’on a pu vivre ce sentiment d’exultation, de libération de ce qu’on a appelé « la grande noirceur »? Et maintenant, comment retrouver une lumière libératrice pour se détourner de ces dogmes étouffants?

Peut-on faire un parallèle avec la situation actuelle? Alors que j’essayais simplement de faire une démarche d’éveil (considérée comme sacrilège), de proposer une observation plus nuancée sur la « bienveillance systémique » de notre système de soins, on a réussi à faire pression sur les organisateurs du congrès pour nous exclure de cette conversation. On était « d’emblée préoccupés de voir que le titre de la présentation met en avant une affirmation qui ne correspond pas à une donnée scientifique » et qu’on éprouvait « un grand malaise avec le fait que ce qui semble être une croyance personnelle ou politique soit formulée et présentée à notre congrès ». Pour inhiber certains enseignements, on voit maintenant se multiplier les situations où la cyberintimidation, diffusée sur les réseaux sociaux, a pu mener à l’ostracisme et à « bruler la carrière » de personnes qui avaient pourtant été appréciées. Est-ce la sanction moderne quand on tente de contester des fidèles militants? Y a-t-il des sujets que nous nous interdisons d’aborder de peur de gâcher notre réputation? Où sont passées la liberté d’expression et son corollaire nécessaire, la liberté d’information? Est-ce qu’on espère nous rendre plus heureux en se retrouvant dans un climat de rectitude, de surveillance de ce qu’on dit et de ce qu’on pense, digne de Big Brother dans 1984 de George Orwell?

Pourtant, ces manifestations bruyantes, réclamant la censure, restent le fait d’une minorité de militants qui cherchent à se rendre bien visibles en étouffant la parole de ceux qui exposent, face à la véhémence de leurs discours, une contrepartie plus nuancée. Peut-on faire un parallèle avec les démonstrations tapageuses des camionneurs devant le parlement d’Ottawa. Sur place, les manifestants s’exclamaient « Tout le monde nous appuie, nous félicite, nous apporte de la bouffe et du café ». Ces manifestants (d’extrême droite, dans ce cas) qui contestaient le système, ne représentaient pourtant que 10% des camionneurs (90% de ceux-ci étaient vaccinés). Néanmoins, ils criaient que leur opinion avait priorité sur la science concernant les précautions à prendre contre la Covid-19. Ces contestataires réprouvaient les journalistes qui les critiquaient et le gouvernement qui soulignait l’importance de maintenir des mesures sanitaires.

Est-ce que des « militants » utilisent les mêmes méthodes de manifestation péremptoire pour faire croire qu’ils ont le monopole de la vérité en répétant que l’Occident est raciste, homophobe, sexiste, transphobe, colonialiste, patriarcal et cruel. D’un côté, on a les libertariens pour qui la liberté d’expression inclut la liberté de bloquer des ponts, de menacer des journalistes et de paralyser l’économie ; de l’autre, ceux qui veulent restreindre la liberté d’expression en bannissant des conférenciers, en interdisant des pièces de théâtre et en brûlant des livres. Ne serait-il pas mieux que différents points de vue puissent s’exprimer? sinon on est pris dans une pensée unique et on risque de vivre dans la terreur et l’autocensure. Voyez ce qui est arrivé à l’université Evergreen à Olympia, Washington.

Alors, malgré ces censeurs, venons-en maintenant au fait…

 

Un système de santé raciste ?

Dans le journal « Profession Santé », un jeune médecin s’offusquait que des patients s’informent de ses origines asiatiques, de son insertion au Québec. Par dérision, il en était venu à répondre : « je suis de la race des Chi-oua-oua ». Pourquoi prendre comme une insulte, ce qui est, en fait, une marque d’intérêt? Quand vous êtes en voyage à l’étranger et qu’il vous arrive de croiser quelqu’un qui parle avec un accent québécois, que faites-vous ? Est-ce que vous vous intéressez à elle et vous demandez d’où vient cette personne? Est-ce que je devrais, pour ma part, m’offusquer si on me demande : « Où êtes-vous né? » ou « Êtes-vous originaire de Montréal? ». Moi, je réponds simplement « Non, je suis né à St-Télesphore, un petit village rural, proche de l’Ontario et j’ai été bien content de venir vivre à Montréal pour mes études en médecine ».

Le racisme est marginal au Québec, même si on trouve, chez nous, comme ailleurs, des personnes racistes. Mais pourquoi faire croire que le racisme empoisonne toute notre société? Le Québec est un des pays au monde qui traite le mieux ses minorités, et c’est tant mieux! Comparé à la Chine, à l’Iran, à la Russie, à la Corée du Nord, à la Libye, au Myanmar, à la Somalie, au Soudan, à la Syrie, à la Turquie, à la Côte d’Ivoire, et même aux États-Unis, le Québec est apprécié pour le respect de ses minorités (ce qui convient à une petite Nation minoritaire, toujours préoccupé de son sentiment de fragilité) et son accueil des immigrants qu’on invite à s’intégrer (sans assimilation). Le nouvel arrivant apprend à dire « nous » avec sa société d’accueil, à laquelle il a choisi de s’intégrer, en s’inscrivant dans sa continuité. D’ailleurs, la présence démographique significative des minorités raciales est très récente dans l’histoire du Québec. Par conséquent, l’organisation sociale n’a pas pu se fonder sur leur refoulement. Notre histoire, au Québec, s’est d’abord et avant tout vécue à travers des clivages linguistiques, et non à travers des clivages raciaux comme aux États-Unis.

Peut-on prendre appui sur quelques cas de mauvais traitements (assurément répréhensibles, largement connus et décriés avec raison) et les utiliser pour dépeindre l’ensemble de notre système de santé ? Sommes-nous obligés de conclure d’emblée qu’il sévit en son sein un racisme systémique institutionnel après avoir observé quelques dérives très malheureuses dans notre offre de soins? Est-ce que certains cherchent à monter en épingle de rares situations qui servent à conforter leurs « biais de confirmation », afin de présumer d’emblée que le racisme est systémique, structurel, etc. Dans mes cours de thérapie cognitive, on nomme « généralisation » (overinclusion) ou « sauter prématurément aux conclusions » ce type d’erreur cognitive. Et, si je ne n’adhère pas à cette thèse érigée en dogme, on voudrait me faire croire que ce serait la preuve que je n’en suis pas conscient! Il faudrait alors m’éveiller (wake up) à mon racisme inconscient. On soustrait ainsi la thèse du racisme systémique à tout débat.

Si on pense que notre système, notre structure de soins est raciste, faut-il en conclure qu’on offre habituellement des services médiocres et malveillants aux personnes « racisées » (un terme bien stigmatisant) ? Est-ce que le but de cette propagande serait de donner une image dépréciée de notre système de soins en culpabilisant les soignants? Comment peut-on qualifier le dévouement des membres du personnel clinique (médecins, infirmières, préposés, etc.) qui, pendant la pénible période de pandémie, se sont dépensés sans compter, en s’épuisant, parfois au détriment de leur santé, et même de leur vie dans certains cas, pour offrir des soins à toute la population du Québec? Avez-vous été témoin de discrimination généralisée, systémique, structurelle, organisationnelle dans les soins, envers les anti-vaccins, les Noirs, les musulmans, les itinérants, les Québécois de toutes origines? Est-ce qu’on peut se permettre d’ignorer la multitude d’interventions qui trouvaient au contraire leur source dans ce qu’on pourrait appeler une compassion systémique? Notre réseau de soins se caractérise-t-il par une bienveillance systémique ou par un racisme systémique? Ce ne peut être les deux, il faut choisir.

En raison de ma longue expérience de notre système médical, pendant ma longue présence dans une variété de milieux cliniques au Québec, j’ai pu observer que notre système de soins n’est pas raciste. Ce que j’ai surtout vu chez le personnel soignant, c’est de la compassion, de la bienveillance et une disponibilité d’écoute. Moi, j’ai donc choisi et je veux m’excuser auprès des milliers de professionnels de la santé que certains cherchent à culpabiliser en leur faisant croire, à l’encontre de l’évidence, qu’ils participent à un système de soins malveillant envers des minorités culturelles ou sexuelles.

 

Pierre Lalonde MD, psychiatre


Image: Antti Yrjönen / Vantaa City Museum, CC BY 4.0 , via Wikimedia Commons

 


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